"Louve Alpha" de Vincent Crouzet, la France contre Wagner et Wagner contre la France
Après Cible Sierra puis "Sauvez Zelenski",
voici "Louve Alpha" (Robert Laffont). Troisième roman consacré au
Service action de la DGSE et plus précisément à son chef, le colonel Coralie
Desnoyers. Dont l’auteur, Victor K. alias Vincent Crouzet, ancien collaborateur
du service de renseignement extérieur français, retranscrit avec efficacité, "les
émotions cachées" au cœur de l'actualité et de la cruauté du monde.
Précédemment, vous me disiez attendre un retour éventuel du
président ukrainien, après la sortie de "Sauvez Zelensky".
L'avez-vous eu ?
Je n'ai pas eu de retour, mais je comprends que le président ukrainien,
et son cabinet aient des choses plus importantes à traiter. Ma série chez
Robert Laffont n'est qu'une fiction, certes très proche de la réalité, et donc
demeure un divertissement. Enfin "Sauvez Zelensky !" n'est en rien
une hagiographie...
Dans ce nouveau roman "Louve
Alpha", nous retrouvons le colonel Coralie Desnoyers, chef du service
action, au coeur "des fractures du monde" pour reprendre une
expression qui vous est chère ?
Je suis de plus en plus attaché à mon héroïne. Chaque saga compte un
personnage central. Coralie Desnoyers, alias Athéna, représente la pierre
angulaire de son unité. Dans le roman d'ouverture de la série, "Cible
Sierra", je l'installais à son commandement. Dans le second opus,
"Sauvez Zelensky !", elle devait "encaisser" le choc de
l'engagement du SA au coeur d'un conflit de haute intensité. Cette fois, elle
doit faire face à la vengeance du Kremlin contre la France. J'essaie de retranscrire
les émotions souvent cachées d'un chef d'unité, notamment celles qui concernent
la sécurité de son effectif. Coralie vit et souffre avec ses agents. Elle fait
corps avec son personnel, ce qui ne manque pas de la placer, aussi en
difficulté. Jusqu'où un chef doit-il, et peut-il s'impliquer ?
Bakhmout, Wagner, Prigojine, Poutine,
c'est devenu votre "marque de fabrique" de coller à l'actualité ?
Exactement. Nous avons pris avec mon éditrice, Françoise Delivet, le
parti d'inscrire pleinement les intrigues dans la conjoncture. C'est le
principe de la série. Et j'y prends, aussi, un immense plaisir, en fait un vrai
luxe d'écrivain : celui d'écrire la petite histoire dans la grande. Je plonge
mes personnages dans les conflits en cours, me permettant, aussi, de dépasser
certaines impatiences personnelles, imaginant, notamment dans "Louve
Alpha", les mesures de rétorsions de la France contre Wagner. Et en
repartant, finalement, "sur la route" avec l'effectif de ce Service
Action, je comble aussi une frustration : lorsqu'on a parcouru les zones de
crises pendant plus de 20 ans, devenir presque sédentaire et rester observateur
d'un monde qui s'affronte, ce n'est pas si facile...
Combien de temps pour l'écrire ?
J'essaie de me bloquer trente jours pour écrire un premier jet. C'est
une période courte, un effort d'écriture compact, m'obligeant à rester dans
l'action, avec mes personnages. Cela signifie la mise en place d'une petite
schizophrénie d'auteur, maîtrisée. Mais comme je prends du plaisir à retrouver
mes personnages, c'est finalement assez simple.
"Louve Alpha" c'est un peu la
saison 1 d'une série télévisée. Le dernier épisode -ici la dernière page-
implique une suite ?
Je me projette toujours sur "l'après". Nous avons conçu et
imaginé cette série sur le long terme. C'est ainsi que Sophie Charnavel,
directrice générale de Robert Laffont, nous fait confiance pour décliner
"Service Action". Désormais, à chaque évènement marquant dans le
monde, j'imagine comment je peux y glisser "mon" unité... Évidemment,
la suite de "Louve Alpha" est déjà en cours d'écriture.
Toujours pas de réactions de la
"Boîte" à vos livres ?
S'il y en avait, je n'en ferais pas part. Ce
que je peux en dire : je sais que la série provoque deux types de réactions.
Les premières consistent à mal prendre le principe de fictionner le
fonctionnement du Service. Je les comprends, comme je comprends le concept de
secret absolu défendu par certains. La plupart des agents DGSE ne sortiront
jamais de l'ombre. Et ce sera légitimement leur fierté, et surtout leur
honneur. D'autres considèrent que la fiction permet de communiquer positivement
sur cette maison, comme de très nombreux auteurs anglo-saxons ont su le faire
pour la CIA et le MI-6, renforçant la puissance, à travers le roman et le
cinéma, des agences de renseignement, à l'instar du "Bureau des
Légendes" pour la DGSE. J'en suis persuadé, et c'est mon credo : la
fiction est aussi une arme de guerre.
Ecrire sur la DGSE, c'est savoir ne pas
franchir certaines limites ?
Oui. Avec "Service Action", je marche sur une ligne de crête. J'ai grandi à la montagne. Je sais ce que cela implique : rester concentré. Et en l'occurrence : ne rien dévoiler de sensible. Je nourris l'information ouverte de mes ressentis, et de mon expérience passée. De toutes les manières, la Boîte lit mes romans bien avant les parutions. Ce sont mes premiers lecteurs. En cas de souci, ils sauraient bien entendu me le faire savoir. Je n'attends pas d'imprimatur, mais je resterai attentif aux préventions. Finalement, on demeure toujours, même comme écrivain, surtout comme écrivain, au service de ses engagements.