Les espionnes de Marie-Laure Buisson

Un après Les femmes combattantes, Marie-Laure Buisson nous présente dans un nouvel ouvrage Espionnes*, six portraits d’agentes secrètes de différents pays et de camps opposés mais qui ont en commun, courage, maitrise de soi, force de conviction et de dissimulation. Un ouvrage très agréable à découvrir, en particulier grâce à la capacité de l'auteure de savoir parfaitement raconter les histoires des gens.


Il existe une filiation entre votre premier livre et celui-ci ; vos personnages sont des femmes combattantes ?
Oui, en effet, même si les espionnes ne s’engagent pas au front, les armes à la main, elles sont également des « femmes combattantes » dans le sens où elles servent une idéologie, une cause ou leur patrie avec la même ferveur et la même détermination que celles qui sont en uniforme.
La sud-africaine Sylvia Rafael a travaillé pour le Mossad car elle était profondément sioniste et obsédée par l’idée de garantir la sécurité des juifs dans le monde. C’est pour cela qu’elle a été sélectionnée par Tel-Aviv, notamment pour poursuivre les auteurs de l’attentat des Jeux olympiques de Munich en 1972.
Sonya (Ursula Kuczynski) était une fervente communiste allemande qui croyait dur comme fer dans l’avènement d’une internationale socialiste qui aurait à sa tête l’URSS. Prenant beaucoup de risques, parfois au péril de sa vie, elle a espionné les savants qui concevaient la bombe anglo-américaine et a pu transmettre les codes de la bombe nucléaire à Staline.
Justine de la DGSI et Christine de la DGSE sont des patriotes françaises, des combattantes de nos deux centrales de renseignement, intérieure et extérieure, profondément animées par l’idée de protéger leurs concitoyens.
Amaryllis, c’est une jeune américaine idéaliste qui a travaillé sous légende au sein de la CIA et poursuivi les marchands d’armes nucléaires. C’est une combattante humaniste, persuadée que même les terroristes peuvent entendre un discours de raison si on perce leur carapace.
Kim Hyun-Hee enfin est probablement la plus touchante des six espionnes racontées dans mon livre : depuis qu’elle est toute petite, elle a été manipulée psychologiquement par le régime de terreur de Kim Il Sung. Ce tyran opéra un lavage de cerveau sur tous les Nord-coréens, et cette jeune femme a été amenée à commettre un attentat atroce puisqu’on l’a persuadé qu’un tel acte servirait la grandeur de sa patrie. Elle était convaincue de la justesse de la cause pour laquelle elle se battait alors qu’elle n’avait pas les moyens d’appliquer un esprit critique sur ses actes.
Ce sont des actrices de la "guerre de l'ombre" ?
Absolument. Le renseignement ou l’espionnage sont des métiers où l’humilité et la discrétion sont fondamentales. Dans une société où tout le monde cherche à se mettre en avant, notamment à travers les réseaux sociaux qui donnent à voir chaque instant de nos vies, chaque photo de nos vacances, le monde de l’espionnage a des exigences qui vont à rebours de la mode.
Je me souviens d’une conversation avec une jeune femme de la DGSE : celle-ci m’avait confié que lorsqu’on lui posait la question de son activité professionnelle dans des dîners, elle répondait, invariablement être comptable dans une entreprise d’aliments pour chiens. Pourquoi ? « Quelle question voulez-vous poser à une personne qui exerce un tel métier ! » m’a-t-elle rétorqué. Ainsi pouvait-elle conserver le secret autour de ses activités, sans que quiconque risque de venir lui poser des questions indiscrètes …

Comment en êtes-vous arrivée à ce casting ?
Comme pour mon premier livre Femmes combattantes, j’ai voulu présenter des espionnes de tous les pays et de toutes les époques, afin que le lecteur puisse se faire son idée sur le point commun entre toutes ces femmes qu’elles soient asiatiques, américaines, européennes ou de culture africaine.
Par ailleurs, j’ai sélectionné celles qui m’ont le plus touché, qui m’ont paru le plus sincères, même si dans le fond l’histoire a prouvé que certaines s’étaient trompé dans leur combat.

Comment justement devient-on espionne ?
C’est une bonne question. Les espionnes existent depuis toujours, et durant des siècles, c’était un peu « l’occasion qui faisait le larron » qui servait de méthode de recrutement. Ainsi, lorsqu’une jeune femme se trouvait dame d’atour d’une reine, elle était souvent recrutée par des puissances étrangères pour écouter les secrets de la souveraine.
Et n’oublions pas que la Bible elle-même est truffée de référence aux espionnes, que ce soit Judith, qui tranche la tête du Général Holopherne ou Dalila, qui force Sanson à lui révéler le secret de sa force, avant de lui couper les cheveux !
Mais de nos jours, le mode de recrutement est très différent. Il s’est professionnalisé. La DGSE, par exemple, recrute régulièrement sur concours des ingénieures de l’armement, des analystes d’images satellites, des traductrices, et même des couturières ! Les espionnes que j’ai pu rencontrer sont des femmes diplômées, entraînées, qui jouissent de qualifications très spécifiques, et qui, pour certaines (pas toutes) ont participé à des formations leur permettant de déjouer une filature, d’utiliser un 9mm, ou d’engager un combat au corps à corps.
Ce métier qui réunit ces femmes, est-ce une activité extraordinaire effectué par des gens ordinaires ou un métier ordinaire effectué par des gens extraordinaires ?
Toutes les femmes que j’ai eu la chance de rencontrer au sein de la DGSE et de la DGSI m’ont dit qu’elles exerçaient un métier extraordinaire, tout en étant des personnes ordinaires. Elles n’ont pas le sentiment d’être supérieures aux autres ni exceptionnelles mais, en revanche, elles ont bien conscience qu’elles exercent une activité extraordinaire, qui peut les mettre dans des situations dangereuses. Elles savent qu’elles prennent des risques et côtoient parfois des personnages peu recommandables dans des pays qui ne sont pas des démocraties et liquident leurs adversaires ou leurs ennemis sans procès. Mais elles acceptent leur sort, car seul le sens de la mission les anime.

Avez-vous eu des retours des différents employeurs de ces six "Espionnes" ?
Oui. J’ai eu des retours très positifs. La DGSI a même publié un podcast sur son site dans lequel je suis interviewée par leurs agents. Il est vrai que j’ai passé beaucoup de temps avec les femmes de la DGSI et de la DGSE et je crois savoir quelles ont été heureuses que leur engagement et leur courage soient mis en avant dans mon livre !

Espionnes, Les presses de la cité. Femmes combattantes a été publié chez le même éditeur.

Copyright photo : MLB

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