mercredi 31 mai 2023

La révolte des jeunes après la défaite de 1940, analysée par François Broche


Dans son dernier ouvrage « Ils n’avaient pas 20 ans » (Taillandier), François Broche raconte l’engagement de jeunes filles ou garçons anonymes qui ont dit  « non » à la défaite, l’Occupation, Vichy et le régime de l’État français. Ils avaient pour point commun d’être jeune, très jeune. Ils s’appellent Jeanine Morisse, Léon Bouvier, Louis Cortot, Jacqueline Fleury, Pierre Ruybet, Mathurin Henrio, tué alors qu’il avait 14 ans...

François Broche, ces jeunes gens s'engagent pour "faire quelque chose"?
C’est la motivation qui est partagée par tous les jeunes résistants, à côté d’autres motivations plus précises, comme les origines familiales ou régionales, les raisons d’ordre spirituel ou moral, la révolte devant la défaite ou le souvenir de la Grande Guerre. « Nous avions un vocabulaire extrêmement simple, disait Anise Girard : nous disions ‘’faire quelque chose’’, on faisait ou on ne faisait pas. » Faire quelque chose, cela commence par des actions de fourmis dont parle Colette Marin-Catherine, une « petite main » de l’Organisation civile et militaire, qui commence par confectionner des gerbes de fleurs pour les tombes des résistants fusillés.

On ne peut comprendre cette mécanique si on ne tient pas compte de cette humiliation immense née de la défaite de 1940 ?
La révolte devant la défaite - qui n’est pas seulement militaire, mais aussi et surtout morale - est un puissant facteur d’engagement. « Je ne supportais pas l’idée de la défaite, je voulais me battre », dit Pierre Lefranc. Et, bien sûr, ils ne supportent pas non plus l’Occupation : Berty Albrecht confie qu’elle en a tellement souffert qu’elle a tout de suite trouvé « les moyens de leur faire le plus de mal possible ». Le futur pilote du groupe Lorraine, Jacques de Stadieu veut « casser la gueule aux Allemands, les foutre dehors ».

La révolte de ces jeunes garçons, de ces jeunes filles est individuelle ?
Elle revêt toutes les formes, elle est à la fois individuelle et collective. On commence par tracer des « V » sur les murs, par déchirer les affiches collaborationnistes, par distribuer des tracts. Ces simples actions incitent à rejoindre un groupe de résistance, car la révolte individuelle marque vite ses limites. Les actes collectifs sont évidemment plus efficaces, plus spectaculaires, comme la fronde des étudiants de Paris le 11 novembre 1940 ou les sabotages exécutés par les cinq lycéens de Buffon, qui seront fusillés le 8 février 1943.

Des jeunes gens "orgueilleux d'être français" pour reprendre la formule utilisée par Colette Marin-Catherine ?
Elle emploie cette expression à propos de son frère, un garçon de 19 ans mort à Dora en mars 1945. Il est vrai que « la veine patriotique », pour reprendre une expression de Jean-François Muracciole dans son étude de référence sur la sociologie des Français libres, est importante, mais il me semble que ce qui prime tout de suite, c’est le caractère insupportable, physiquement insupportable, de la présence allemande.

Face à pareille situation, peut-on imaginer comment se comporteraient ces filles et ces garçons qui ont 20 ans en 2023 ?
Je suis historien, non futurologue ! Cela dit, je me sens en accord avec le général Simon, l’ancien chancelier de l’Ordre de la Libération. Dans son avant-propos à mon album sur Bir Hakeim, il s’interrogeait sur l’état d’esprit des jeunes générations « en cas de circonstances graves » : « En y réfléchissant, écrivait-il, je ne vois pas de raison sérieuse de douter des jeunes générations. Je suis sûr qu’elles se révéleraient dans l’action, dès qu’elles prendraient conscience de la faillite des responsables. Bien sûr, nous avions reçu une éducation, nous avions des principes, nous croyions à des valeurs qui n’ont plus cours aujourd’hui […]. Il me semble que, dans une tragédie comparable – au moins par son envergure – à celle de 1940, elles pourraient être réactivées. Il me plaît de le croire parce que je ne veux pas mourir complètement désespéré. »

lundi 29 mai 2023

"Louve Alpha" de Vincent Crouzet, la France contre Wagner et Wagner contre la France

 


Après Cible Sierra puis "Sauvez Zelenski", voici "Louve Alpha" (Robert Laffont). Troisième roman consacré au Service action de la DGSE et plus précisément à son chef, le colonel Coralie Desnoyers. Dont l’auteur, Victor K. alias Vincent Crouzet, ancien collaborateur du service de renseignement extérieur français, retranscrit avec efficacité, "les émotions cachées" au cœur de l'actualité et de la cruauté du monde.

 

Précédemment, vous me disiez attendre un retour éventuel du président ukrainien, après la sortie de "Sauvez Zelensky". L'avez-vous eu ?

Je n'ai pas eu de retour, mais je comprends que le président ukrainien, et son cabinet aient des choses plus importantes à traiter. Ma série chez Robert Laffont n'est qu'une fiction, certes très proche de la réalité, et donc demeure un divertissement. Enfin "Sauvez Zelensky !" n'est en rien une hagiographie...

 

Dans ce nouveau roman "Louve Alpha", nous retrouvons le colonel Coralie Desnoyers, chef du service action, au coeur "des fractures du monde" pour reprendre une expression qui vous est chère ?

Je suis de plus en plus attaché à mon héroïne. Chaque saga compte un personnage central. Coralie Desnoyers, alias Athéna, représente la pierre angulaire de son unité. Dans le roman d'ouverture de la série, "Cible Sierra", je l'installais à son commandement. Dans le second opus, "Sauvez Zelensky !", elle devait "encaisser" le choc de l'engagement du SA au coeur d'un conflit de haute intensité. Cette fois, elle doit faire face à la vengeance du Kremlin contre la France. J'essaie de retranscrire les émotions souvent cachées d'un chef d'unité, notamment celles qui concernent la sécurité de son effectif. Coralie vit et souffre avec ses agents. Elle fait corps avec son personnel, ce qui ne manque pas de la placer, aussi en difficulté. Jusqu'où un chef doit-il, et peut-il s'impliquer ? 

 

Bakhmout, Wagner, Prigojine, Poutine, c'est devenu votre "marque de fabrique" de coller à l'actualité ?

Exactement. Nous avons pris avec mon éditrice, Françoise Delivet, le parti d'inscrire pleinement les intrigues dans la conjoncture. C'est le principe de la série. Et j'y prends, aussi, un immense plaisir, en fait un vrai luxe d'écrivain : celui d'écrire la petite histoire dans la grande. Je plonge mes personnages dans les conflits en cours, me permettant, aussi, de dépasser certaines impatiences personnelles, imaginant, notamment dans "Louve Alpha", les mesures de rétorsions de la France contre Wagner. Et en repartant, finalement, "sur la route" avec l'effectif de ce Service Action, je comble aussi une frustration : lorsqu'on a parcouru les zones de crises pendant plus de 20 ans, devenir presque sédentaire et rester observateur d'un monde qui s'affronte, ce n'est pas si facile...  

 

Combien de temps pour l'écrire ?

J'essaie de me bloquer trente jours pour écrire un premier jet. C'est une période courte, un effort d'écriture compact, m'obligeant à rester dans l'action, avec mes personnages. Cela signifie la mise en place d'une petite schizophrénie d'auteur, maîtrisée. Mais comme je prends du plaisir à retrouver mes personnages, c'est finalement assez simple. 

 

"Louve Alpha" c'est un peu la saison 1 d'une série télévisée. Le dernier épisode -ici la dernière page- implique une suite ?

Je me projette toujours sur "l'après". Nous avons conçu et imaginé cette série sur le long terme. C'est ainsi que Sophie Charnavel, directrice générale de Robert Laffont, nous fait confiance pour décliner "Service Action". Désormais, à chaque évènement marquant dans le monde, j'imagine comment je peux y glisser "mon" unité... Évidemment, la suite de "Louve Alpha" est déjà en cours d'écriture. 

 

Toujours pas de réactions de la "Boîte" à vos livres ?

 S'il y en avait, je n'en ferais pas part. Ce que je peux en dire : je sais que la série provoque deux types de réactions. Les premières consistent à mal prendre le principe de fictionner le fonctionnement du Service. Je les comprends, comme je comprends le concept de secret absolu défendu par certains. La plupart des agents DGSE ne sortiront jamais de l'ombre. Et ce sera légitimement leur fierté, et surtout leur honneur. D'autres considèrent que la fiction permet de communiquer positivement sur cette maison, comme de très nombreux auteurs anglo-saxons ont su le faire pour la CIA et le MI-6, renforçant la puissance, à travers le roman et le cinéma, des agences de renseignement, à l'instar du "Bureau des Légendes" pour la DGSE. J'en suis persuadé, et c'est mon credo : la fiction est aussi une arme de guerre.  

 

Ecrire sur la DGSE, c'est savoir ne pas franchir certaines limites ?

Oui. Avec "Service Action", je marche sur une ligne de crête. J'ai grandi à la montagne. Je sais ce que cela implique : rester concentré. Et en l'occurrence : ne rien dévoiler de sensible. Je nourris l'information ouverte de mes ressentis, et de mon expérience passée. De toutes les manières, la Boîte lit mes romans bien avant les parutions. Ce sont mes premiers lecteurs. En cas de souci, ils sauraient bien entendu me le faire savoir. Je n'attends pas d'imprimatur, mais je resterai attentif aux préventions. Finalement, on demeure toujours, même comme écrivain, surtout comme écrivain, au service de ses engagements. 

jeudi 25 mai 2023

La France Insoumise et la DGSE

Depuis lundi, les députés examinent la loi de programmation militaire qui sera débattue pendant une quinzaine de jours. Celle-ci planifie 413 milliards d’euros de dépenses militaires jusqu’en 2030, dans un contexte international extrêmement complexe.
Avant cette discussion dans l'hémicycle, LFI avait déposé un amendement, examiné en commission, demandant que la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) dispose d’environ cinq milliards de crédits. Expliquant ainsi que le groupe LFI-NUPES souhaite ajouter 400 millions d’euros au budget prévu pour le renseignement. « Lors de son audition devant le Sénat, le ministre a relativement détaillé le fléchage des dépenses prévues. La DGSE bénéficierait de 4,6 milliards d’euros, la DRM de 600 millions d’euros et la DRSD de 133 millions d’euros. Or, lors de son audition devant la commission de la défense de l’Assemblée, le directeur général de la sécurité extérieure a exprimé son souhait d’obtenir un budget « tangentant les 5 milliards d’euros ». Ainsi, le groupe LFI-NUPES souhaite doter la DGSE des moyens suffisants pour qu’elle puisse remplir au mieux ses missions. »
Amendement rejeté de même que celui, portant la même signature, souhaitant que « la direction générale de la sécurité extérieure soit dotée de 25 % de personnels militaires, hors service action » .

samedi 13 mai 2023

Le journaliste collaborateur et la Légion d’honneur


L'hebdomadaire deviendra ensuite l'organe du parti français national collectiviste

En 1939, Lucien Pemjean a 78 ans. Et une longue carrière de journaliste. Tendance nationaliste antisémite. Il y a peu, il dirigeait le bureau parisien de l’agence Prima, officine du gouvernement nazi. En cette année 39 donc, il est à la tête du Grand Occident un mensuel qui titre dans son numéro d’avril « Pétain au pouvoir ! ». Membre du « Comité de vigilance nationale pour la solution radicale de la question juive », il collabore à de nombreuses titres. Ainsi, Le Pays Libre organe du Parti français national-collectiviste, proche du fascisme, dont le directeur est Pierre Clémenti qui sera, en 1941, l’un des fondateurs de la Légion des volontaires français contre le bolchévisme (LVF).

La Légion d’honneur aux seuls militaires

Dans le numéro du 22 mars 1941 de l’hebdomadaire, il commet un article sur la Légion d’honneur, commençant par accuser le IIIe République, « république judéo-parlementaire » d’avoir mis sur pied « un marché rouge de la Légion d’honneur ». Réclamant qu’elle soit épurée « de telle façon qu'elle recouvre tout son éclat et tout son prestige ». Pemjean écrit : « Si, comme il faut l'espérer, on donne suite au projet d’épuration dont il a été question il y a quelques semaines, il faudra réserver la Légion d’honneur aux seuls faits de guerre et mérites militaires, quitte à créer d’autres Ordres pour récompenser les citoyens d'élite qui se sont distingués dans d’autres branches de l’activité nationale ».

L'ordre des élites civiles
Conséquence pour le rédacteur stipendié du Pays Libre, il faut s'assurer « qu’elle ne sera plus attribuée au titre civil et que. par effet rétroactif, elle est retirée à ceux qui ne l’ont pas obtenue comme soldat ». Suggérant la création de nouveaux ordres « les distinctions retirées à leurs titulaires seraient remplacées par une distinction de même valeur, soit dans l’Ordre des élites civiles, soit dans l'un des Ordres professionnels nouvellement créés ».

lundi 8 mai 2023

8 mai, otage de l’actualité sociale ?

René Belin, ancien de la CGT, ministre du travail à Vichy, ©DR
                                                                                         

C’est la confusion des mémoires. Ce 8 mai, le président de la République, après la cérémonie de la victoire à l’Arc de Triomphe à Paris, va ensuite, à Lyon, rendre hommage à la Résistance et à Jean Moulin. "Rex" qui fut notamment ne l’oublions pas, avant d’être le représentant du général de Gaulle en France occupée, membre du cabinet de Pierre Cot, ministre de l'Air dans le gouvernement du Front populaire.

L’esprit de résistance, qui est au centre de journée a été détourné, en particulier, par la CGT qui a appelé, à Paris et à Lyon, à des manifestations d’opportunité contre la réforme des retraites. Le secrétaire général de Force Ouvrière a cru bon d’expliquer, prophétiquement, que « Jean Moulin n’aurait pas interdit des manifestations avec des bruits de casserole ». Il me semble ahurissant de tenter de comparer deux situations inassimilables. Où dans l’une ce sont des trimestres qui sont en jeu et dans l’autre c’était, possiblement, la mort pour défendre la liberté.

Avant d’interpréter l’histoire, de la confisquer, de s’en servir puis de la délaisser, rappelons aux oublieux, le rôle joué en 1940 par certains cadres cégétistes, qui se rallièrent à la Révolution nationale du maréchal Pétain. Ainsi René Belin, considéré un temps comme le « dauphin » de Léon Jouhaux, secrétaire général de la Confédération général du Travail (souvent et abusivement présenté comme « secrétaire général adjoint » de la centrale), qui fut ministre du Travail de Pierre Laval à partir du 14 juillet 1940 jusqu’en avril 42. Rejoint par certains cadres et militants anti-communistes de la CGT.

mercredi 3 mai 2023

Quand les futurs chevaliers de la Légion d’honneur prêtaient serment

La loi du 1er septembre 1941 décrétait, en effet, qu’avant leur réception dans l’ordre de la Légion d’honneur, les futurs chevaliers devaient prêter le serment suivant auprès du délégué du chef de l’État Français, en l’occurrence le maréchal Pétain : « Je jure de demeurer fidèle à l’honneur et à la patrie, de me consacrer au bien de l’Etat, de n’appartenir ni dans le présent, ni dans l’avenir à aucune société interdite par la loi et de remplir tous les devoirs d’un brave et loyal légionnaire ». Etaient principalement visées, les sociétés secrètes, c’est-à-dire la franc-maçonnerie, interdite par un décret du 19 août 1940.
Lors d’une promotion, la prestation du serment était également « exigible des légionnaires de tous grades qui, pour une cause quelconque, n’y ont pas été soumis lors de leur admission dans l’ordre ». Le texte précisait enfin que cet engagement était imposé à « tous les anciens légionnaires ».

lundi 1 mai 2023

Eugène Panné, né à Nouméa, « héros » de la LVF



Connaissez-vous le commandant Eugène Panné, saint-cyrien de la promotion Sous-lieutenant Pol Lapeyre (1926-1928), originaire de Nouvelle-Calédonie ?
C’est en menant une recherche sur les journaux de la Collaboration que je viens de trouver trace de cet officier, né à Nouméa en 1906. Qui servira sous uniforme allemand au sein de la Légion des volontaires français contre le bolchevisme (LVF).


« Héros » de la LVF
Le 15 avril 1944, Le Combattant européen, « bi-mensuel des Légionnaires français à l’Est »* affiche une première page où trois ultras de la collaboration avec les nazis signent chacun un article : Joseph Darnand, secrétaire général au maintien de l’ordre, secrétaire général de la Milice, Sturmbannführer ** dans la SS, Marcel Déat, ministre-secrétaire d’État au Travail, fondateur du Rassemblement national populaire (RNP) et Jacques Doriot, ancien communiste, qui créa en 1936 le Parti Populaire Français (anticommuniste, nationaliste, fasciste). L’article de Doriot est consacré à deux « héros » de la LVF. Dont Panné.

Décoré de la croix de fer
« Ce grand garçon, d’aspect timide, sans aucun appui dans la vie, avait, à force de travail et d’énergie, gagné les galons de commandant à l’âge de trente-six ans ». Ce calédonien qui servait en 1939, au 10e régiment de tirailleurs sénégalais, choisit ensuite de rejoindre la Collaboration armée, au sein de la LVF où, en Russie, il commanda le 3e bataillon. Doriot : « Payant d’exemple, il prenait souvent la tête des opérations les plus risquées. Quatre fois au cours de l’année dernière il s’était trouvé dans des situations périlleuses. » Il reçut pour cela la Croix de fer de 2e classe. Eugène Panné fut tué le 18 février 1944.

* Engagés au sein de la Légion des Volontaires Français (LVF) qui combattent avec les Allemands sur le front de l’Est.
**Commandant.