jeudi 24 novembre 2011

"L’ordre et la morale" et ses spectateurs


Pour sa première semaine sur les écrans, le film de Mathieu Kassovitz a réuni 100 867 spectateurs en France. Ce qui le place en huitième position du box-office hebdomadaire, selon le site http://www.commeaucinema.com, loin derrière Les Intouchables qui a attiré 2 460842 spectateurs du 16 au 22 novembre 2011.


mercredi 23 novembre 2011

Boris Tadic, le Harrison Ford serbe ?

L'anecdote est racontée par un industriel français, reçu par le président de la République de Serbie à Belgrade. L'entretien se déroule selon les usages. Avant de se quitter, le visiteur regarde le président Tadic et lui avoue être perturbé depuis le début de l'audience.
- Pourquoi ? l'interroge le président.
- Parce que plus je vous regarde, plus je trouve que vous ressemblez à l'acteur Harrison Ford.
Boris Tadic sourit et lui répond par l'anecdote suivante.

- En visite à L'ONU, descendant de voiture, un Américain m'a interpellé ainsi : "Bienvenu à New York, Indiana Jones...".

dimanche 20 novembre 2011

Ouvéa, le témoignage inédit de Jean Bianconi (1). Le magistrat-otage


Il n'avait jamais parlé depuis 1988C'est pourtant un acteur majeur du dossier. Alors substitut du procureur de la République à Nouméa, Jean Bianconi vient à Ouvéa négocier avec Alphonse Dianou, le chef des preneurs d’otages. Il est alors retenu en compagnie du capitaine Legorjus, qui l’a accompagné et de six hommes du GIGN. Lui et l'officier joueront les émissaires et seront autorisés à sortir. C’est Jean Bianconi qui introduira dans la grotte deux petits Smith et Wesson de calibre 38 et dix balles destinées au capitaine Picon (GIGN), qui protégera ainsi lors de l'assaut les otages retranchés au fond de la grotte (voir post du 7 novembre 2011).
Après la récente sortie du film de Mathieu Kassovitz, La morale et l'action, la publication concomitante du livre de Philippe Legorjus, Ouvea, la République et la morale (Plon) et la polémique grandissante, Jean Bianconi a choisi de s'exprimer pour la première fois,  battant en brèche certains des propos récents tenus par l'ex-chef du GIGN. Pour également, écrit-il, "en finir avec le mythe Legorjus". J'ai choisi de publier les principaux points de ce témoignage, en quatre posts. Voici donc le premier. 


Philippe Legorjus et moi-même avons été retenus prisonniers dans la grotte d’Ouvéa dans la matinée du 27 avril 1988 dans les circonstances suivantes. Envoyé sur place par le Procureur général qui voulait être tenu directement informé des opérations de recherche entreprises à la suite de l’attaque de  la gendarmerie de Fayaoué au cours de laquelle quatre gendarmes étaient tués et 27 autres pris en otage, je rencontrais Philippe Lergorjus au PC du Général Vidal à Gossanah. Après une première tentative infructueuse d’approche de la grotte, suivant la prise en otage du lieutenant Destremeau dans l’après-midi du 26 avril 1988, Philippe Legorjus décidait de revenir sur les lieux le lendemain matin.
Parvenus aux abords de la grotte nous étions accueillis par des coups de feu. Philippe Legorjus essayait vainement d’entrer en contact avec les ravisseurs au moyen d’un porte-voix. Face au blocage de la situation, je demandais à Legorjus de me laisser parler aux Kanaks, prenais le porte-voix et proposais de venir jusqu’à eux pour écouter leurs revendications et amorcer un dialogue avec les autorités. Alphonse Dianou, qui était le chef du groupe de ravisseurs, après quelques hésitations, donnait son accord et autorisait deux anciens de la tribu de Gossanah à me conduire jusqu’à lui. Il demandait qu’à cette occasion de l’eau, dont ils étaient pratiquement privés depuis plusieurs jours, leur soit apportée.
Contrairement à la version donnée par Philippe Legorjus - et reprise dans le film -, cette entrée dans la grotte ne s’est pas faite de ma part de façon spontanée et irréfléchie mais après un dialogue assez long et tendu avec Alphonse Dianou qui nous tenait sous la menace de ses armes. Pour une raison inexpliquée, et à laquelle seul Philippe Legorjus peut répondre, celui-ci décidait brusquement de nous suivre alors que nous étions déjà engagés sur le chemin conduisant à la grotte tout en me disant que c’était « une connerie ». Il prétendra, et écrira plus tard, que son « instinct l’avait poussé à me protéger à tout prix ». Je pense pour ma part que cet homme, à l’ego démesuré, a tout simplement craint de se faire ‘voler la vedette’ d’un premier contact avec les ravisseurs. En voulant imposer sa présence à Alphonse Dianou, en méconnaissance totale de la coutume mélanésienne, Philippe Legorjus a commis une erreur de jugement qui aurait pu être fatale à six de ses hommes. 
(...) Alors que nous étions retenus, menottés à l’entrée de la grotte, à l’écart des autres otages, Philippe Legorjus retournait habilement la situation en sa faveur en exploitant au mieux un incident survenu dans la nuit du 27 au 28 avril. Des coups de feu tirés par des militaires aux abords de la tribu de Gossanah mettaient en émoi  les ravisseurs qui menaçaient de s’en prendre aux otages. Philippe Legorjus déclarait alors à Alphonse Dianou qu’il avait des contacts au plus haut niveau de l’Etat et qu’il pouvait intervenir auprès du général Vidal afin qu’il retire ses troupes positionnées entre la grotte et la tribu de Gossanah. Alphonse Dianou se laissait convaincre et relâchait Philippe Legorjus  qui partait dans la nuit rejoindre le PC du général. Il revenait dans la matinée pour aviser Alphonse Dianou du succès de son intervention auprès du général et lui proposait de poursuivre ses efforts de médiation. Alphonse Dianou acceptait cette proposition et Philippe Legorjus repartait porteur d’un message rédigé à la hâte par moi-même à l’intention de mon ami Frank Wahuzue à qui je demandais de venir sur place et d’intervenir auprès de ses amis indépendantistes pour qu’une solution pacifique soit trouvée (...) De ce jour, et jusqu’à  la libération des otages, Philippe Legorjus ne devait plus jamais revenir à la grotte et n’avait plus, par conséquent, aucun contact personnel et direct avec Alphonse Dianou si ce n’est de façon ponctuelle par radio (...) Après le retrait des troupes à Saint Joseph, où le général Vidal avait installé son PC, la tension s’apaisait quelque peu dans la grotte.
Un va- et -vient quotidien s’instaurait entre la grotte et les gens de la tribu de Gossanah, qui nourrissaient ravisseurs et otages à midi tandis que moi-même me rendais chaque après-midi au PC du général d’où je ramenais, pour tous, médicaments et nourriture pour le repas du soir...




Ouvéa, le témoignage inédit de Jean Bianconi (2). Les négociations


Contrairement à ce qu’affirment Mathieu Kassovitz et Philippe Legorjus, qui s’efforcent de faire passer Bernard Pons et le général Vidal pour des bellicistes forcenés, l’autorisation de prendre contact avec  Franck Wahuzue était aussitôt donnée à Philippe Legorjus par Bernard Pons qui donnait également instruction au général Vidal de suspendre momentanément les opérations d’intervention. Un hélicoptère était mis à disposition de Legorjus pour se rendre à Lifou où il rencontrait Franck Wahuzue qui promettait de faire de son mieux mais se montrait très réservé sur une intervention des membres du Bureau politique du FLNKS.
Franck Wahuzue me dira plus tard « qu’il n’avait pas eu l’autorisation de se rendre à la grotte, le Bureau politique du FLNKS considérant que chaque comité de lutte était maître de ses actions et décisions. »
Cette position, que j’ignorais bien évidemment au moment où j’ai fait appel à Franck - tout comme j’ignorais que celui-ci avait fait partie de la délégation indépendantiste chargée de repérer les lieux quelques jours avant l’attaque de la gendarmerie -, condamnait par avance toute possibilité pour Legorjus de libérer les otages par le dialogue et la négociation 5...)
Parmi nos ravisseurs, si tous regrettaient le massacre des gendarmes à Fayaoué, qu’ils n’avaient pas voulu, ni même envisagé, beaucoup rejetaient l’idée de se rendre et d’aller en prison - m’opposant ‘le verdict du procès de Hienghène’-, et considéraient qu’ils n’avaient rien à attendre d’une justice aussi ‘pourrie’.
Ce blocage de la situation n’échappait pas à Philippe Legorjus, qui, très vite conscient de l’inanité de ses efforts et du refus du FLNKS de répondre à ses appels, me suggérait, dès notre première rencontre à Saint Joseph, en présence du colonel Benson, peu après la menace d’Hilaire Dianou d’exécuter Pichegru, d’introduire dans la grotte un moyen de défense des otages.
Je repoussais tout d’abord cette suggestion, considérant cette demande comme contraire à mon éthique de magistrat. Ne voulant en aucun cas participer à une action de force contre les kanaks, j’acceptais seulement de faire passer une montre et deux clefs de menottes pour soulager les souffrances des GIGN qui étaient sévèrement menottés et gardés au plus profond de la grotte.
Cette demande d’armer les otages était reprise par Philippe Legorjus dans l’après-midi du 3 mai. Il me faisait valoir, toujours en présence du colonel Benson, que j’étais le seul en mesure d’agir pour protéger la vie des otages pendant l’assaut militaire qu’il me présentait désormais comme inéluctable.
Je précise qu’à aucun moment Bernard Pons ou le général Vidal ne sont intervenus dans le cours de ces discussions.
Conscient du péril encouru par les otages en cas d’assaut de la grotte, je me résignais à cette solution tout en prenant ma part de responsabilité et de risque, une fois l’assaut décidé, en restant à leur côté jusqu’au bout. Fort heureusement ces deux armes servaient uniquement à repousser les tentatives de nos ravisseurs de se saisir de comme boucliers humains alors que nous étions réfugiés dans un coin obscur de la grotte pendant tout le temps de l’assaut. Quatre balles sur les dix contenues dans les barillets des deux petits révolvers étaient tirées par les deux GIGN mis en possession de ces armes.
Sans remettre en cause la volonté sincère de Philippe Legorjus de négocier j’ai peine à croire qu’il ait pu s’impliquer autant dans la préparation de l’assaut de la grotte sans avoir été intimement convaincu de la nécessité de cette intervention dont il soulignait l’urgence une fois les armes rentrées dans la grotte.
En réalité Philippe Legorjus n’a jamais été en mesure de résoudre la libération des otages par la négociation et il est tout à fait faux d’énoncer, comme le fait Mathieu Kassovitz dans l’interview qu’il donne au journal Nice-Matin, le 11 septembre 2011, que Legorjus «croit dur comme fer qu’il va arriver à résoudre le problème par la négociation, alors que la décision de donner l’assaut a déjà été prise, et qu’on ne fait que l’instrumentaliser. » 
Quant à la médiation Pisani, qui peut croire un instant qu’elle aurait reçue l’accueil enthousiaste d’Alphonse Dianou et de ses amis indépendantistes alors que celui-ci est à leurs yeux le responsable politique de ‘l’assassinat’ d’Eloi Machoro.





Ouvéa, le témoignage inédit de Jean Bianconi (3). Les exécutions sommaires après l'assaut


Plus graves sont les allégations « d’exécutions sommaires » après la reddition des preneurs d’otages proférées par Philippe Legorjus.
Contrairement au rôle qui m’est prêté dans le film je ne suis jamais intervenu pour « arrêter le massacre ». Je suis sorti de la grotte par la cheminée latérale en même temps que tous les otages et après la fin des opérations d’assaut. Plus aucun coup de feu n’a été tiré en ma présence et celle du général Vidal aux cotés duquel je me trouvais à compter de cette sortie. Je suis par contre intervenu auprès des militaires qui avaient rassemblé indistinctement dans un coin du cratère ravisseurs, porteurs de thé et anciens de la tribu de Gossanah, et même s’en prenaient à leur collègue mélanésien Samy Ihage, pour faire mettre à part ces derniers. J’intervenais à nouveau, au cours de l’après-midi, pour faire cesser des brimades à l’encontre des ‘porteurs de thé’ alors qu’ils étaient gardés, mains sur la tête et à genoux, dans une salle de l’école à Saint Joseph.
La mort d’Alphonse Dianou pose par contre un problème d’une toute autre gravité. Dans les minutes qui ont suivi notre sortie de la grotte je me suis longuement entretenu avec lui alors qu’il était allongé sur une civière, perfusé, un pansement au genou, son casse-tête fétiche entre les bras. A ma  question de savoir pourquoi il n’avait pas rendu les armes dès le premier assaut, ce qui aurait préservé la vie de plusieurs de ses compagnons, Alphonse m’a rappelé sa détermination totale à aller « jusqu’au bout de son engagement». J’ai pu constater, avant de le quitter pour rejoindre les officiers de police judiciaire chargés des premières constatations, qu’il avait toute sa lucidité et que sa blessure, pour grave qu’elle soit, ne semblait pas mettre sa vie en danger. Il n’est pas contesté, et l’enquête de commandement l’a établi, que des actes d’une extrême violence ont entraîné sa mort pendant son transport vers l’hôpital, après qu’il ait reçu les premiers soins que nécessitait son état.
Hormis ces faits condamnables je n’ai pas constaté d’exécutions sommaires après la fin des opérations d’assaut et ne peut donc me prononcer sur la véracité de ces allégations.
J’observe toutefois que les récentes déclarations de Philippe Legorjus, qui met en cause « des hommes du 11 ème choc et un gradé de l’EPIGN » dans ces exécutions, (journal Le Monde du 3/11/2011) sont en totale contradiction avec celles qu’il tenait le 12 mai 1988 dans une interview au journal Les Nouvelles Calédoniennes où il rendait un pseudo hommage aux « morts kanaks, tous tombés les armes à la main. »
Si, comme il le déclare aujourd’hui, « les débriefings ont bien montré qu’il y avait eu exécutions », il se devait de dénoncer immédiatement les auteurs de ces exécutions – GIGN ou autres - et ne peut regretter hypocritement aujourd’hui un défaut de sanction des « dérapages des forces de l’ordre » auquel il a contribué par son silence (voir interview du 3/6/2011aux Nouvelles-calédoniennes.)

Ouvéa, le témoignage inédit de Jean Bianconi (4). La morale


Je ne reproche pas à Mathieu Kassovitz de mêler dans son scénario faits avérés et fiction, et de prêter au ‘héros’ de son film,  et ‘pour sa plus grande gloire’ une stature morale et héroïque qui ne peut que faire sourire ceux qui ont servi sous ses ordres à Ouvéa.
Je lui reproche, en revanche, dès lors qu’il prétend avoir voulu « approcher de la vérité » (Paris Match du 2/11/2011), de n’avoir pas pris plus de distance avec la version des faits qui lui a été servie par Philippe Legorjus.
Où est la morale lorsque la version des faits qui nous est donnée aujourd’hui est aussi éloignée de la vérité. Faux la libération des otages sur le point d’aboutir par la négociation. Mais faux, également, le révolver pointé sur la tête de Philppe Legorjus et les coups portés par Lavelloi et Hilaire pour l’obliger à faire venir six de ses hommes ; c’est un gendarme qui était face au fusil d’Hilaire, mais ni Legorjus ni moi n’avons été directement menacés. Le discours d’accueil d’Alphonse Dianou a été particulièrement rude et exalté mais il n’est pas nécessaire d’en rajouter. Hilaire Dianou, comme tous ses compagnons, s’est toujours comporté correctement à mon égard comme à l’égard de Legorjus pendant le peu de temps où il est resté dans la grotte. Faux le transport par Philippe Legorjus d’un gendarme à l’extérieur de la grotte. Faux encore les allers et retours de Philippe Legorjus entre le PC du général et la grotte. Faux les critiques portées à l’encontre des politiques. Faux la proposition par Alphonse de faire venir des journalistes dans la grotte ; ce n’est pas Alphonse Dianou mais Legorjus qui a proposé par radio la venue de journalistes par hélicoptère dans la grotte pour, soi-disant, lui permettre d’exprimer ses revendications mais, en réalité pour masquer l’arrivée des forces de l’ordre. Faux, enfin, l’interdiction par Bernard Pons à Legorjus de retourner dans la grotte. Ce n’est pas le ministre (Gilbert Picard ‘L’affaire d’Ouvée’, page 128) qui a pris cette initiative mais Legorjus qui l’a sollicitée « craignant pour sa vie s’il retournait dans la grotte. »
Mathieu Kassovitz qui prête avec talent sa voix à l’évocation de grands moments de l’histoire de la deuxième guerre mondiale devrait savoir qu’il est du rôle de l’historien de se démarquer des assertions non corroborées par les faits.
(...) Le film pousse jusqu’à la caricature l’opposition bons kanaks, gendarmes respectueux de la loi, méchants militaires. Les menaces quotidiennes contre les otages GIGN, la fatigue et l’angoisse des gendarmes détenus depuis plus de dix jours, sont soigneusement oubliées. De même les coups de feu tirés dans notre direction pendant l’assaut et les vociférations d’Alphonse, plusieurs fois répétées, que nous mourions tous avec lui au fond de la grotte.
Quant aux supposées tactiques politiciennes de Mitterrand  et Chirac, qui seraient la raison profonde de la décision de donner l’assaut, elles n’ont jamais effleuré l’esprit des otages. Pour ma part je n’ai jamais eu le sentiment que cette décision  avait été l’enjeu d’un combat politique, et que Bernard Pons et le général Vidal n’avaient d’autre préoccupation que de trouver - avec le moins d’effusion de sang possible - le moyen de libérer au plus vite les otages, compte tenu de l’impasse dans laquelle se trouvaient les négociations et le danger permanent qu’encouraient les GIGN (...)
L’histoire d’Ouvéa - la vraie -, pas celle réécrite par Legorjus, n’est pas aussi simple et méritait mieux qu’une critique préconçue et à charge des seuls responsables politiques et militaires de cette opération. Quelle que soit la sympathie que l’on porte à la cause canaque la vérité oblige à dire que les kanaks, le bureau politique du FLNKS - comme tous ceux qui y ont été impliqués à un titre ou à un autre -  ont aussi leur part de responsabilité dans cette tragédie.
Mathieu Kassovitz aurait été mieux inspiré de suivre le conseil du professeur Jean Guiart qui, à la suite de la parution de l’ouvrage du général Alain Picard ‘Ouvéa quelle vérité ?’, écrivait à l’auteur, « après un commentaire acéré du livre », que son récit « aidera à rééquilibrer les jugements futurs sur l’affaire d’Ouvéa…Je le recommande à la lecture de la nouvelle génération indépendantiste, afin qu’elle apprenne que tout n’est pas toujours, seulement en blanc et noir (page 335).»
On pouvait, par contre, attendre un plus de rigueur morale, de discrétion et de modestie de la part de Philippe Legorjus qui (...) n’a pas assumé son rôle d’officier, en se mettant à la tête de ses hommes. Contrairement au rôle qu’il se donne dans le film ce n’est pas lui, mais le lieutenant-colonel Doucet qui dirige le premier assaut, et c’est le lieutenant Thimothée qui est à la tête du GIGN à cet instant.
Dans l’interview du 3 juin 2011 donnée aux Nouvelles calédoniennes Philippe Legorjus déclare « qu’il a « des sentiments confus sur cette partie du film, sur la façon dont j’accompagne l’assaut… » On peut comprendre ‘la gêne’ qui est la sienne à s’exprimer sur ce point, lorsqu’on sait qu’il s’est prudemment tenu à l’arrière du front lors de cette première tentative de délivrance des otages (...)
Les commandants Doucet et Jayot du 11ème choc et du commando Hubert, le colonel Laurent Thimothée, à l’époque lieutenant, qui a conduit le premier assaut à la tête des GIGN et a été gravement blessé à la tête, le chef Grivel, aujourd’hui capitaine, lui aussi sérieusement blessé, et bien d’autres encore, GIGN ou militaires des forces spéciales qui ont participé à ces deux assauts, auraient sans doute beaucoup à dire, s’ils n’étaient tenus au devoir de réserve, sur ‘la façon’ dont le capitaine Lergorjus - qui aura été, quand même, le seul à gagner des galons dans cette affaire -, a effectivement ‘accompagné’ l’assaut. Le témoignage du chef Michel Lefevre, qui a conduit le deuxième assaut, est à cet égard édifiant (Fayaoué magazine n° 85).
Lors des différents ‘débriefings’ qui ont suivi le retour à Satory du GIGN Philippe Legorjus refusera toujours de s’expliquer sur ses choix de ne pas faire reculer le groupe lors du premier contact avec les ravisseurs - qui aura les conséquences que l’on sait pour Picon et ses cinq compagnons -, de ne pas faire venir en renfort leurs camarades en attente à Nouméa, son ‘absence’ pendant l’assaut, se contentant de dire à ceux qui demandaient des explications « si vous n’êtes pas d’accord vous pouvez venir signer votre démission dans mon bureau. »
Il est consternant de constater que cet homme, assoiffé de notoriété, qui se rêvait dès les premiers instants de notre captivité, ‘en préfet, décoré de la légion d’honneur, qui allait écrire un livre’, qui se veut la conscience morale de cette opération militaire, cherche à exploiter pareille tragédie, dans le seul but de revenir sur le devant de la scène et régler ses comptes personnels....

Tels sont les les principaux points de la déclaration de Jean Bianconi, qui donne plus de vingt ans après, sa version de l'affaire d'Ouvéa. 
M. Kassovitz a réalisé un long métrage. P. Legorjus a écrit deux ouvrages, le général Vidal lui a répondu dans un autre, le général Picard a écrit un livre très documenté en 2008 (Ouvéa, quelle vérité, LBM 2008)... Des documentaires (dont certains militants) ont été réalisés. Et puis, juste après l'affaire, quelques journalistes (dont je suis) avaient déjà écrit.
Il faudrait maintenant regarder cette affaire de manière apaisée. L'heure des historiens n'est-elle pas enfin venue ?

jeudi 17 novembre 2011

Otages et services


Prendre des humanitaires, des journalistes en otages est très rentable pour ceux qui en font commerce, souvent sous un vernis idéologique. Avec les diplomates, ce sont généralement les hommes de l’ombre, des services secrets et en particulier de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) qui sont chargés d’obtenir leur libération. Ce qui a largement contribué à faire évoluer la perception de l’opinion publique, la DGSE n’étant plus, en effet, racontée systématiquement en termes de méfiance. Cette approche  nouvelle permet, optiquement, de ne plus apercevoir uniquement des "barbouzes" dans ce service mais de considérer ces collaborateurs comme des agents de l'Etat prenant, dans une semi ou une totale obscurité, des risques réels, justifiant, de fait, leur place dans la chaîne du renseignement (l’un d’eux, « Denis Allex » est détenu en Somalie depuis le 14 juillet 2009). C’est un paysage nouveau qui se dessine, qui les « exfiltre » de la marginalité. Eux-mêmes ayant effectué une "révolution", en créant un poste de chargé de communication. A l’indifférence de la société française pour la culture du renseignement, cette petite communauté doit toujours faire face à la méfiance des politiques et inversement. Mais dans les différentes occasions que constituent la libération ultra-médiatisée de journalistes ou plus discrètes d’humanitaires, les services secrets, ont opportunément prouvé disposer de savoir-faire, sans mot délier.

mercredi 16 novembre 2011

Le statut d'otage

Otages d'Ouvéa dont on parle beaucoup cette semaine, otages du Yémen libérés ces dernières heures, journalistes otages. 
Le 4 mai 1988, les trois derniers Français retenus au Liban, Marcel Carton, Marcel Fontaine et Jean-Paul Kauffmann sont libérés. Les deux premiers, diplomates ont été enlevés à Beyrouth le 22 mars 1985. Deux mois plus tard, c'est au tour du journaliste d'être kidnappé avec le chercheur Michel Seurat (dont la mort sera annoncée le 5 mars 1986). Il y a quelques années, nous réfléchissions avec Jean-Paul Kauffmann sur le "statut" d'otage. Il dit : J'ai vite appris après ma libération qu'on peut être libre sans être délivré. La nuance est d'importance. Cette liberté que tout captif ne cesse d'imaginer dans sa prison et qui se réalise ne signifie pas qu'il est soudain exempté de tous les tourments qu'il a subis. A plus forte raison quand il appartient à une profession, le journalisme, qui ne révère que l'instant et l'immédiateté. Le temps, qui est l'épreuve suprême pour le captif, ne finit pas de se venger une fois qu'il est libre ...).
J'ignore si dans les geôles libanaises, j'ai appris la patience, mais j'ai perdu l'impatience. Cette épreuve a probablement tué le journaliste. A-t-elle ressuscité l'homme ?

mardi 15 novembre 2011

Goran Franjkovic


Le 11 novembre, j’évoquais la mort du légionnaire en opération extérieure. Hier, un sapeur du 2ème REG a été tué dans la vallée d’Alasay, en Afghanistan où il venait d’arriver, un autre y a été blessé. Que sait-on de Goran Franjkovic ? Rien aujourd’hui mais l’objectif de ce jeune serbe était vraisemblablement de se construire un nouveau destin. Qui a été bref ! Le civil est devenu lors de son recrutement, légionnaire puis après sa formation, militaire puis dans son régiment, soldat. Celui-ci, depuis l’Antiquité assume un risque qui a traversé les siècles : l’engagement peut emporter sa vie d’homme, souvent très jeune. Ses compagnons d'armes, connaissent ce prix. Leur colère, (en Afghanistan, à Saint-Christol (2ème REG), dans la communauté, chez les anciens) est ce matin perceptible mais ne réduit pas leur détermination à assumer leurs responsabilités. Goran Franjkovic va rentrer dans les prochaines heures. Sa dépouille, à Paris, sera saluée par des hommes et des femmes qui se donnent désormais rendez-vous pour rendre hommage à ces hommes morts, là-bas, si loin, dans un contexte que le politique a du mal à nommer. Il est le vingt sixième militaire « mort pour la France » en Afghanistan cette année, le huitième légionnaire tué en opération extérieure depuis 2001.

dimanche 13 novembre 2011

La mémoire d'Ouvéa


Ouvéa ne s’est pas terminée en 1988, mais un an plus tard, avec l’assassinat sur cette même terre, des chefs de file indépendantistes Yeiwéné Yeiwéné et Jean-Marie Tjibaou. Ce dernier ayant signé, quelques mois plus tôt, les accords de Matignon, avec le leader anti-indépendantiste, Jacques Lafleur. Des accords obtenus par l’engagement de Michel Rocard, qui allaient mettre un terme au cycle de violence.
Mesure-t-on, aujourd’hui, les effets assourdissants causés en Nouvelle-Calédonie, (dans tous les milieux), par cette affaire ?
Le film de Mathieu Kassovitz « L’ordre et la morale » actionne les souvenirs. Jusqu’ici des livres, des documentaires y ont été consacrés. M. Kassovitz a lui-même, dit-il dans ses interviews, mené une enquête de dix ans. Avec ses collaborateurs ils ont  rencontré certains des acteurs, des familles, des proches pour écrire un scénario. Il revendique un engagement qui n’a pas été partagé par toutes les familles d’Ouvéa, puisque le film n’a pu y être tourné.
M.Kassovitz, dessine au travers de ce long métrage les ressorts de l’affaire, son contexte, les rapports Elysée-Matignon entre les deux tours d’une élection présidentielle. Et les jeux d’ombre. Autour de son héros (qu’il joue lui-même), une opposition gendarmes/armée de terre. C’est un message fort qu’il veut envoyer. Des acteurs de l’époque eux, le contestent. Je l'ai déjà écrit dans un post précédent, le rôle confié à l’ex-chef du GIGN pose également problème à un certain nombre de témoins, de subordonnés. Après l’affaire, les journalistes se souviennent aussi que M. Legorjus n’était pas dans la critique qui est la sienne aujourd'hui. 
Il est maintenant nécessaire que les historiens s'emparent de ces pages calédoniennes. Afin que le lecteur d’archives puisse dégager, sûrement, d’autres informations.
Le présent du passé, c’est la mémoire. A qui appartient celle d’Ouvéa ? 
Jeudi soir, le directeur de la Maison de la Calédonie à Paris a pris l’initiative d’une projection privée dans le quartier de l’Opéra. Ensuite, le public s’est retrouvé avec certains des protagonistes. C’est une initiative courageuse car la Maison de la Nouvelle-Calédonie est gérée par les autorités de l’archipel, qui sont elles mêmes divisées.
Joel Viratelle, (caldoche) qui dirige cette représentation, a eu le mot juste : Nous avons vécu beaucoup de souffrance, aujourd’hui, il faut raisonner en termes d’espérance. Avant lui, Maki Wea, élu indépendantiste d’Ouvéa, frère de Djubelly, l’homme qui a tué Jean-Marie Tjibaou et Yeiwéné Yéweiné, a expliqué qu’il avait accepté de jouer dans ce film pour envisager la réconciliation. Pour que l’on puisse se retrouver avec les familles de gendarmes à Ouvéa. Recevant l’approbation de Marie-Claude Tjibaou, veuve du signataire des accords de Matignon.
Ceci s’est déroulé à Paris. Les Calédoniens, eux, ne pourront pas voir le film dans le multiplex de Nouméa, son directeur ayant déclaré forfait, le jugeant "trop polémique et caricatural". Ils sont pourtant parmi les premiers concernés. Et si on les laissait simplement juger ?




vendredi 11 novembre 2011

Légion étrangère, mourir pour la France ou les soldats méconnus


Depuis 2001, sept légionnaires sont « morts pour la France» en Afghanistan et en Côte d’Ivoire. La formule, si elle est encore usitée dans les commémorations, est plutôt vide de sens pour une majorité de Français. Et pourtant…
Depuis 1831, la France confie des armes à des étrangers pour la défendre. Devoir absolu, devoir exorbitant, dérogatoire au droit commun. La Légion (7500 hommes) n’a aucun mal à recruter, tant ils sont nombreux à vouloir porter le képi blanc. Huit candidats pour un poste. Cet homme reste un mystère, car rompre avec son passé n’est pas naturel. Pourtant la Légion (146 nationalités représentées) n’est pas un refuge pour déclassés, pour garçons en cavale, en proie à des difficultés avec la justice comme la représentation le laisse, encore, à penser. Il y a des erreurs de casting bien sûr (qui jurerait n’en avoir jamais rencontrées dans son univers professionnel), mais ce sont le plus souvent des jeunes gens à la recherche d’un avenir, ayant subi des échecs scolaires, professionnels, familiaux (voire un chagrin d’amour), qui s’y présentent. Des hommes si motivés par un nouveau départ que certains économisent souvent des années pour financer leur voyage depuis les contrées improbables où ils résident, d’autres utilisant des moyens de fortune pour arriver en France, parfois sans visa. Sans garantie d’être recrutés.
Le sens commun induirait qu’un étranger s’engage dans l’armée de son pays. Soupçonnons-nous le choc culturel que représente ce choix ? Imaginons-nous, avec pour seul bagage notre anglais scolaire, tenter d’intégrer l’armée chinoise, l’armée américaine, l’armée turque ? Parmi ces hommes tués au combat, la majorité ne parlait pas un mot de français lorsqu’ils ont été recrutés. Par l’effort, la volonté, ils ont été intégrés. La Légion, outil de cohésion offre souvent une deuxième chance mais au prix de quelles exigences et de quels risques. Ils en ont pourtant accepté les règles.
Ayant accompagné, il y a quelques mois, des hommes du REP en Afghanistan, j’ai maintes fois abordé avec eux la question de la mort. Quelques-uns m’ont expliqué ne pas avoir prévenu leur famille de leur séjour afghan, que pourtant ils espéraient. « Pour ne pas les inquiéter ! ». Un autre m’a fait cette réponse qui correspond à la pensée générale militaire plus dépassionnée que dans le civil : « Si nous pouvons tuer, en retour nous pouvons être tués ! Ayant choisi le métier, je l’ai intégré.». Un autre légionnaire-parachutiste « Bien sûr que l’on pense à la mort…au début… ». Ces légionnaires, à 80 % des étrangers, connaissent tous ce prix : leur engagement peut emporter leur vie d’homme, souvent très jeune. C’est effectivement un destin de soldat ! 36 000 légionnaires sont morts depuis 170 ans.

jeudi 10 novembre 2011

Nouvelle-Calédonie avril 1988, Julie Akaro



Le journaliste est acteur parce témoin. "Témoin professionnel" comme l'écrit Michel Moutot, de l'Agence France Presse (AFP). Il y a des circonstances où on n'oublie jamais ce que l'on a vécu.
Après l'attaque de la gendarmerie de Faya-Oué (Ouvéa) et la prise d'otages, la situation est extrêmement tendue à l'est de la Grande-Terre, à Canala. Le 25 avril 1988, je pars y réaliser un reportage avec Nicolas Moscara, pour la 5, chaîne de télévision pour laquelle, je travaille alors. Voici le détail de cette journée, raconté naguère dans Opération Victor (1989).

(…) La Calédonie est devenue folle. L'épidémie gagne du terrain. Le lendemain (le 25), alors que nous filmons à l’entrée de Canala, notre équipe  est interceptée brutalement par les gendarmes de L’ELI (élément léger d’intervention) de Nouméa, au pied du Calvaire. Le moteur de notre voiture tourne. Ils ne me laisseront pas le temps de le couper. Les insultes fusent. Les gendarmes excités, nous conduisent manu militari dans leur VBRG (véhicule blindé de reconnaissance de la gendarmerie). Nicolas Moscara, le cameraman qui m’accompagne, reçoit un coup de crosse sur la tête. En nous interpellant, les gendarmes ont essuyé des tirs d’indépendantistes cachés à proximité, dans la végétation. Ils répliquent. Le serveur de la mitrailleuse s’énerve. Des rafales partent du véhicule. J’essaie d’avancer un mot. J’enregistre un tonitruant « Ta gueule ! ». Le voyage dans cet habitacle surchauffé dure moins de trois minutes. Nous arrivons à la gendarmerie forteresse de Canala. Le responsable régional (…) le commandant Fontaine, procède à un rapide contrôle d’identité qui se termine... au bar.
Seulement l’arrestation a tourné à la tragédie. Une vingtaine de minutes après notre arrivée, un Mélanésien demande à voir « le responsable des gendarmes ». Peu après, les visages se ferment. Plus un mot. On apprendra mais plus tard, à l’extérieur, qu’au cours de notre interception- qui ne s’imposait absolument pas- une jeune fille de dix-sept ans a été touchée par les tirs des gendarmes, à la mission catholique où elle se trouvait en spectatrice.  Je revois la réaction du médecin militaire auprès de qui nous voulions vérifier l’information qui, en guise de réponse, nous expulse du dispensaire. Et l’empressement de la hiérarchie à nous évacuer (…) en hélicoptère.
Comment oublier ce voyage ? Dans l’Alouette, sous notre siège, repose le corps de l’adolescente. « Une bavure ! » dira le pilote à un adjudant de gendarmerie lors de l’escale technique que nous ferons à Thio…


Nicolas Moscara conserve une empreinte très vive de cette journée. Journaliste-réalisateur,  (nicolasmoscara.com), il a consacré, ces dernières années, de nombreux documentaires et magazines à la gendarmerie et au GIGN. Il raconte souvent cet épisode aux gendarmes qu'il côtoie.


mercredi 9 novembre 2011

M. Kassovitz héroïse P. Legorjus



Vingt trois ans après, l’actualité d’aujourd’hui donc fait écho à celle d’hier. En 1988, la Nouvelle-Calédonie vivait l’affaire d’Ouvéa, aujourd’hui celle-ci revient par deux entrées : le film L’ordre et la morale que Mathieu Kassovitz lui consacre et qui sortira le 16 novembre ( qui multiplie les avant-premières en métropole) et un nouvel ouvrage Ouvea, la République et la morale (Plon) écrit par Philippe Legorjus, qui dirigeait le groupement d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) au moment des faits (voir également le quotidien Libération de ce 9 novembre).
En 1990, l’ex commandant du GIGN disait déplorer, dans un premier livre, La morale et l’action (Fixot) sa notoriété nouvelle, née de l’affaire. Aujourd’hui, M. Kassovitz, l’héroïse dans son long métrage. Pour résumer, son personnage central P. Legorjus, un homme qui n’a pas été écouté et qui aurait pu éviter qu’on en arrive là. Choix que le réalisateur explique ainsi dans la préface du dernier livre de l’ex-officier de gendarmerie : je n’aurais jamais approché ce personnage trouble pour certains, traître pour d’autres s’il n’avait pas été un héros pour moi quand, un an et demi après l’assaut d’Ouvéa, il fait le choix de se retirer, avec respect mais conviction, de la vie militaire pour redevenir un civil… afin de ne plus jamais obéir à des ordres quels qu’ils soient, à l’encontre de sa morale personnelle.
Car comme l’évoque le réalisateur, les prises de position de l’ex-chef du GIGN sur la gestion par les politiques du dossier (en métropole mais aussi en Calédonie), ses mises en cause ont suscité des critiques, des polémiques (voir post précédent). Certains lui contestent également le rôle qu’il décrit avoir joué et lui reprochent d’utiliser cette affaire comme un tremplin. Enfin, des ressentiments internes au GIGN ont été également exprimés. Lui balaie ces récriminations. « Ils ne veulent pas voir les évidences et cela me fait mal au cœur !» m’a-t-il répondu, il y a quelques jours. Extraits de cet entretien téléphonique :
-          En 1988-1989, vous n’étiez pas dans la critique ?
-          J’étais imprégné par le moule ; je gardais pour moi des choses discutables. Ce ressenti je l’ai exprimé plus tard.
-          Les reproches qui vous sont faits… ?
-          Je suis extrêmement fier de ce que j’ai fait à Ouvéa !
-          Le film de Mathieu Kassovitz fait de vous un héros…
-          Je n’étais pas favorable au film de Kassovitz. Il a mis du temps à m’apprivoiser...








mardi 8 novembre 2011

Ouvéa et les regards sélectifs


Dans le regard que beaucoup portent sur cette affaire, celle-ci se résume à sa conclusion et à son lourd bilan. Mais il ne faut surtout pas dissocier l'attaque de la gendarmerie, le 22 avril où deux gendarmes, sont abattus alors qu'ils étaient sans arme.
J’ai toujours eu le sentiment que cet épisode sanglant mettait mal à l’aise. Comme si on voulait l’oublier et ne retenir que la fin de l’histoire. Et ce, depuis la visite de la mission du dialogue à Ouvéa (mai 88), qui, si elle s’était recueillie devant le tombeau des Mélanésiens abattus lors et après l’assaut, n’avait pas prévu le même type d’hommage pour les quatre gendarmes. Une visite de la gendarmerie fut finalement réalisée à la dernière minute.


Ouvéa, la gestion de crise



François Mitterrand est à l’Elysée, Jacques Chirac à Matignon. Nous sommes dans l’entre deux tours des présidentielles. Quelle (s) réponse (s) à apporter à cette prise d’otages ? La plus classique aurait été de faire appel à la gendarmerie.
Sur instruction du Premier ministre, le haut-commissaire charge l’armée du maintien de l’ordre sur le territoire. « C’est un désaveu total pour nous gendarmes, désaveu qui en dit long sur la fébrilité du gouvernement, sur son agacement (…) Tout fait penser à un coup de tête d’un Premier ministre qui ne mesure pas les conséquences d’une telle décision » estime le général Alain Picard (gendarmerie) dans Ouvéa, quelle vérité ? (LBM 2008).  Ouvrage très documenté. Alors lieutenant-colonel, A. Picard est arrivé sur le territoire, le 22 janvier 1988. Le général Vidal, commandant les FANC (Forces armées de NC), est chargé d’exercer « le commandement et la coordination des forces à Ouvéa ». Auxquelles sont intégrées celles de gendarmerie. A l’heure où l’assaut est décidé, les commandos Hubert (Marine) et le 11ème choc de la DGSE y participeront avec le GIGN.

Ouvéa, 1988, 22 avril, premières images


Ce 22 avril 1988, jour où se déroule l’attaque de la gendarmerie de Faya-Oué (trois gendarmes tués, un qui succombera à ses blessures, vingt sept autres prisonniers), je suis à Nouméa, sur la promenade Pierre Vernier, ayant convaincu ma hiérarchie de la 5 que le Caillou pouvait exploser. C’est en écoutant un flash de France-Inter que j’apprends l’information. Avec une équipe de RFO et un photographe des Nouvelles Calédoniennes nous louons un avion privé et partons à Ouvéa. Arrêtés sur l’aéroport d’Oulup par les gendarmes mobiles, nous sommes détenus un moment dans un hangar puis libérés. Nous ne devions pas assister au transfert, dans un Transall, des corps des victimes. Toutefois, nous pouvons nous rendre à proximité de la gendarmerie de Faya-Oué où l’attaque a eu lieu. Voilà mon premier souvenir...

1988, le contexte


Une stagnation politique sévissait sur le Caillou (nom donné au territoire) depuis 1945. La Calédonie avait très tôt choisi la France libre et ce ralliement créait des perspectives, notamment celle de faire cesser au plus vite deux types de citoyenneté. Éliminer cette « anomalie » devenait indispensable, mais ce ne furent que de petits pas succédant aux déclarations d’intention. En la circonstance, il fallait donner du temps au temps... Au retour des volontaires du bataillon du Pacifique, le rendez-vous que la Polynésie (ex-Établissements français de l’Océanie) et la Nouvelle-Calédonie méritaient avec l’histoire n’eut pas lieu.
Au début des années 80, le sang coule. En 1981, Pierre Declercq, secrétaire général de l'union calédonienne est abattu à son domicile.
En 1983, deux gendarmes mobiles sont tués et six autres blessés. En 1984, Yves Tual, 17 ans est tué. Le haut-commissaire nommé, Edgard Pisani, décrète l'état d'urgence.
Cette même année, le 18 novembre, le coup de hache porté par Éloi Machoro (Union calédonienne) sur une urne, lors des élections territoriales  fit le tour de la terre. Le 11 janvier suivant c'est celui-ci qui sera tué.
Et puis, il y a, en 1987,  l’acquittement de sept Caldoches accusés d’avoir tué dix Canaques, le 5 décembre 1984. Parmi ces dix victimes figuraient deux frères de Jean-Marie Tjibaou.
Tous les éléments constitutifs d’un drame étaient réunis. 

lundi 7 novembre 2011

Ouvéa, Jean Bianconi le magistrat-otage



C'est un homme qui a toujours cultivé la discrétion. Jean Bianconi est alors substitut du procureur de la République à Nouméa. Venu négocier avec Alphonse Dianou, le chef des preneurs d’otages, il est retenu en compagnie du capitaine Legorjus, qui l’a accompagné et de six hommes du GIGN. Lui et l'officier joueront les émissaires et seront autorisés à sortir. C’est le magistrat qui introduira dans la grotte deux (petits) Smith et Wesson de calibre 38 et dix balles destinées au capitaine Picon (GIGN), qui protégera ainsi lors de l'assaut les otages retranchés au fond de la grotte. Délicate décision à prendre pour lui. Il s'accordera, le temps de la réflexion,avant de mener cette très dangereuse mission. 
En ces heures d’extrême tension, Bianconi a également sauvé la peau d’un autre gendarme (GIGN) Jean-Guy Pichegru que les indépendantistes voulaient exécuter. Ceci avec l’aide d’un autre otage, le gendarme mélanésien Samy Ihaje.


Ouvea, sur France 3, mardi 8 novembre

Le général Vidal qui commandait le dispositif militaire à Ouvéa, Bernard Pons, alors ministre des départements et territoires d'outre-mer, le réalisateur Mathieu Kassovitz et l'ex-responsable du GIGN, Philippe Legorjus seront demain soir sur le plateau de Frédéric Taddei, sur France 3 à 22h40 dans l'émission "Ce soir ou jamais". Un débat qui s'annonce vigoureux mais à recommander à ceux qui ne connaissent pas ou peu Ouvéa.

Ouvéa et la morale


Le film de Mathieu Kassovitz, les deux ouvrages de Philippe Legorjus ont pour point commun de faire appel à la morale : L’ordre et la morale (sortie le 16 novembre) pour le long-métrage, la morale et l’action (Fixot 1990) et Ouvéa, la République et la morale (Plon 2011) pour les ouvrages de l’ex commandant du GIGN.
Quelles que soient leurs motivations, on ne peut s’empêcher de relier ces titres. Traiter de la morale est un dessein ambitieux : rendre compte de ses valeurs à autrui ou réfléchir avec autrui sur des valeurs communes. Ces deux hommes se sont choisis. Le film est tiré du premier livre de Philippe Legorjus. Mathieu Kassovitz y a rencontré son héros. C’est ce que le réalisateur-acteur précise dans la préface du second livre de l’ancien officier de gendarmerie. La morale affirmée par l’un a convaincu l’autre, qui en a fait son combat. Mais la morale n'est l'exclusivité de personne.

Le 22 avril 1988, en Nouvelle-Calédonie, à Ouvéa (Loyauté), des indépendantistes attaquent la gendarmerie de Faya-Oué. Trois gendarmes sont tués, un quatrième décédera, trois assaillants sont blessés. Vingt sept gendarmes sont pris en otages et séparés en deux groupes. Les onze gendarmes qui composaient le premier sont libérés au bout de trois jours ; il faudra deux assauts, le 5 mai, pour libérer les autres retenus dans une grotte près de Gossanah. Dix neuf indépendantistes sont tués ainsi que deux membres des forces de l’ordre. Et des accusations d’exécutions sommaires -que j’évoquais en 1989 dans Opérations Victor (Editions universelles)- sont immédiatement lancées. La loi d’amnistie, ensuite adoptée, a exonéré de poursuites les responsables comme elle en a exempté les indépendantistes qui ont perpétré l’attaque de la gendarmerie et les auteurs (survivants) de la tuerie et de la prise d’otages.
Les trois événements que constituent l’attaque de la gendarmerie, la prise d’otages et l’assaut ne peuvent être dissociés si l’on veut tenter de saisir le comportement des différents acteurs. Mais deux points extrêmement importants doivent également être pris en compte :
-          la situation qui prévalait sur le territoire depuis 1945,
-          la tension politique qui régnait en métropole au moment de la prise d’otages. Nous nous trouvions au cœur de l’élection présidentielle, opposant un président de la République sortant (F. Mitterrand) et son Premier ministre de cohabitation (Jacques Chirac). La gestion et la conclusion de cette affaire, représentant un enjeu qui a dépassé tous les acteurs sur place.

Ceux-ci furent « otages » (sans mauvais jeu de mots) de cette échéance. Autre élément, pourquoi le FLNKS auquel on a reproché d’être pyromane mais pas pompier, s’est-il tu ? D’où la question inévitable, négocier rapidement mais avec qui ?
D’autant que le temps des politiques en métropole et l’affaire l’a prouvé, n’était pas le même que le temps calédonien. Une autre interrogation se pose immanquablement. Quel que soit le contexte, comment un Etat doit-il répondre à une telle prise d’otages ?
Si nous en revenons à notre actualité de novembre 2011, ce film et ces ouvrages convoquent notre raisonnement moral. MM. Kassovitz et Legorjus ont choisi d’interpeller notre conscience. L’ex-officier de gendarmerie le fait à partir de sa vérité. Le réalisateur en sa croyance d’une vérité. Les prises de position de l’ex-chef du GIGN ont entrainé, depuis quelques années, des réactions et des polémiques. Qui se sont exprimées au travers de plusieurs ouvrages. Lui reprochant « des critiques qu’il n’avait pas manifestées sur le terrain ou à l’issue de l’opération » et de s’approprier « un rôle qu’il n’avait pas joué». Chacun défend ses positions. C’est légitime. Spectateurs et lecteurs jugeront. Mais le débat est déjà vif. Qu'en pense-t-on en Calédonie ?




Merci de votre visite sur ce blog


Dans un premier temps, peut-être penserez-vous qu'il traite beaucoup de la Nouvelle-Calédonie, de préoccupations militaires..... Ouvéa et la Calédonie ont beaucoup marqué le jeune journaliste que j'étais dans les années 80. Je suis particulièrement attaché à ce territoire et continue de suivre, à distance, son actualité. 
Ces premières pages seront donc consacrées à Ouvéa. Le 11 novembre, je parlerai de la Légion étrangère. Ensuite, de sujets différents  car j'ai toujours été un généraliste qui compte le rester. Ceci régulièrement et je l'espère avec quelque intérêt pour vous.

J'espère donc mériter votre confiance.