L'incessant plaidoyer pour une défense européenne de Jean Marsia

Le 16 septembre 2015, le colonel administrateur militaire e. r. Jean Marsia (ancien directeur de l'École royale militaire de Bruxelles) nous l’affirmait catégoriquement : « une vraie défense européenne s'impose et ne passera que par la création des États-Unis d'Europe », conformément aux conclusions de la thèse qu’il venait de soutenir. Dans la foulée, cet ancien conseiller défense du Premier ministre belge Elio Di Rupo a fondé l’association internationale Société européenne de défense (1) qui rassemble des citoyens européens désireux de travailler à la relance de l'Europe politique et de l'Europe de la défense. Il se livre, dans cette nouvelle interview, à un plaidoyer en faveur d’une défense européenne.
Jean Marsia entre le général (2S) Henri Bentégeat, ancien chef d’état-major français et ancien président du comité militaire de l'UE et le lieutenant général belge Guy Buchsenschmidt, ancien commandant de l’Eurocorps
A l'heure du 60ème anniversaire du traité de Rome, l'Europe de la défense reste un rêve pour certains, un cauchemar pour d'autres…
L’Europe de façon générale n’est ni un rêve, ni un cauchemar, mais une nécessité. Pour s’en rendre compte, il suffit de prendre en compte nos intérêts locaux, régionaux et nationaux et de voir qu’en matière de sécurité et de défense, de macroéconomie, de changement climatique ou de flux migratoire, isolément, nos communes, régions et États sont démunis. Seule l’Europe a un poids suffisant. Le repli sur soi n’est pas une option : toute entreprise sait qu’elle doit, pour survivre, tenir compte notamment de ses clients, de ses fournisseurs, de ses voisins, de ses partenaires. Les politiciens populistes, souverainistes, nationalistes, réactionnaires ou déconnectés des réalités du monde, mais aussi certains médias, classiques ou sociaux, trompent les électeurs. C’est patent dans le cas du Brexit notifié ce 29 mars : contrairement à leurs dirigeants, les Britanniques se rendent compte petit à petit de son coût et perdent leur arrogance.
L’Europe de la défense non plus n’est pas un rêve, ni un cauchemar, mais une nécessité. La mondialisation et notre situation budgétaire contraignent les nations européennes à agir de concert pour protéger leurs intérêts et leurs citoyens, notamment face au terrorisme islamiste.
Les USA ont un budget de 600 milliards d'€ ; ils disposent d’un million de militaires dont 19% sont en opérations extérieures. L’Europe dépense 200 milliards d'€, principalement pour payer un million et demi de militaires, dont seuls 5% sont utilisables en opérations extérieures. Pour la plupart, ce sont des Français, ou des légionnaires. Hors de France, on gaspille beaucoup. Dans l’UE, il y a 20 modèles d’avions de chasse (contre 6 aux USA), 29 classes de frégates (4 aux USA) et 20 sortes de véhicules blindés (2 aux USA). Lors de l’opération Harmattan en Libye, l’Europe avait 42 avions ravitailleurs, de 10 types différents ; les USA 650, de 4 modèles seulement. Résultat : 75 % des ravitaillements en l’air d’avions européens ont été réalisés par les Américains. Bref, il nous faut un état-major européen qui exprime nos besoins de rééquipement au ministre de la Défense des États-Unis d’Europe (EUE) !

"L'ordre mondial" en total bouleversement, devrait plaider pour cette création ?
Confrontés à la mondialisation et à une évolution de plus en plus rapide, les citoyens européens réclament la préservation de leur mode de vie. Seules des forces de défense et de sécurité efficaces le peuvent, sans négliger l’action des enseignants, du secteur culturel, du tissu socio-économique, pour armer moralement l’Europe contre les menaces qui pèsent sur elle de l’extérieur, et pour parer à son délitement interne. Inspirons-nous du programme d’échange Erasmus et du processus de Bologne, bien plus efficaces pour faire rayonner nos valeurs que le Service européen d’action extérieure. L’Espace Schengen et la zone euro, malgré leurs récents déboires, restent des exemples à suivre, tant leurs bénéfices sont importants. Grâce à l’euro, nous ne devons plus dévaluer périodiquement face au deutsche mark.
À défaut d’un tel effort collectif, l'Europe demeurera une zone de libre-échange, de moins en moins souveraine, où le consommateur trouvera de plus en plus de produits de moins en moins chers, mais sera à la merci des puissances d’argent ou étrangères.
En améliorant l’efficience des dépenses de défense dans les domaines du personnel, du fonctionnement et de l’entraînement, les EUE pourraient affecter au rééquipement jusqu’à 50 milliards € par an, unifier le marché des biens et services de défense, et mener une politique industrielle de défense efficace. Elle rendrait notre base industrielle et technologique de défense plus compétitive. Aujourd’hui, l’entreprise américaine General Dynamics est le principal constructeur du secteur européen de l’armement terrestre. Le secteur aérospatial, notamment Airbus et Ariane, nous montrent une autre voie, celle du renouveau européen, de la réindustrialisation, en privilégiant l’éducation, la recherche et surtout l’innovation. Qui parlait il y a dix ans d’embaucher un gestionnaire de réseaux sociaux ou un spécialiste en cybersécurité ?

L'ennemi, le chacun pour soi au sein de l'Union ?
L’égocentrisme de nos politiciens est hallucinant : ils savent bien qu’aucun état européen, hormis la France et l’Allemagne, ne pèse face aux USA, à la Chine, à la Russie, mais ils s’obstinent à jouer les figurants au Conseil européen, au Conseil atlantique, à l’ONU, tout en sachant que seule une Europe unie pourrait se faire entendre. Ni l’UE, ni aucun état membre, ne peut protéger les intérêts, les valeurs et le mode de vie des Européens. Certains proposent, avec les Américains et l’OTAN, de dépenser deux fois plus qu’aujourd’hui pour la défense. Ce serait tout profit de l’industrie de défense, surtout américaine, mais cela pénaliserait la relance de notre économie, le développement en Europe de l’emploi, de la santé, de l’enseignement, de la recherche...
Devant la carence de nos gouvernants, c’est à nous, les citoyens européens patriotes, de prendre en mains notre avenir, celui des états membres et de l’Europe, en soutenant, lors des prochains scrutins, ceux des candidats qui veulent accroître l’efficience des dépenses actuelles de défense, en promouvant le fédéralisme européen. Les populistes, souverainistes, nationalistes, réactionnaires ou déconnectés des réalités du monde ne conduisent qu’à la guerre… Heureusement, ils perdent les élections lorsqu’ils trouvent en face d’eux des hommes et des femmes qui ont une vue à long terme de notre avenir et qui partagent les valeurs reconnues par l’Europe. 


Autre constat que vous faites : la coopération UE-OTAN est un leurre...
Effectivement : depuis dix ans, les Turcs l’empêchent à l’OTAN, à cause de l’adhésion de Chypre à l’UE, qui de son côté la bloque à l’UE. Et comme Erdogan revendique une partie de la Thrace bulgare et des îles grecques, se dispute avec les Pays-Bas et l’Allemagne, cela ne va pas s’améliorer de sitôt…
En 2016, l’OTAN et l’UE ont bien approuvé une quarantaine de mesures pratiques dans divers domaines : la lutte contre la piraterie en mer, la cyberdéfense ou la collaboration avec des pays partenaires du Sud ou de l’Est. Il s’agit essentiellement de partager de l’information, en cas d’attaque hybride du type propagande ou de cyberattaque, et d’organiser des formations communes, en cybersécurité ou en planification des opérations. Cela ne va donc rien changer de fondamental à la défense de l’Europe. La France a repris sa place dans la structure militaire de l’Alliance, mais qu’a-t-elle obtenu ? Des fonctions plus ou moins intéressantes dans les états-majors de l’OTAN, mais rien qui intéresse nos concitoyens.

Au sein de la population mondiale, les Européens seront de plus en plus minoritaires. L’évolution des produits intérieurs bruts va dans le même sens. Or, notre destin n’est pas de devenir une péninsule russe, un protectorat américain ou chinois, un refuge pour la surpopulation africaine... C’est pourquoi, nous devons convaincre les pays qui se savent les moins souverains de l’Union Européenne (UE) de se fédérer au sein des États-Unis d’Europe (EUE).

(1) Pour plus d’informations sur la S€D : www.seurod.eu.

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