Hubert Germain, 1920-2021
Hubert Germain en 2016 ©HW |
Souvent, le dimanche soir, le général Christian Baptiste, délégué national de l’ordre de la Libération, apportait des huîtres à Hubert Germain. Celui-ci en était friand.
Le dernier compagnon de la Libération, de son propre aveu, a eu une belle vie. Bien différente de celle qu’il s’imaginait avoir jeune homme, bien éloignée de cette trajectoire que son père, officier général, envisageait certainement. Pourtant jusqu’à quasiment la fin du printemps 1940, l’avenir était tracé. Le concours de l’Ecole Navale puis, le cap franchi, une carrière au sein de la Royale. Hubert Germain se présente à l'épreuve. Enfin, le grand garçon longiligne se rend dans la salle d’examen à Bordeaux, s’assoit, hume l’air, ne sort pas de crayon de sa trousse, se lève, rend la copie blanche au surveillant interloqué et lui avoue son dessein : « Cela ne m’intéresse pas ; je pars faire la guerre ! » Je ne sais si le surveillant voit en lui un extravagant ou un effronté. Le général Bührer, sans le moindre doute, penche lui pour la seconde hypothèse lorsque le jeune Hubert lui demande de prendre soin de sa mère et de sa sœur.
- Pourquoi donc ? lui demande le chef d’état-major des colonies.
Et l’étudiant de lui expliquer qu’il part continuer le combat. La réponse est à la hauteur de l’affront ressenti par l’ami de son père.
- Hors d’ici. Tu n’es qu’un voyou ! Peut-être dans sa colère le sexagénaire le traita-t-il de « jean-foutre », formule en vogue à l’époque.
- Pourquoi donc ? lui demande le chef d’état-major des colonies.
Et l’étudiant de lui expliquer qu’il part continuer le combat. La réponse est à la hauteur de l’affront ressenti par l’ami de son père.
- Hors d’ici. Tu n’es qu’un voyou ! Peut-être dans sa colère le sexagénaire le traita-t-il de « jean-foutre », formule en vogue à l’époque.
Londres
et la France libre
Hubert Germain rompt ainsi les amarres. Il a 19 ans, une détermination comme boussole et donc aucune considération pour le maréchal Pétain et ses admirateurs. Il a été indigné par le discours du vieil homme, le 17 juin annonçant à la radiodiffusion avoir demandé l’armistice.
Hubert Germain rompt ainsi les amarres. Il a 19 ans, une détermination comme boussole et donc aucune considération pour le maréchal Pétain et ses admirateurs. Il a été indigné par le discours du vieil homme, le 17 juin annonçant à la radiodiffusion avoir demandé l’armistice.
Hubert Germain part de Saint-Jean-de-Luz avec trois camarades pour « faire quelque chose. » Nous sommes le 24 juin et ils réussissent à embarquer à bord de l’Arandora Star qui appareille pour la Grande-Bretagne. Ils sont bien peu à traduire leur révolte autrement que par des mots. On mesure insuffisamment aujourd’hui, combien cette défaite militaire et politique a pu humilier ces jeunes gens qui ont relevé un défi qui apparaissait alors totalement insurmontable. Il en fallait du courage pour s’engager dans une telle aventure ! Abandonnant familles, proches, études ou travail pour cet incertain avenir. Il sert tout d’abord en Angleterre sur le croiseur Courbet puis à l’état-major du général Legentilhomme, son parrain, qui commandait en Palestine la 1ère Division légère française libre. Envoyé ensuite comme élève à l'école d'officiers de Damas en septembre 1941, il en sort aspirant pour être affecté au 2e Bureau de l'Etat-major de la 1ère Brigade française libre du général Koenig. En février 1942, il rejoint les rangs du 2e Bataillon à la 13e Demi-brigade de Légion étrangère (13e DBLE) « son régiment. » Il reçoit son baptême du feu à Bir Hakeim puis se bat dans l'Himeimat (El Alamein) en Egypte puis en Tunisie. Il est blessé en Italie en mai 1944. C’est à Naples qu’il reçoit la croix de la Libération des mains du général de Gaulle.
Maxime Germain
Il participe au débarquement de Provence en août 1944. Il a 24 ans et est lieutenant. Il souhaite revoir le plus rapidement possible ses parents. Seule information dont il dispose, ceux-ci seraient retirés à Grasse (Alpes-Maritimes).
- «Mon père, qui avait été viré par Pétain, habitait là, en retraite pensais-je. Je suis arrivé, j’ai cherché où ils pouvaient habiter. Et c’est dans un café que j’ai su que mon père avait été déporté. Quand vous recevez cela en pleine figure ça vous file un choc même si vous dites qu’il y a encore ma mère et ma sœur. J’ai cherché. J’ai sonné à une maison. J’ai entendu un pas lourd, la porte s’est ouverte. Vous voyez une femme vieille, les cheveux gris-blanc. La mauvaise teinte. Les yeux las. Le malheur et la lassitude inscrits sur le personnage et qui se dit en me voyant devant la porte : « Ah, les pépins vont continuer. »
- « Que puis-je pour vous lieutenant ?» Cette femme ne me reconnaissait pas. C’est à ce moment-là que ma sœur a surgi. « Mère, tu ne reconnais pas ton fils ?» Qu’elle ne me reconnaisse pas, c’est normal, elle avait quitté un gamin et elle retrouvait un homme en uniforme. Mais ça, c’est atroce ! J’ai dit à ma sœur de venir avec moi et nous sommes montés dans la jeep pour aller voir le sous-préfet qui était encore celui de Vichy et n’avait pas encore été remplacé. Je lui ai dit qui j’étais et que mon père avait été arrêté par la police française, livré à la Gestapo et envoyé en camp de concentration. Le sous-préfet a alors fait son ignorant. Je lui ai dit : « Vous avez douze heures. Douze heures pour que ma famille soit rétablie dans tous ses droits d’abord et dans sa dignité.» Le menaçant de le coller au mur si dans les douze heures il ne "s’exécutait" pas.»
Son père rentre de déportation. Hubert Germain prévenu par un télégramme de l’hôtel Lutetia* va l’accueillir à la gare de Cannes. « Il est arrivé et cherchait si un membre de la famille était là. Je l’ai pris dans mes bras. Pour pleurer, il s’est mis de côté. Nous sommes sortis de la gare et je lui ai dit : « Papa, tu n’es plus papa, tu es le général Germain, il y a ici une compagnie de Légion qui est là pour te rendre les honneurs. Et on lui a rendu les honneurs. Il était vivant mais vide… »
Il participe au débarquement de Provence en août 1944. Il a 24 ans et est lieutenant. Il souhaite revoir le plus rapidement possible ses parents. Seule information dont il dispose, ceux-ci seraient retirés à Grasse (Alpes-Maritimes).
- «Mon père, qui avait été viré par Pétain, habitait là, en retraite pensais-je. Je suis arrivé, j’ai cherché où ils pouvaient habiter. Et c’est dans un café que j’ai su que mon père avait été déporté. Quand vous recevez cela en pleine figure ça vous file un choc même si vous dites qu’il y a encore ma mère et ma sœur. J’ai cherché. J’ai sonné à une maison. J’ai entendu un pas lourd, la porte s’est ouverte. Vous voyez une femme vieille, les cheveux gris-blanc. La mauvaise teinte. Les yeux las. Le malheur et la lassitude inscrits sur le personnage et qui se dit en me voyant devant la porte : « Ah, les pépins vont continuer. »
- « Que puis-je pour vous lieutenant ?» Cette femme ne me reconnaissait pas. C’est à ce moment-là que ma sœur a surgi. « Mère, tu ne reconnais pas ton fils ?» Qu’elle ne me reconnaisse pas, c’est normal, elle avait quitté un gamin et elle retrouvait un homme en uniforme. Mais ça, c’est atroce ! J’ai dit à ma sœur de venir avec moi et nous sommes montés dans la jeep pour aller voir le sous-préfet qui était encore celui de Vichy et n’avait pas encore été remplacé. Je lui ai dit qui j’étais et que mon père avait été arrêté par la police française, livré à la Gestapo et envoyé en camp de concentration. Le sous-préfet a alors fait son ignorant. Je lui ai dit : « Vous avez douze heures. Douze heures pour que ma famille soit rétablie dans tous ses droits d’abord et dans sa dignité.» Le menaçant de le coller au mur si dans les douze heures il ne "s’exécutait" pas.»
Son père rentre de déportation. Hubert Germain prévenu par un télégramme de l’hôtel Lutetia* va l’accueillir à la gare de Cannes. « Il est arrivé et cherchait si un membre de la famille était là. Je l’ai pris dans mes bras. Pour pleurer, il s’est mis de côté. Nous sommes sortis de la gare et je lui ai dit : « Papa, tu n’es plus papa, tu es le général Germain, il y a ici une compagnie de Légion qui est là pour te rendre les honneurs. Et on lui a rendu les honneurs. Il était vivant mais vide… »
Un serviteur de
la France
Nous avions parlé à nouveau, de son père lors de ma dernière visite, le 2 février dernier. Les larmes étaient toujours prêtes à couler. Il racontait ses souvenirs avec précision, clarté malgré le temps, comme s’il évoquait une actualité. Il avait aussi le sens du mot. Mais jamais ne réclamait la vedette.
La guerre n'était pas finie. Après avoir vu son père, il repart, participe à la libération de Toulon, de la vallée du Rhône et de Lyon.
Il prend part ensuite aux campagnes des Vosges, d'Alsace et termine la guerre dans le sud des Alpes, au massif de l'Authion. Appelé comme aide de camp auprès du général Koenig commandant les forces françaises d'occupation en Allemagne, le lieutenant Hubert Germain est démobilisé en 1946. Sa vie civile est également réussie : maire, député, ministre…
Nous avions parlé à nouveau, de son père lors de ma dernière visite, le 2 février dernier. Les larmes étaient toujours prêtes à couler. Il racontait ses souvenirs avec précision, clarté malgré le temps, comme s’il évoquait une actualité. Il avait aussi le sens du mot. Mais jamais ne réclamait la vedette.
La guerre n'était pas finie. Après avoir vu son père, il repart, participe à la libération de Toulon, de la vallée du Rhône et de Lyon.
Il prend part ensuite aux campagnes des Vosges, d'Alsace et termine la guerre dans le sud des Alpes, au massif de l'Authion. Appelé comme aide de camp auprès du général Koenig commandant les forces françaises d'occupation en Allemagne, le lieutenant Hubert Germain est démobilisé en 1946. Sa vie civile est également réussie : maire, député, ministre…
Hubert Germain est l’archétype du serviteur de la France. L’album des Compagnons de la Libération vient de se refermer sur cette 1038ème page, sur ces 1038 vies, sur ces 1038 morts.
* Transformé alors en centre d'accueil pour les survivants des camps de concentration.