La saut vers la liberté
Le journaliste Patrice Romedenne est l’auteur de ce roman « Le saut vers la liberté » (Plon) qui suit le parcours de Conrad Schumann, policier est-allemand, qui le15 août 1961 à Berlin, saute au-dessus des barbelés qui marquent la frontière avec l’ouest alors que le mur est en train de prendre forme. Un photographe présent signera une photo qui fera immédiatement « le buzz ». Une notoriété difficile à vivre. En 1998, Conrad Schumann se pendra.
J’ai gommé cette fin tragique, imaginé qu’en ce mois de décembre 2023, l’ex « vopo »* vit toujours et a écrit à Patrice Romedenne. Voici sa lettre.
*Volkspolizei-Bereitschaften
Monsieur Romedenne,
Monsieur Romedenne,
Je suis un homme seul. Désespérément seul. Cela peut vous paraître étonnant, vu la notoriété qui est mienne depuis ce 15 août 1961. Et qui est entretenue par les journalistes du monde entier chaque année. Encore, avant-hier, j’ai fait une visioconférence avec un journaliste éthiopien. Cela me maintient en forme. Il ne se passe pas, en effet, un mois sans que l’un de vos confrères ne me pose toujours les mêmes questions. Autant vous dire que j’utilise toujours le même canevas dans mes réponses.
Je suis seul car Kunigunde mon épouse a franchi elle aussi un mur, celui de la mort, il y a vingt-cinq ans. Et qu’Erwin, mon fils, loin de moi, est en outre fort occupé.
Votre livre, dont j’attends et espère une traduction allemande, m’a été résumé par des voisins et amis, tous francophones. Et puis depuis dix jours, une jeune française qui parle un allemand délicieux a entrepris, avec dextérité, de me le lire en traduisant, en direct, telle une interprète. Elle y parvient aisément. Nous allons entamer le neuvième chapitre mais d’ores et déjà, je tiens à vous dire que j’aime le style de ce docu-fiction et la vivacité de votre écriture. En français, vous appelez cela un « roman » m’a dit Karine, ma lectrice. Comme elle aussi milite pour une traduction de votre ouvrage elle ne l’appelle plus que Sprung in die Freiheit.
Comme vous avez écrit avec discernement me semble-t-il sur mon jump d’il y a 62 ans et que ce que j’ai entendu me plaît, je voudrais vous faire une confidence. La nuit, en particulier, je rêve que la jeunesse russe franchisse ce mur intérieur et se révolte contre le potentat au pouvoir à Moscou, qui ressemble à notre stalinien Walter Ulbricht, qui était à la tête de l’Allemagne de l’Est lors de ma défection. Mais en plus sombre encore.
Si j’avais 20 ans aujourd’hui, irais-je combattre aux côtés des Ukrainiens ? Difficile à dire. Vous savez combien m’a pesé et continue de me peser cette notoriété. Mais si je pouvais utiliser celle-ci pour la mettre au service des Ukrainiens…
Voici, cher Patrice Romedenne ce que je pouvais vous dire.
Sachez que ma porte vous est ouverte.
Bonnes fêtes.
Conrad Schumann