samedi 1 novembre 2014

« De la Pierre à l’Olivier », des groupes de parole pour les proches de victimes d’opex

Samedi 9 juin 2012, 13h45. Pascale Lumineau se prépare à recevoir une nouvelle patiente. Elle boit un café avec son mari. La sonnette retentit à leur domicile de Saint-Gély-du-Fesc (Hérault). « Mon mari et moi, avons su tout de suite… » 
Une délégation vient apprendre à ces deux anciens militaires que leur fils, Pierre-Olivier, a été tué le matin en Afghanistan, victime d’un attentat suicide. Trois autres militaires français sont également morts. Pierre Olivier, aîné d’une fratrie de cinq enfants, servait au 40ème régiment d’artillerie depuis 2010. 
Pascale Lumineau vient de créer De la Pierre à l’Olivier, une association qui souhaite mettre en place des groupes de parole, s’adressant à tous les proches de militaires ayant vécu ou vivant un traumatisme.


Pascale Lumineau (droits réservés)
Ce 9 juin 2012, la délégation arrive et vous apprend la mort de Pierre-Olivier. Puis, c’est le trou noir…
Pascale Lumineau : Tout devient noir, en effet…. Une part de nous sait, une autre refuse. Et le combat commence, la survie commence. Je me sens forte de cet enfant parti, qui m’insuffle son énergie. Je ne sais plus si le noir n’était pas ma vie d’avant finalement... J’ai envie de me cacher dans un trou pour panser ma plaie. Mais curieusement, je sens que ce n’est pas là qu’est ma mission. Ce noir doit s’éclaircir et Pierre-Olivier me guide désormais. Ce qu’il me dit est d’aller aider ceux qui restent !

Ensuite, on se retrouve très vite seul ?
Vous savez, dans le deuil, on est seul. Chacun vit sa douleur différemment, au sein de la famille, au sein du couple et encore plus avec le reste de la société.
Isolés dans le Sud, car géographiquement nous n’avons plus de repères militaires… et le régiment de notre fils est basé dans l’Est… Les trois familles qui, comme nous sont touchées par le départ de leur soldat, sont éloignées. Bref personne avec qui échanger, parler, pleurer notre fils, notre héros.

« La parole libère » dites-vous. C’est la thérapeute ou la maman qui parle ?
La thérapeute est la maman. Si je n’avais pas fait tout ce parcours, je n’aurais certainement pas pu faire face à ce changement de vie. Et oui, chaque patient reçu met des mots sur ses maux et ainsi libère le mal. Donc c’est par l’expérience que je diffuse cette vérité.

Ainsi est née l’association « De la Pierre à l’Olivier ». Un nom très symbolique
Oui, la pierre qui symbolise la solidité et l’olivier représente lui paix et sagesse ; ce qui évoque aussi mon fils, dans sa démarche militaire comme dans sa démarche personnelle.
Autre symbole fort dans la recherche du nom de l’association : quand mon fils a disparu, dès le lendemain, le bel olivier planté dans notre jardin et entouré de pierres a complètement séché, il s’en est allé comme notre héros ! Nous l’avons remplacé assez vite et étions désespérés de ne pas voir ce nouvel olivier prendre racine, fleurir, presque à se demander si nous n’avions pas été trompés sur la marchandise ! Quelle n’a pas été notre surprise lorsque le 18 mars de cette année, soit le lendemain de la création de l’association, il y avait quelques feuilles qui pointaient le bout de leur nez. C’était sûr : mon fils approuvait mon action et restait à mes côtés pour m’aider dans cette tâche !

Qui s’adresse à tous les proches de militaires ayant vécu ou vivant un traumatisme, « aux collatéraux des opex » ?
Elle s’adresse, en effet, à toutes les familles au sens large du terme : les familles des décédés comme celles des blessés – ayant subi un traumatisme physique et/ou psychologique – (femmes, parents, frères, sœurs, cousins, copains…) et les frères d’armes, s’ils le désirent  J’inclus également les familles des soldats qui ne sont plus dans l’institution, car ceux-ci n’ont pas vu leur traumatisme s’envoler lors de leur démission ou de leur mise à la retraite !

L’armée sait-elle gérer ces traumatismes ?
L’armée gère pour les militaires – et je ne voudrais pour rien au monde empiéter sur leur terrain – mais il y a les familles, ce que nous appelons la base arrière, qui elles ne sont pas toujours accompagnées, surtout dans le temps alors il y a matière à aider, croyez moi…

Dans la douleur, il faut intégrer également l’indifférence de la société...
Le souci quand on perd son enfant, c’est qu’au départ tout le monde est là, vous entoure, vous protège et puis les jours passent, les mois passent et on vous laisse dans votre chagrin, votre douleur… En même temps, le deuil d’enfant ou autre proche, c’est un processus qui se vit seul. Cependant, quand il s’agit de votre enfant unique, qu’on vous oublie dans votre maison, votre appartement, la vie qui s’est arrêtée au moment de son envol n’a plus trop de sens si personne ne vous tend la main, même pas un voisin tout proche !

Combien de groupes de parole créés ?
Pour l’instant deux groupes ont été constitués : un à Suippes et un à Clermont-Ferrand. J’essaye d’en installer partout où les personnes prennent contact avec moi, pour que je puisse créer des antennes relais de l’association. Mais faire bouger n’est pas une mince affaire même si le besoin est plus que réel...

DR

Contact : Pascale Lumineau : 06 07 59 33 33 ; courriel : fami7lumi@hotmail.fr