Pierre-Antoine Donnet : « Xi Jinping est un grand manipulateur roué qui travaille sur le temps long »

Le maëlstrom géopolitique actuel entraine un vertige de position. Lire Trump est impossible au contraire du dictateur Poutine. Entre les deux, il y a un spectateur 
aux aguets, Xi Jinping le maître de la Chine.
Avec Pierre-Antoine Donnet, rédacteur en chef du site gratuit d'informations sur l'Asie Asialyst.com et du trimestriel Asia Magazine* intéressons-nous à la posture de Pékin.

En réponse à la hausse de 10 % des droits de douane sur tous ses produits annoncée par Washington, Pékin annonce des représailles…
Les droits de douane décidés par Donald Trump sur les importations de produits chinois avaient été annoncés avant même son retour à la Maison Blanche, le 20 janvier. La Chine s’y était préparée depuis des mois déjà. Si elles causeront un choc supplémentaire pour l’économie chinoise déjà mal en point, le régime impose à sa population une résilience très forte pour permettre au pays de surmonter cet obstacle. Le marché russe de même que celui des pays du Sud Global et ceux des pays du sud-est asiatique permettront de compenser, en partie au moins, la baisse attendue des exportations chinoises vers les Etats-Unis. Mais au-delà du seul aspect économique et commercial, c’est la Chine qui sortira gagnante à terme de la posture adoptée par le 47e président des Etats-Unis qui réplique mais en beaucoup plus grave l’isolationnisme qui avait été sa politique pendant son premier mandat. Le démantèlement du programme d’aides – essentiellement humanitaire – de l’USAID (41 milliards de dollars en 2024) est catastrophique pour l’image de l’Amérique. C’est l’une des décisions dont le président chinois Xi Jinping va sans nul doute s’emparer pour proclamer à la face du monde que la Chine est une puissance responsable et réfléchie face à une Amérique irresponsables et aventuriste.

Les agriculteurs américains risquent d'être les premiers pénalisés ?
Déjà la récession guette aux Etats-Unis car les mesures de hausses des tarifs douaniers tous azimuts décidées par Donald Trump vont causer un tort considérable à l’agriculture américaine mais aussi à bien d’autres secteurs de l’activité économique des Etats-Unis. Sur le moyen et le long terme, de nombreux partenaires commerciaux de ce pays vont désormais s’organiser pour réduire leur dépendance à l’égard de l’Amérique. Le contre-coup risque d’être terrible. Il en va ainsi aussi pour la recherche scientifique, les hautes technologies, la santé et bien d’autres domaines clé pour le développement humain.

L’économie chinoise est en difficulté. Pékin a-t-il intérêt à une escalade ?
A la différence de Donald Trump dont le monde entier découvre l’étendue de son narcissisme, Xi Jinping est un grand manipulateur roué qui travaille sur le temps long. A court terme, la Chine montrera ses muscles pour bien faire comprendre aux Etats-Unis qu’elle n’en est plus à un stade où elle cède aux pressions extérieures. Ce message subliminal est aussi pour le reste du monde. Mais Pékin sait aussi garder son calme et une surenchère n’est pas ce que le régime chinois recherche.

Comment les déclarations de Trump en particulier sur l’Ukraine et le rapprochement avec la Russie sont-ils perçus par la mécanique politique chinoise ?
On entend souvent ici ou là que l’objectif de D. Trump dans son rapprochement avec V. Poutine a pour but de détruite l’alliance entre la Chine et la Russie. C’est là une démonstration criante de l’ignorance crasse du président américain des grands enjeux géostratégiques mondiaux mais aussi du fonctionnement des dictatures. Sa fascination pour les dictateurs n’est pas nouvelle mais s’aligner sur les exigences de Poutine pour contraindre l’Ukraine à la capitulation n’aura vraisemblablement que peu d’incidence sur la solidité des liens entre Vladimir Poutine et Xi Jinping. Le parallèle souvent fait entre sa démarche et celles des Daladier et Chamberlain à Munich en 1938 est en revanche très pertinente. On ne gagne jamais en cédant à un dictateur. Ceux-ci ne comprennent que le langage de la force.

La Chine observe avec intérêt les déchirements occidentaux ?
Le régime de Pékin savoure chaque instant le naufrage des Etats-Unis entamé avec D. Trump depuis le 20 janvier. Depuis longtemps, les chantres du régime communiste chinois annoncent le déclin de l’Occident au profit de l’Orient. Xi Jinping le dit lui-même régulièrement mais, avec comme autre message non-dit, que la Chine remplacera bientôt l’Amérique comme la première puissance du monde. Néanmoins, l’Histoire ne s’arrête jamais. Il appartient désormais aux démocraties de s’organiser entre elles, de jeter des ponts partout où elles se trouvent pour faire face. Ainsi il est important que les démocraties européennes se rapprochent de celles d’Asie. Le moment du sursaut planétaire est venu. Cette grande bascule de notre planète déclenchée par D. Trump nous plonge tous dans l’inconnu. Nous verrons dans les mois à venir la direction que prendra le monde entre d’un côté des démocraties fragilisées et de l’autre des dictatures qui estiment leur heure arrivée. Qui en sortira gagnant ? Nul ne le sait.

Avec le retour de Trump, Taiwan gagnant ou perdant ?
Taïwan, de même que ses voisins démocratiques immédiats que sont le Japon et la Corée du Sud, de même que d’autres pays pour qui la présence américaine était importante pour faire face à la puissance montante de la Chine dans la région, redoutent que D. Trump n’en vienne un jour à un « deal » transactionnel où il céderait Taïwan à la Chine en échange de concessions chinoises. Il en est beaucoup pour s’interroger sur le fait que le président américain pourrait avoir comme véritable dessin de partager le monde entre les trois grandes puissances que sont les Etats-Unis, la Chine et (dans une moindre mesure) la Russie. Si tel est bien son objectif, le sort de Taïwan est hautement compromis. Déjà on peut observer une recrudescence de la rhétorique guerrière de Pékin envers Taïwan. Mais si un jour Xi Jinping devait décider de lancer l’assaut contre Taïwan, le carnage serait épouvantable car la très grande majorité des Taïwanais adultes est prête à mourir pour défendre leur souveraineté.

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