Les ambitions militaires de l'Azerbaïdjan (2)
Ce pays du Caucase vit depuis la fin de l'ex-URSS sous la domination du clan Aliev. Qui en contrôle tous les rouages, qu'ils soient politiques ou économiques (post du 13 novembre). Dans ce second entretien, nous examinons avec Mathieu BOULEGUE, chercheur à l’IPSE *(programme Eurasie-Europe), les ambitions militaires de l'Azerbaïdjan.
* Institut prospective et sécurité en Europe
crédit : wikipedia |
Le conflit du
Karabakh dure depuis 20 ans ; Azéris et Arméniens ne sont pourtant pas pressés
d’y mettre fin. Pourquoi ?
MB : Cela fait
presque deux décennies, en effet, que le conflit du Karabakh perdure, ce qui en fait la plus
longue guerre de tranchées de l’Histoire. Tragiquement, la préservation de cette situation est bénéfique aux deux Etats, officiellement en guerre.
Pour
l’Azerbaïdjan, se lancer dans une aventure militaire reviendrait à risquer de
perdre la rente énergétique sur laquelle la famille Aliev s’est consolidée
depuis le « contrat du siècle » de 1994. La guerre n’est donc pas une option
valable pour le pouvoir en place. Par ailleurs, l’explosion du budget de la défense
depuis 10 ans permet au pays de se lancer dans une sorte de politique de
« défiscalisation » à grande échelle, afin de trouver un relais de croissance
supplémentaire mais également de concilier un
certain nombre d’opérations de détournement de fonds. De plus, la rhétorique
belliqueuse permanente permet de garder la situation suffisamment sous tension
et flatter ainsi le nationalisme.
Pour l’Arménie,
la préservation de ce statu quo implique que la « République du Haut-Karabakh »
demeure sous son contrôle. Se livrer à des provocations serait contre-productif, Erevan pouvant se retrouver en position de faiblesse à la
table des négociations. L’Arménie joue également sur sa victimisation dans le
conflit et profite du lobbying actif de sa diaspora... Les perspectives
de règlement du conflit sont donc bloquées !
Comment la Russie considère-telle l’Azerbaïdjan ?
De manière assez
ambiguë ! Les rapports entre Moscou et Bakou sont marquées par de profondes
dissensions, notamment sur la question énergétique et le Karabakh. Pour faire
simple, c’est principalement grâce à la rente énergétique et le transit des
pipelines que l’Azerbaïdjan est aujourd’hui un Etat autonome vis-à-vis de la
Russie. Sans quoi Bakou aurait rejoint le giron russe depuis
longtemps…
Plusieurs points
irritent la Russie et ternissent les relations bilatérales. D’abord l’Azerbaïdjan s’est retiré de l’Organisation du traité de sécurité collective
(OTSC, alliance militaire des anciens pays soviétiques) en 1999 pour rejoindre, la même année, l’organisation du GUAM, ouvertement tournée contre la Russie. Le
rapprochement entre Bakou et Tbilissi à la suite de la guerre russo-géorgienne
d’août 2008, a également été mal perçu par Moscou. Les deux pays sont en réalité dans une forme de confrontation vis-à-vis de la Turquie et de l’Iran, deux alliés sur lesquels
l’Azerbaïdjan compte activement et que la Russie courtise.
Au cours de
l’année 2013, plusieurs développements internationaux ont provoqué
une nouvelle phase de tension. Ainsi la fermeture
provoquée par Bakou de la station radar de Gabala, prêtée aux forces armées russes ou encore la mise en avant du gazoduc TANAP. De plus, Moscou ne semble pas
parvenir à exercer une pression suffisante pour forcer l’Azerbaïdjan à rejoindre
l’Union Eurasienne. Enfin, Moscou soutient plus ou moins ouvertement l’Arménie dans le
conflit du Karabakh, notamment en lui fournissant la majorité de son
matériel militaire. Moscou a également tout intérêt à préserver le statu quo
dans ce conflit tant d’un point de vue stratégique qu’énergétique.
Les Azeris se positionnent et lancent un salon de l’armement à Bakou en 2014 ?
De manière assez
surprenante en effet ! En avril 2013, le ministre de l’industrie de défense
Yaver Djamalov avait annoncé que la capitale accueillerait un salon international de
défense, ADEX, du 11 au 13 septembre 2014. L’Azerbaïdjan cherche à développer son complexe militaro-industriel national
via la production interne d’équipements et de matériel militaire.
Il est vrai que
l’industrie de défense azérie a réalisé des progrès notables en matière de production indigène ces derniers années, dans le domaine des armes légères et de
petit calibre (notamment le fusil de précision Istiglal) ou encore des véhicules
de transport blindés (comme les modèles Matador et Marauder dont la licence de
production a été achetée à l’Afrique du Sud en 2009). La création d’un ministère
de l’industrie de défense en 2005 a permis la mise en place de grands projets, en particulier de centres de production de
munitions. Il convient
toutefois de relativiser ces succès internes car le complexe militaro-industriel
de l’Azerbaïdjan reste très faible technologiquement et dépend en grande
partie de la coopération internationale. Notamment des productions
conjointes avec des partenaires diversifiés comme l’Afrique du Sud, la Turquie
ou Israël. Le salon ADEX intègre cette logique qui pourrait permettre une montée en gamme.
De manière plus
insidieuse, l’organisation d’ADEX permet d’exercer une pression indirecte sur
l’Arménie en mettant en avant les avancées militaires « spectaculaires » de
l’Azerbaïdjan.
Les Azéris voudraient également se positionner sur le marché des drones ?
Ils sont demandeurs et
même producteurs. En février 2012, la signature d’un contrat de défense
avec Israël a fait grand bruit (notamment en Iran et en
Arménie) puisqu’il a conduit à la vente pour 1.6 milliards de dollars
d’armement à l’Azerbaïdjan ; principalement des drones Heron et
Searcher ainsi que d’autres systèmes de défense anti-aérien. Cette question des
drones israéliens avait déjà été abordée lors de la visite de Shimon Peres à
Bakou en 2009. Des accords de production ont suivi. En
mars 2011, la joint-venture Azad Systems a vu le jour entre l’Azerbaïdjan et la
société israélienne Aeronautics Defense Systems pour la production conjointe de
drones type Aerostar et Orbiter. Toutefois, l’implication azerbaïdjanaise se
limite à la production de quelques composants et à l’assemblage sur place. De
plus, le contrat n’aurait pas permis de transferts de technologie
importants.
Les drones sont
utiles pour les forces armées d’Azerbaïdjan à des fins de surveillance et de
reconnaissance. Fin 2011, un drone
azerbaïdjanais a d’ailleurs été abattu par les forces du
Karabakh sur la ligne de contact, confirmant la présence de ces engins dans les
activités de renseignement militaire.
* Institut prospective et sécurité en Europe