François Cornut-Gentille : "La défense est aujourd’hui sans vision par défaut de projet politique"

Député (LR) de Haute-Marne depuis 1993, François Cornut-Gentille affiche une expertise reconnue des questions de défense et de la réforme de l'Etat. Il donne dans cet entretien sa vision de la politique de défense, à l'heure où le budget 2018 de la France va être adopté.

@Assemblée nationale
Crédits de la défense, 34,2 milliards. Ce budget vous satisfait-il ?
Il est indéniable qu’un réel effort budgétaire est réalisé pour 2018 dans un contexte extrêmement contraint. Je constate aussi un effort de sincérité budgétaire avec une meilleure prise en compte des opérations extérieures (OPEX) ainsi qu’une prise en compte des tensions sociales avec le plan famille.
Mais s’en tenir à ces réalités positives aboutirait cependant à une vision extrêmement déformée de la situation. De nombreux sujets de préoccupation demeurent : après la suppression de 850 millions d’euros cet été, de nouvelles amputations sur les équipements ou un report de charges trop élevé auraient pour effet d’abaisser le point de départ du budget 2018.
En outre, l’effort pour rendre le budget sincère sur les OPEX réduira d’autant l’ampleur de l’effort budgétaire annoncé en faveur des armées. Enfin, plus insidieusement, l’article 14 du projet de loi de programmation des finances publiques gèle le reste à payer pour les années à venir au montant de 2017 : environ 100 milliards pour l’État, dont 50 milliards pour le ministère des armées et 35 milliards pour le seul programme 146, les équipements. Dans ces conditions, la modernisation des équipements militaires au cœur de la prochaine LPM (Loi de programmation militaire) risque d’être sérieusement mise à mal car leur logique pluriannuelle est incompatible avec le couperet de l’article 14. Ces questions sont d’autant plus cruciales que l’état actuel de nos équipements peut remettre en cause les ambitions militaires de la France.

La démission du général de Villiers a-t-elle fait prendre conscience des enjeux financiers ?
La spectaculaire démission du général de Villiers autour des emblématiques 2 % (comprendre porter le budget de la défense à hauteur de 2 % du PIB) a eu pour principal effet de placer la question budgétaire sous les feux de l’actualité. Les militaires et les observateurs des questions de défense se montrent désormais beaucoup plus attentifs sur des sujets complexes comme la prise en charge des surcoûts des opérations extérieures, la fin de gestion…
Pourtant cette vigilance renforcée des acteurs de la défense, les interrogations sur la soutenabilité du budget de la défense sont encore aujourd’hui sans réelle réponse. Au-delà des slogans et des discours, la mécanique budgétaire demeure opaque et complexe. C’est un terrain fertile pour les coups de Jarnac.

Vouloir protéger, est-ce, pour un pays, un projet fédérateur ?
Certes les armées sont là pour nous protéger, au même titre que les autres forces de sécurité. Mais cela ne fait pas une stratégie de défense. La ligne Maginot était une politique défensive qui a mobilisé tous les crédits budgétaires de l’époque au détriment du reste. Or, sur le plan stratégique, il aurait fallu réfléchir au reste.
Quelle est la stratégie de la France en matière militaire ? Est-ce, comme les Allemands, promouvoir les productions de l’industrie de défense ? Si oui, que fait-on de la dissuasion ? Est-ce, comme pour le général De Gaulle, donner au Président de la République la crédibilité nécessaire pour défendre une voix originale dans le monde ? Si oui, que nous apporte notre participation à l’OTAN ? Au-delà de la lutte contre le terrorisme, avons-nous quelque chose à dire aux Africains ?
Poser ces questions ne doit pas être l’affaire de quelques-uns mais un débat ouvert. Je crois que le Parlement est l’instance qui s’y prête le mieux. Ce travail est indispensable ; car de la stratégie ou vision choisie doivent découler l’organisation de défense, le format des forces, les équipements dont nous avons besoin. Aujourd’hui, au nom de la protection, on entretient l’existant en saupoudrant les moyens dans les forces sans véritable projet.

Il faudrait donc une vision moins diplomatique et plus politique ?
C’est plus grave : la défense est aujourd’hui sans vision par défaut de projet politique. Ce n’est pas la faute des militaires. Et ce n’est pas propre à la défense. L’Etat dans son ensemble est incapable de redéfinir sa finalité. Enseignants, policiers, préfets, ambassadeurs, agents de l’Etat, tous demandent une définition précise de leur rôle et de leur mission dans une société devenue complexe où plusieurs légitimités sont à l’œuvre.
L’Etat d’aujourd’hui n’est plus celui d’hier et croire que l’on pourra revenir en arrière est une erreur. La défense triomphante sous De Gaulle était portée par une stratégie. Il nous incombe de cerner les enjeux du monde d’aujourd’hui et de repréciser l’ambition de la France !

Y-a-t-il débat ?
Aujourd’hui clairement non. On fait comme si tout fonctionnait ou ne nécessitait quelques simples adaptations. Or, les Français constatent bien le progrès de l’impuissance publique.
Mais avant de donner une vision, encore faut-il être d’accord sur le diagnostic. C’est au Parlement d’évaluer les politiques publiques, de dire ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Ce diagnostic doit contraindre les responsables d’agir, de proposer des innovations nécessaires, voire de réclamer du pouvoir politique des instructions cohérentes et claires.
Ce travail de diagnostic justifie le développement des pouvoirs de contrôle et d’évaluation du Parlement. Je l’ai fait sur l’Ecole polytechnique en 2014 et sur le transport stratégique en 2017, deux sujets jusqu’alors délaissés mais problématiques. Dans les deux cas, le ministère de la défense a bougé. Preuve que Parlement et exécutif peuvent opérer de façon complémentaire et intelligente.

Ce rapport sur le « transport stratégique » a permis de « lever certains lièvres. » Y-a-t-il des suites ?
La ministre des armées s’est pleinement saisie du sujet cet automne. Des enquêtes internes et judiciaires sont en cours. Il ne m’appartient pas de les commenter. Je me dois simplement de veiller que les dysfonctionnements constatés ne se reproduisent plus et que la dépendance française en matière de transport stratégique soit enfin une préoccupation centrale. On peut vouloir être la première armée européenne mais si cette armée dépend d’Etats étrangers pour sa mobilité, je doute de son rang réel.

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