Ivan Sand « Je pense que les militaires ne publient pas assez dans la fiction «
L’honorable correspondant* est un roman d’été. Ecrit dans un style vif, l’histoire est construite sur l’interaction entre services secrets (DGSE, Mossad) et le monde de la tech.
Son auteur est Ivan Sand, 38 ans, chercheur militaire et enseignant. Rencontre avec ce capitaine de l’armée de l’air qui, avec ce premier titre, vole vers d'autres horizons.
- Un militaire, en activité, qui publie un roman, ce n'est pas courant ?
Au sein de l’armée de l’air, ma première mission fut de réaliser une thèse de géopolitique qui concernait les opérations aériennes françaises. Cela m’a donné le goût de l’écriture ainsi qu’une méthode. Au cours de mes (nombreuses) années de doctorat, je me suis souvent dit qu’un jour je tenterai d’écrire de la fiction. La thèse est un exercice passionnant mais l’écriture est assez normée. Par ailleurs, mes recherches dans les archives des armées m’ont amené à croiser des histoires incroyables et des personnages très romanesques.
Par la suite, en travaillant en état-major à Balard, j’ai eu envie de construire une intrigue qui fasse écho à l’actualité tout en décrivant le quotidien des analystes dans les bureaux. C’est un univers rarement traité dans la fiction alors que la tension peut y être intense.
Enfin, je me suis assez vite intéressé au monde du renseignement mais aussi aux interactions entre les armées et le privé. C’est comme ça qu’est né L’Honorable correspondant, roman au sein duquel le personnage principal est un ancien militaire qui a créé une start-up utilisant l’intelligence artificielle pour accélérer le processus de ciblage.
- Vous n’avez pas utilisé pas de pseudonyme ?
Au moment où mon roman est sorti, j’avais déjà écrit sous mon vrai nom des dizaines d’articles et publié ma thèse (Géopolitique de la projection aérienne française, de 1945 à nos jours, La Documentation française). J’avais donc déjà un profil public en quelque sorte et je donne des cours à l’université par ailleurs.
Étant donné que l’intrigue est 100% fictionnelle, et qu’aucun militaire ne pourrait se reconnaître dans un des personnages, j’ai choisi de publier sous mon vrai nom. Cela me semblait intéressant de montrer qu’un chercheur militaire peut également investir ce champ.
Vous savez, une des missions du Centre d’Études Stratégiques Aérospatiales (CESA), unité de l’armée de l’air où j’ai commencé ma carrière, est d’encourager les aviateurs à prendre la plume, que ce soit pour raconter leur parcours, une opération ou pour créer une histoire inspirée de leur vécu. Je pense que les militaires ne publient pas assez – dans la fiction en particulier – alors qu’ils ont énormément de choses à raconter !
À l’échelle du ministère, la création de la Mission Cinéma et Industries Créatives au sein de la DICOD (Délégation à l'information et à la communication de la Défense) répond également à cet enjeu.
- Quelles ont été les réactions dans votre environnement militaire lors de la sortie de l'ouvrage ?
Chez mes collègues militaires, j’observe une satisfaction à voir les états-majors parisiens mis en avant. Ce sont des postes assez exigeants, mais perçus parfois comme pas très glamour par rapport à une affectation sur base, dans les forces, ou une opex bien sûr.
Lorsqu’ils ont apprécié le livre, certains militaires viennent spontanément me parler d’un épisode, une époque ou encore une affectation, qui, selon eux, mériterait d’être au centre d’un roman. C’est une grande satisfaction pour moi de voir que cela suscite des envies.
Mes amis universitaires sont intéressés par l’idée de créer eux aussi une fiction en lien avec leur objet de recherche. Au moment de la publication, je me suis d’ailleurs rendu compte que beaucoup de proches avaient déjà un projet de roman, plus ou moins avancés.
- Et du monde du renseignement, qui est au coeur de l'histoire ?
Je ne viens pas du monde du renseignement. Je n’ai donc pas d’interaction avec ces directions en tant qu’institution. Lorsque je veux publier quelque chose, je m’adresse à ma hiérarchie au sein de l’armée de l’air.
En revanche, je travaille avec de nombreux officiers et sous-officiers du renseignement. Ceux qui m’ont lu saluent en général le réalisme de l’intrigue, ce qui était un de mes objectifs.
Les différents services de renseignement sont au centre de très nombreuses fictions actuellement. J’avais envie de me distinguer sur plusieurs plans : construire le récit le plus crédible possible, tenter de mettre de la tension sans qu’il y ait de nombreuses scènes d’action et enfin développer un personnage principal qui ne soit pas spécialiste du domaine.
- Pourquoi justement le renseignement ? Par attirance ?
Je lis beaucoup de romans d’espionnage. J’apprécie les intrigues avec de nombreux rebondissements, du suspens et des surprises que le lecteur ne voit pas venir. C’est le cadre qu’offre l’espionnage, quels que soient les pays ou les services concernés. En tant que lecteur, j’aime me faire manipuler en même temps que le héros.
Par ailleurs, le recueil et l’échange d’informations sont centraux dans les relations entre États. Y compris entre alliés. Il est assez fascinant de voir que deux pays peuvent être des partenaires sur un dossier et en rivalité sur un autre. Ces subtilités sont généralement bien mises en évidence dans le monde du renseignement.
- N'y-a-t-il pas un peu de vous dans le personnage de Benjamin Curiel ?
Je pense que les différences sont largement plus importantes que les points communs. La plus grande d’entre elle, déjà, c’est que Benjamin Curiel est riche ! Il a créé il y a une dizaine d’années une start-up qui emploie désormais une centaine d’ingénieurs de haut vol. Je serais bien incapable de faire ça.
Plus sérieusement, comme il s’agissait de mon premier roman, il était rassurant d’écrire à propos de cadres que je connaissais. Certains quartiers de Paris, des unités militaires où j’ai été affecté ainsi qu’une situation familiale proche de la mienne.
Inventer à la fois l’intrigue et l’environnement des personnages principaux me semblait trop difficile. Mais si je me lance dans un second roman, maintenant que la glace est brisée, je pense que je me sentirai plus à l’aise pour explorer la psyché de personnages très éloignés de mon quotidien.
- Un roman c'est une fiction mâtinée de réalité. Mais en cet été 2025, il est totalement dans l'actualité ?
J’ai écrit la première version du texte entre la fin 2022 et le début de l’année 2023. Le sujet de l’IA dans les armées était à ce moment-là moins prégnant, mais on sentait bien que de grands changements se préparaient.
Par ailleurs, l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023 et la guerre à Gaza qui a suivi ont bien sûr bouleversé l’État d’Israël, au sein duquel se déroule l’action. Concernant l’IA et le ciblage, il y a eu l’enquête passionnante du média +972 à propos du programme israélien Lavender. Puis les réussites du Mossad et de l’armée de l’air israélienne face au Hezbollah ainsi qu’en Iran.
Ces épisodes montrent à quel point le rôle des services de renseignement est primordial dans les conflits d’aujourd’hui, leur capacité à intégrer et développer des nouvelles technologies n’en étant qu’une des nombreuses facettes.
* L'honorable correspondant, éditions Nouveau Monde, 240 pages, 9,90€
Au sein de l’armée de l’air, ma première mission fut de réaliser une thèse de géopolitique qui concernait les opérations aériennes françaises. Cela m’a donné le goût de l’écriture ainsi qu’une méthode. Au cours de mes (nombreuses) années de doctorat, je me suis souvent dit qu’un jour je tenterai d’écrire de la fiction. La thèse est un exercice passionnant mais l’écriture est assez normée. Par ailleurs, mes recherches dans les archives des armées m’ont amené à croiser des histoires incroyables et des personnages très romanesques.
Par la suite, en travaillant en état-major à Balard, j’ai eu envie de construire une intrigue qui fasse écho à l’actualité tout en décrivant le quotidien des analystes dans les bureaux. C’est un univers rarement traité dans la fiction alors que la tension peut y être intense.
Enfin, je me suis assez vite intéressé au monde du renseignement mais aussi aux interactions entre les armées et le privé. C’est comme ça qu’est né L’Honorable correspondant, roman au sein duquel le personnage principal est un ancien militaire qui a créé une start-up utilisant l’intelligence artificielle pour accélérer le processus de ciblage.
- Vous n’avez pas utilisé pas de pseudonyme ?
Au moment où mon roman est sorti, j’avais déjà écrit sous mon vrai nom des dizaines d’articles et publié ma thèse (Géopolitique de la projection aérienne française, de 1945 à nos jours, La Documentation française). J’avais donc déjà un profil public en quelque sorte et je donne des cours à l’université par ailleurs.
Étant donné que l’intrigue est 100% fictionnelle, et qu’aucun militaire ne pourrait se reconnaître dans un des personnages, j’ai choisi de publier sous mon vrai nom. Cela me semblait intéressant de montrer qu’un chercheur militaire peut également investir ce champ.
Vous savez, une des missions du Centre d’Études Stratégiques Aérospatiales (CESA), unité de l’armée de l’air où j’ai commencé ma carrière, est d’encourager les aviateurs à prendre la plume, que ce soit pour raconter leur parcours, une opération ou pour créer une histoire inspirée de leur vécu. Je pense que les militaires ne publient pas assez – dans la fiction en particulier – alors qu’ils ont énormément de choses à raconter !
À l’échelle du ministère, la création de la Mission Cinéma et Industries Créatives au sein de la DICOD (Délégation à l'information et à la communication de la Défense) répond également à cet enjeu.
- Quelles ont été les réactions dans votre environnement militaire lors de la sortie de l'ouvrage ?
Chez mes collègues militaires, j’observe une satisfaction à voir les états-majors parisiens mis en avant. Ce sont des postes assez exigeants, mais perçus parfois comme pas très glamour par rapport à une affectation sur base, dans les forces, ou une opex bien sûr.
Lorsqu’ils ont apprécié le livre, certains militaires viennent spontanément me parler d’un épisode, une époque ou encore une affectation, qui, selon eux, mériterait d’être au centre d’un roman. C’est une grande satisfaction pour moi de voir que cela suscite des envies.
Mes amis universitaires sont intéressés par l’idée de créer eux aussi une fiction en lien avec leur objet de recherche. Au moment de la publication, je me suis d’ailleurs rendu compte que beaucoup de proches avaient déjà un projet de roman, plus ou moins avancés.
- Et du monde du renseignement, qui est au coeur de l'histoire ?
Je ne viens pas du monde du renseignement. Je n’ai donc pas d’interaction avec ces directions en tant qu’institution. Lorsque je veux publier quelque chose, je m’adresse à ma hiérarchie au sein de l’armée de l’air.
En revanche, je travaille avec de nombreux officiers et sous-officiers du renseignement. Ceux qui m’ont lu saluent en général le réalisme de l’intrigue, ce qui était un de mes objectifs.
Les différents services de renseignement sont au centre de très nombreuses fictions actuellement. J’avais envie de me distinguer sur plusieurs plans : construire le récit le plus crédible possible, tenter de mettre de la tension sans qu’il y ait de nombreuses scènes d’action et enfin développer un personnage principal qui ne soit pas spécialiste du domaine.
- Pourquoi justement le renseignement ? Par attirance ?
Je lis beaucoup de romans d’espionnage. J’apprécie les intrigues avec de nombreux rebondissements, du suspens et des surprises que le lecteur ne voit pas venir. C’est le cadre qu’offre l’espionnage, quels que soient les pays ou les services concernés. En tant que lecteur, j’aime me faire manipuler en même temps que le héros.
Par ailleurs, le recueil et l’échange d’informations sont centraux dans les relations entre États. Y compris entre alliés. Il est assez fascinant de voir que deux pays peuvent être des partenaires sur un dossier et en rivalité sur un autre. Ces subtilités sont généralement bien mises en évidence dans le monde du renseignement.
- N'y-a-t-il pas un peu de vous dans le personnage de Benjamin Curiel ?
Je pense que les différences sont largement plus importantes que les points communs. La plus grande d’entre elle, déjà, c’est que Benjamin Curiel est riche ! Il a créé il y a une dizaine d’années une start-up qui emploie désormais une centaine d’ingénieurs de haut vol. Je serais bien incapable de faire ça.
Plus sérieusement, comme il s’agissait de mon premier roman, il était rassurant d’écrire à propos de cadres que je connaissais. Certains quartiers de Paris, des unités militaires où j’ai été affecté ainsi qu’une situation familiale proche de la mienne.
Inventer à la fois l’intrigue et l’environnement des personnages principaux me semblait trop difficile. Mais si je me lance dans un second roman, maintenant que la glace est brisée, je pense que je me sentirai plus à l’aise pour explorer la psyché de personnages très éloignés de mon quotidien.
- Un roman c'est une fiction mâtinée de réalité. Mais en cet été 2025, il est totalement dans l'actualité ?
J’ai écrit la première version du texte entre la fin 2022 et le début de l’année 2023. Le sujet de l’IA dans les armées était à ce moment-là moins prégnant, mais on sentait bien que de grands changements se préparaient.
Par ailleurs, l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023 et la guerre à Gaza qui a suivi ont bien sûr bouleversé l’État d’Israël, au sein duquel se déroule l’action. Concernant l’IA et le ciblage, il y a eu l’enquête passionnante du média +972 à propos du programme israélien Lavender. Puis les réussites du Mossad et de l’armée de l’air israélienne face au Hezbollah ainsi qu’en Iran.
Ces épisodes montrent à quel point le rôle des services de renseignement est primordial dans les conflits d’aujourd’hui, leur capacité à intégrer et développer des nouvelles technologies n’en étant qu’une des nombreuses facettes.
* L'honorable correspondant, éditions Nouveau Monde, 240 pages, 9,90€
Photo : ©IS