La révolte des jeunes après la défaite de 1940, analysée par François Broche
Dans son dernier ouvrage « Ils n’avaient pas 20 ans » (Taillandier), François Broche raconte l’engagement de jeunes filles ou garçons anonymes qui ont dit « non » à la défaite, l’Occupation, Vichy et le régime de l’État français. Ils avaient pour point commun d’être jeune, très jeune. Ils s’appellent Jeanine Morisse, Léon Bouvier, Louis Cortot, Jacqueline Fleury, Pierre Ruybet, Mathurin Henrio, tué alors qu’il avait 14 ans...
François Broche, ces jeunes gens s'engagent pour "faire quelque chose"?
C’est la motivation qui est partagée par tous les jeunes résistants, à côté d’autres motivations plus précises, comme les origines familiales ou régionales, les raisons d’ordre spirituel ou moral, la révolte devant la défaite ou le souvenir de la Grande Guerre. « Nous avions un vocabulaire extrêmement simple, disait Anise Girard : nous disions ‘’faire quelque chose’’, on faisait ou on ne faisait pas. » Faire quelque chose, cela commence par des actions de fourmis dont parle Colette Marin-Catherine, une « petite main » de l’Organisation civile et militaire, qui commence par confectionner des gerbes de fleurs pour les tombes des résistants fusillés.
On ne peut comprendre cette mécanique si on ne tient pas compte de cette humiliation immense née de la défaite de 1940 ?
La révolte devant la défaite - qui n’est pas seulement militaire, mais aussi et surtout morale - est un puissant facteur d’engagement. « Je ne supportais pas l’idée de la défaite, je voulais me battre », dit Pierre Lefranc. Et, bien sûr, ils ne supportent pas non plus l’Occupation : Berty Albrecht confie qu’elle en a tellement souffert qu’elle a tout de suite trouvé « les moyens de leur faire le plus de mal possible ». Le futur pilote du groupe Lorraine, Jacques de Stadieu veut « casser la gueule aux Allemands, les foutre dehors ».
La révolte de ces jeunes garçons, de ces jeunes filles est individuelle ?
Elle revêt toutes les formes, elle est à la fois individuelle et collective. On commence par tracer des « V » sur les murs, par déchirer les affiches collaborationnistes, par distribuer des tracts. Ces simples actions incitent à rejoindre un groupe de résistance, car la révolte individuelle marque vite ses limites. Les actes collectifs sont évidemment plus efficaces, plus spectaculaires, comme la fronde des étudiants de Paris le 11 novembre 1940 ou les sabotages exécutés par les cinq lycéens de Buffon, qui seront fusillés le 8 février 1943.
Des jeunes gens "orgueilleux d'être français" pour reprendre la formule utilisée par Colette Marin-Catherine ?
Elle emploie cette expression à propos de son frère, un garçon de 19 ans mort à Dora en mars 1945. Il est vrai que « la veine patriotique », pour reprendre une expression de Jean-François Muracciole dans son étude de référence sur la sociologie des Français libres, est importante, mais il me semble que ce qui prime tout de suite, c’est le caractère insupportable, physiquement insupportable, de la présence allemande.
Face à pareille situation, peut-on imaginer comment se comporteraient ces filles et ces garçons qui ont 20 ans en 2023 ?
Je suis historien, non futurologue ! Cela dit, je me sens en accord avec le général Simon, l’ancien chancelier de l’Ordre de la Libération. Dans son avant-propos à mon album sur Bir Hakeim, il s’interrogeait sur l’état d’esprit des jeunes générations « en cas de circonstances graves » : « En y réfléchissant, écrivait-il, je ne vois pas de raison sérieuse de douter des jeunes générations. Je suis sûr qu’elles se révéleraient dans l’action, dès qu’elles prendraient conscience de la faillite des responsables. Bien sûr, nous avions reçu une éducation, nous avions des principes, nous croyions à des valeurs qui n’ont plus cours aujourd’hui […]. Il me semble que, dans une tragédie comparable – au moins par son envergure – à celle de 1940, elles pourraient être réactivées. Il me plaît de le croire parce que je ne veux pas mourir complètement désespéré. »