« Employer le Corps européen au Mali ne pourrait découler que d’un accord politique entre ses nations cadre » explique son commandant, le général Kolodziej
Cet outil de commandement multinational est subordonné à un organe politico-militaire, le Comité commun, composé des chefs d’état-major des armées et du directeur politique du ministère des affaires étrangères de chacun des pays membres. Le corps européen (force de réaction rapide), dont le quartier général est situé dans la périphérie de Strasbourg, peut-être -et a été engagé- dans le cadre de l’alliance Atlantique (Bosnie, Kosovo, Afghanistan). Son chef, jusqu’à l’été, est le général Laurent Kolodziej. Voici ce qu’il répond lorsqu’on évoque l’hypothèse.
Puisque le rôle de PC
inter-armées de théâtre est un de ceux qui lui sont assignés par ses cinq
nations cadre, le Corps Européen détient en permanence les noyaux des capacités
clés pour le tenir et faire où que ce soit, ce que fait aujourd’hui le PC Barkhane
au Sahel. Toutefois, le Corps européen ne fournirait dans ce cas que des
capacités de commandement et de contrôle au niveau opératif. Si l’UE devait
donc se substituer à la France au Sahel, elle devrait inévitablement passer par
un processus de génération de forces pour désigner les unités chargées des
opérations au niveau tactique (échelons tactiques interarmes pour la partie
terre, éléments organiques de théâtre pour la partie logistique, éléments air
et forces spéciales).
Un
tel processus serait-il long ?
Oui et il faut comprendre qu’en dehors du poste de commandement de théâtre quasi-instantanément
déployable qu’est l’Eurocorps, plusieurs mois seraient nécessaires à la complète
mise sur pieds de la force projetée sous la bannière de l’UE. De plus, il
faudrait dans le même temps désigner et générer l’échelon de conduite
stratégique d’une telle opération. C’est ce qu’on appelle un quartier général
stratégique (OHQ) qui, pour les missions dites exécutives, n’existe pas au sein
de l’UE sinon sous forme de noyaux clés que certaines nations conservent et
entretiennent au sein de leurs structures nationales de commandement
stratégique mais qui prennent du temps à transformer en un OHQ dédié pleinement
opérationnel.
Prioritairement,
il faut d’abord un accord politique ?
Effectivement,
il me paraît essentiel de rappeler que la décision d’employer le corps européen
dans une opération réelle découle d’un accord politique entre ses nations cadre
qui doivent impérativement légitimer ce choix au regard du droit international.
Ainsi dans le cas du Sahel, rappelons que la France n’y est intervenue qu’en
réponse à un appel des pays de la région et tout particulièrement du Mali en
2013. Cette légitimité de l’action s’articule à sa légalité qui lui est conférée
par résolution du Conseil de sécurité des nations unies. Dans l’hypothèse que
vous évoquez, les nations cadre de l’Eurocorps, démocraties membres de l’Union
Européenne érigeant en valeur centrale le principe de l’Etat de droit,
devraient suivre exactement ce schéma pour engager l’Eurocorps tout en
déléguant à l’Union Européenne, entité juridique parfaitement pertinente et
compétente, la tâche d’en assurer la direction stratégique et militaire pendant
toute la durée de l’opération.
L’Eurocorps, serait-il donc l’outil idéal ?
Il n’y a pas d’outil idéal. Chaque organisme a ses
forces et ses faiblesses mais le Corps européen dispose d’atouts bien
particuliers. C’est tout d’abord un PC HRF et la réaction rapide est donc
inscrite dans ces gènes : il est toujours prêt à agir. Ensuite, son niveau
de multi-nationalité intégrée unique dans le monde OTAN/UE s’appuie d’emblée sur
les cinq nations cadre qui mettraient logiquement à sa disposition des
capacités supplémentaires et notamment les grandes unités subordonnées dans des
délais relativement courts en cas d’engagement en opération. A cela s’ajoute un
niveau d’autonomie élevé en matière de soutien et d’appui au commandement. Les
nations se partagent les ressources à consentir au profit de l’Eurocorps, que
ce soit de manière permanente pour conserver à l’état-major sa capacité
constante à remplir les rôles correspondant au niveau d’ambition de ses pays copropriétaires,
ou bien de façon circonstancielle en cas d’opération. Ainsi, les efforts
supplémentaires à réaliser seront allégés par cette logique de répartition prédéfinie
entre Nations. Pour ses copropriétaires, l’Eurocorps est donc un outil de
commandement plus économique que s’il était la propriété d’une seule nation.
© Eurocorps |
Le corps européen n'a-t-il pas un problème d'identité entre UE et OTAN ?
Le Corps européen est un
état-major dual, ce qui ne signifie pas qu’il est en proie à une schizophrénie
permanente. L’état-major est lié à l’Alliance atlantique au travers de son
appartenance à la communauté des PC HRF Terre de la structure de forces de
l’OTAN et il entretient un lien privilégié avec l’UE, formalisé par une lettre
d’intention cosignée en 2016 par le général commandant l’Eurocorps et par le
directeur de l’EUMS. Dans la réalité, les capacités de commandement et de
contrôle ainsi que les systèmes de commandement détenus par le Corps européen sont
tout à fait interopérables entre UE et OTAN et sont donc aisément utilisables
au profit de l’une et l’autre organisation sans nécessiter de profonde
réadaptation. Le contexte général aux niveaux politico-militaire et
stratégiques change en fonction de l’emploi au profit de l’OTAN ou de l’UE mais
les besoins en termes de capacités de commandement restent très similaires et
la manière de les mettre en œuvre varie très peu. L’Eurocorps n’est donc pas
écartelé entre l’OTAN et l’UE mais en permanence employable par les deux
organisations avec des capacités tout à fait comparables.
Avant tout c'est une copropriété européenne ?
Cette notion de
copropriété est effectivement l’ADN du Corps européen. Les cinq nations « propriétaires »
Allemagne, Belgique, Espagne, France et Luxembourg financent et fournissent
les ressources correspondant aux besoins opérationnels tels que définis pour le
Corps européen. Ce niveau d’ambition est concrétisé par les trois rôles que ces
nations cadre veulent voir tenir par le Corps européen : PC de composante
terrestre, PC interarmées de théâtre, PC de corps d’armée. Il y a consensus des
Nations sur cette ambition qui engage de facto la responsabilité du général
commandant qui doit à son tour garantir le niveau de préparation requis pour un
engagement de l’état-major sur court préavis et sur les trois rôles évoqués
préalablement. La notion de copropriété se retrouve également dans le fait que
chaque Nation Cadre a un poids équivalent dans toutes les décisions qui, prises
à l’unanimité, établissent la gouvernance du Corps européen.
Dont vous êtes le syndic ?
Le général commandant le Corps
européen (COMEC) est effectivement une sorte de syndic de cet organisme. Les
Nations copropriétaires mettent à sa disposition des ressources de toute nature
et fixent les grands objectifs opérationnels. Le COMEC planifie ensuite
l’emploi des ressources à des fins d’entrainement et de préparation
opérationnelle, de soutien de l’état-major en vie courante sous tous ses
aspects et d’entretien du patrimoine immobilier. Son rôle est cadré par le
Traité de Strasbourg entré en vigueur en 2009.
L'Eurocorps n'a-t-il pas un déficit d'image ?
L’Eurocorps ne souffre pas
d’un déficit image au sens « réputationnel » du terme, bien au
contraire. Depuis qu’il existe, l’excellence opérationnelle de l’état-major a
toujours été saluée et ses performances ont toujours été mises en exergue que
ce soit par l’OTAN ou par l’UE. En revanche, il est vrai que l’Eurocorps
souffre parfois d’un manque de lisibilité. De manière assez paradoxale, ce sont
ses caractéristiques et son mode de gouvernance unique, parfois difficiles à
comprendre qui ont tendance à éloigner l’état-major du devant de la scène. Le
fait que l’Eurocorps ne soit « qu’un » état-major sans unités
subordonnées en permanence n’aide pas non plus à comprendre son utilité et son
bien-fondé. C’est pourquoi il y a un travail de communication permanent qui est
réalisé afin que l’Eurocorps soit mieux connu, mieux compris et qu’au final, il
en soit fait un usage optimal.
Aux pays socles que sont la France,
l'Allemagne, le Luxembourg, la Belgique et l'Espagne pourrait se joindre la
Pologne ?
La Pologne envisagerait
effectivement de devenir la sixième nation cadre du Corps européen. Aujourd’hui
la Pologne est nation associée et contribue déjà de manière significative en
termes de ressources humaines et d’équipements. L’accession de ce pays au statut
de nation cadre présenterait une réelle plus-value en général et plus
particulièrement dans le contexte stratégique actuel qui, entre autres choses,
appelle à une vigilance accrue sur les frontières orientales de l’espace
européen.
Paradoxe : les Britanniques ne sont pas
présents mais la langue de travail est l'anglais ?
Ceci n’est pas forcément un paradoxe. L’anglais étant le latin du XXIème siècle et notamment dans le domaine militaire, il est donc logique d’utiliser cette langue au quotidien. L’anglais étant par ailleurs une des langues de travail de l’OTAN et de l’UE y recourir au sein de l’état-major ne me paraît donc pas être une hérésie.