« En étudiant les horreurs de la guerre, on se rend compte que passer une mauvaise journée c’est pas si grave »
Dans le cadre d’une récente intervention à Sciences Po à Paris, j’ai évoqué la parenthèse de l’Etat français entre 1940 et 1944. A la fin de la séquence, un monsieur est venu me parler de sa fille, Louise 17 ans, qui venait d'obtenir le prix de la créativité pour la Haute-Savoie, du Concours national de la Résistance et de la Déportation (CNRD). Thème de cette édition 2024-2025 : Libérer et refonder la France (1943-1945).
Comment la scientifique que vous êtes s’est-elle intéressée à l’histoire contemporaine ?
J’ai toujours été quelqu’un de très curieuse, s’intéressant à tout et particulièrement quand je parle avec des personnes passionnées. J’ai eu la chance d’avoir un professeur d’histoire qui a su me transmettre son engouement pour la matière et qui m’a proposé de participer à ce concours.
En la racontant avec une patte personnelle ?
J’ai vu dans ce concours l’opportunité de raconter l’Histoire au travers de mon histoire, en mélangeant toutes formes d’art, en y montrant les films, les récits locaux, les événements qui m’ont marquée. En s’appropriant l’Histoire, en l’approfondissant, celle-ci nous marque. De plus, ce mélange d’arts m’a permis de contrer le côté éphémère de la musique et de la danse en ancrant mon travail dans le temps avec l’utilisation de la peinture. Ces arts sont utilisés dans mon projet de manière complémentaire.
Votre projet s’appelle « De l’ombre jaillissent les couleurs de l’espoir, de l‘art résonne le chant de la mémoire »…
Le titre fait avant tout référence à la phrase d’une fresque du Mémorial de Caen « La douleur m’a brisée, la fraternité m’a relevé, de ma blessure a jailli un fleuve de liberté » (Paul Dorey). À l'introduction, on découvre chaque binôme instrument/danseuse qui se « réveille » petit à petit. Ces premières images sont entièrement blanches, synonymes de pureté, mais aussi de vide, comme si la toile et leur robe n’attendaient qu’à être recouvertes de peinture, de vie, d’histoire. Après cela, une dizaine de minutes chorégraphiées sont destinées à aborder le côté plus militaire, abordant ainsi les actes de résistance (locales avec le plateau des Glières, mais également à l’échelle nationale avec les débarquements de Normandie et de Provence), la libération de notre pays, mais également d’aborder la psychologie des acteurs Alliés (la culpabilité et le renfermement des soldats, par exemple). Les dix dernières minutes sont dédiées à la mise en lumière de l’histoire de quatre enfants de la Chaumière (une maison de l’Oeuvre de Secours aux enfants juifs (OSE) en Haute-Savoie)*.
La composition musicale, c’est vous ?
Exactement. J’ai commencé par sélectionner les musiques que je voulais faire apparaître en cherchant une continuité plutôt logique et en cherchant des transitions assez fluides. Ensuite, c’étaient beaucoup de repiquage à l’oreille (je cherchais les notes et les rythmes en écoutant simplement la musique). Quand j’avais de la chance, je pouvais trouver la partition sur Internet et j’avais juste à arranger pour 4 instruments.
Trouver des danseuses n’a pas été aisé ?
On a créé une affiche postée sur les réseaux sociaux en expliquant dans les grandes lignes le projet, tout en parlant également autour de nous. C’est un processus qui a duré un mois ; c’est assez compliqué de trouver des personnes qui veulent s’engager dans un tel projet. Par chance, une professeure de danse, qui est également dans mon harmonie, en a parlé à ces danseuses. Je tiens à les remercier une énième fois, car on ne remerciera jamais assez des personnes qui nous ont autant aidé. Alors merci à Rose, Zoé, Citlali et Mary.
C’est le cas de le dire, vous avez été également cheffe d’orchestre ou coordonnatrice en chef ?
Les musiciens sur mon projet étant des amis de longue date, je leur ai expliqué simplement ce que j’attendais d’eux. Les répétitions et la version finale se sont faites plutôt naturellement. Le plus compliqué a été de trouver une salle pour filmer, qui correspondait à ce que je cherchais, du matériel assez qualitatif pour enregistrer la bande son, et surtout de trouver des moments où tout le monde était disponible.
Combien de temps avez-vous consacré à ce projet ? Avec des sacrifices ?
Je n’ai pas compté exactement, mais je sais que j’y ai passé au moins 120h (le plus gros étant la composition). Forcément, ce n’était pas une période facile, pour laquelle j’ai dû faire quelques sacrifices de sommeil, de projets musicaux tiers, de révisions, mais en voyant le résultat, le chemin parcouru et tout ce que cela m’a apporté, je ne regrette absolument pas. J’ai eu la chance aussi d’être bien entourée, et soutenue pour tenir le coup.
Quel était votre objectif avec ce travail ?
Quand je me suis lancée, je n’avais pas vraiment d’objectifs ni d’attentes. Je pense qu’inconsciemment, je cherchais surtout un défi d’envergure à relever, me montrer que j’en étais capable et de me dépasser en grandissant.
Oui, vous m'avez dit : « Je ne suis plus la même Louise que celle que j’étais avant le projet »...
Ce concours ce n’est pas une épreuve contre les autres, mais contre nous-même. Contre nos peurs, les limites qu’on s’impose, notre procrastination. J’ai vraiment senti que pendant et après ce concours, j’ai développé une discipline et une rigueur de travail telles que le lycée n’aurait jamais pu me le donner. Cela m’a aussi permis de créer un détachement, un recul sur chaque chose qui peut se passer. En étudiant de notre plein gré les horreurs de la guerre, on se rend compte que passer une mauvaise journée c’est pas si grave. De plus, on se rend compte que nous devrions chacun être et devenir des passeurs de mémoire, au-delà du travail de mémoire, c’est un devoir de savoir qui doit être fait. Transmettre ce savoir aux personnes qu’on croise, à la génération qui suit est primordial pour ne jamais perdre ce passage de notre Histoire.
Vidéo du projet : https://youtu.be/Oc9pKyOysfw
*A Saint-Paul-en-Chablais par Le Crêt, au-dessus d'Evian.
Louise Barras a travaillé sur un projet combinant danse, peinture et musique (elle joue du cor d’harmonie) De l’ombre jaillissent les couleurs de l’espoir, de l‘art résonne le chant de la mémoire. Un travail historique original et riche. J'ai donc voulu parler du travail de cette jeune fille mature, également sapeur-pompier volontaire, en attente des résultats du bac et d’une mention afin de pouvoir intégrer l’Ecole Polytechnique de Lausanne (Suisse).
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Comment la scientifique que vous êtes s’est-elle intéressée à l’histoire contemporaine ?
J’ai toujours été quelqu’un de très curieuse, s’intéressant à tout et particulièrement quand je parle avec des personnes passionnées. J’ai eu la chance d’avoir un professeur d’histoire qui a su me transmettre son engouement pour la matière et qui m’a proposé de participer à ce concours.
En la racontant avec une patte personnelle ?
J’ai vu dans ce concours l’opportunité de raconter l’Histoire au travers de mon histoire, en mélangeant toutes formes d’art, en y montrant les films, les récits locaux, les événements qui m’ont marquée. En s’appropriant l’Histoire, en l’approfondissant, celle-ci nous marque. De plus, ce mélange d’arts m’a permis de contrer le côté éphémère de la musique et de la danse en ancrant mon travail dans le temps avec l’utilisation de la peinture. Ces arts sont utilisés dans mon projet de manière complémentaire.
Votre projet s’appelle « De l’ombre jaillissent les couleurs de l’espoir, de l‘art résonne le chant de la mémoire »…
Le titre fait avant tout référence à la phrase d’une fresque du Mémorial de Caen « La douleur m’a brisée, la fraternité m’a relevé, de ma blessure a jailli un fleuve de liberté » (Paul Dorey). À l'introduction, on découvre chaque binôme instrument/danseuse qui se « réveille » petit à petit. Ces premières images sont entièrement blanches, synonymes de pureté, mais aussi de vide, comme si la toile et leur robe n’attendaient qu’à être recouvertes de peinture, de vie, d’histoire. Après cela, une dizaine de minutes chorégraphiées sont destinées à aborder le côté plus militaire, abordant ainsi les actes de résistance (locales avec le plateau des Glières, mais également à l’échelle nationale avec les débarquements de Normandie et de Provence), la libération de notre pays, mais également d’aborder la psychologie des acteurs Alliés (la culpabilité et le renfermement des soldats, par exemple). Les dix dernières minutes sont dédiées à la mise en lumière de l’histoire de quatre enfants de la Chaumière (une maison de l’Oeuvre de Secours aux enfants juifs (OSE) en Haute-Savoie)*.
Lorsque ce département a été sous occupation, tous ces enfants ont été séparés afin d’essayer de fuir les Allemands, en cherchant notamment aller à Nîmes ou en Suisse. Ils ont fini par se retrouver, pour certains, à la fin de la guerre. L’image de fin contraste avec celle du début, où on voit les robes et les draps remplis de peintures pour signifier que malgré la libération, il y a des événements, des souvenirs et des peines qui ne partiront jamais. Une croix de Lorraine ainsi que des fleurs sont apportées en hommage aux morts pour la paix, aux victimes de cette guerre, aux résistants qui nous ont permis, aujourd’hui, de vivre libre.
La composition musicale, c’est vous ?
Exactement. J’ai commencé par sélectionner les musiques que je voulais faire apparaître en cherchant une continuité plutôt logique et en cherchant des transitions assez fluides. Ensuite, c’étaient beaucoup de repiquage à l’oreille (je cherchais les notes et les rythmes en écoutant simplement la musique). Quand j’avais de la chance, je pouvais trouver la partition sur Internet et j’avais juste à arranger pour 4 instruments.
Trouver des danseuses n’a pas été aisé ?
On a créé une affiche postée sur les réseaux sociaux en expliquant dans les grandes lignes le projet, tout en parlant également autour de nous. C’est un processus qui a duré un mois ; c’est assez compliqué de trouver des personnes qui veulent s’engager dans un tel projet. Par chance, une professeure de danse, qui est également dans mon harmonie, en a parlé à ces danseuses. Je tiens à les remercier une énième fois, car on ne remerciera jamais assez des personnes qui nous ont autant aidé. Alors merci à Rose, Zoé, Citlali et Mary.
C’est le cas de le dire, vous avez été également cheffe d’orchestre ou coordonnatrice en chef ?
Les musiciens sur mon projet étant des amis de longue date, je leur ai expliqué simplement ce que j’attendais d’eux. Les répétitions et la version finale se sont faites plutôt naturellement. Le plus compliqué a été de trouver une salle pour filmer, qui correspondait à ce que je cherchais, du matériel assez qualitatif pour enregistrer la bande son, et surtout de trouver des moments où tout le monde était disponible.
Combien de temps avez-vous consacré à ce projet ? Avec des sacrifices ?
Je n’ai pas compté exactement, mais je sais que j’y ai passé au moins 120h (le plus gros étant la composition). Forcément, ce n’était pas une période facile, pour laquelle j’ai dû faire quelques sacrifices de sommeil, de projets musicaux tiers, de révisions, mais en voyant le résultat, le chemin parcouru et tout ce que cela m’a apporté, je ne regrette absolument pas. J’ai eu la chance aussi d’être bien entourée, et soutenue pour tenir le coup.
Quel était votre objectif avec ce travail ?
Quand je me suis lancée, je n’avais pas vraiment d’objectifs ni d’attentes. Je pense qu’inconsciemment, je cherchais surtout un défi d’envergure à relever, me montrer que j’en étais capable et de me dépasser en grandissant.
Oui, vous m'avez dit : « Je ne suis plus la même Louise que celle que j’étais avant le projet »...
Ce concours ce n’est pas une épreuve contre les autres, mais contre nous-même. Contre nos peurs, les limites qu’on s’impose, notre procrastination. J’ai vraiment senti que pendant et après ce concours, j’ai développé une discipline et une rigueur de travail telles que le lycée n’aurait jamais pu me le donner. Cela m’a aussi permis de créer un détachement, un recul sur chaque chose qui peut se passer. En étudiant de notre plein gré les horreurs de la guerre, on se rend compte que passer une mauvaise journée c’est pas si grave. De plus, on se rend compte que nous devrions chacun être et devenir des passeurs de mémoire, au-delà du travail de mémoire, c’est un devoir de savoir qui doit être fait. Transmettre ce savoir aux personnes qu’on croise, à la génération qui suit est primordial pour ne jamais perdre ce passage de notre Histoire.
Vidéo du projet : https://youtu.be/Oc9pKyOysfw
*A Saint-Paul-en-Chablais par Le Crêt, au-dessus d'Evian.
Photos : ©LB.