Laure Moulin, soeur de...


Si nous considérons que Jean Moulin est l'archétype du héros, sa sœur Laure est, elle, une anti-héroïne. Mais une anti-héroïne héroïque dans sa constance, son dévouement, sa foi en son frère. C’est à elle que l'historien Thomas Rabino vient de consacrer une biographie (Perrin). Peut-être Laure Moulin correspond-elle à Antigone, à laquelle elle est plusieurs fois comparée par l’auteur ? Se battant après la mort de Jean, audacieuse et désespérée à partir de juillet 1943, au nom du devoir moral face aux pouvoirs arbitraires : les Allemands et Vichy puis après la Libération, contre l’oubli, l’injustice…

Laure Moulin (1892-1974), professeur d’anglais, infirmière volontaire pendant la Première Guerre mondiale, patriote, femme indépendante et grande voyageuse, fut la première collaboratrice de son frère lorsque celui-ci entra en résistance.  C’est-à-dire immédiatement. Après que les Allemands, à leur arrivée à Chartres (Eure-et-Loir) où il est préfet, aient voulu, à la mi-juin 1940, lui faire signer une déclaration accusant des unités de tirailleurs africains d'avoir commis des atrocités contre des civils à Saint-Georges-sur-Eure ; ceux-ci ont, en réalité, été victimes de bombardements allemands. Jean Moulin refuse. Enfermé, maltraité, il se tranche la gorge. Mais il est sauvé par ses geôliers. Puis révoqué quelques semaines plus tard par Vichy. La suite est connue. Il sera dans la clandestinité Joseph, Jacques Marchand, caporal Mercier, Max, Rex, Régis, Martel… Aujourd’hui, 300 établissements scolaires, 978 boulevards, rues, places, squares et ponts, comme le rappelle Thomas Rabino, portent son nom. Cette postérité, qui n’a pas été aussi naturelle à conquérir, c’est aussi l’entreprise de Laure. De la mort du président du Conseil national de la Résistance, le 8 juillet 1943, au transfert de ses cendres au Panthéon, le 19 décembre 1964, toute l’énergie de Laure a été nécessaire. Notamment pour que justice soit faite après l’arrestation de Moulin en compagnie d’autres responsables résistants à Caluire (Rhône), le 21 juin 1943. Tâche bien complexe car après la Libération, temps où la nation est en reconstruction, il est bien difficile d’explorer les secrets des vainqueurs. La Résistance ne peut faire apparaître publiquement ses rivalités, ses rancoeurs et certains brevets de moralité résistante ne peuvent être remis en cause. Ce que montre clairement l’ouvrage. Ainsi jamais, le dénonciateur présumé de Caluire ne sera condamné. C’est une période sombre, confuse où Jean Moulin n’est alors qu’un acteur parmi d’autres. Il faudra à Laure Moulin manifester une profonde énergie et une capacité d’encaisser les revers hors du commun. La  "panthéonisation" de son frère et le discours d’André Malraux, ministre de la Culture, inversèrent la tendance. "Aujourd'hui, jeunesse, puisses-tu penser à cet homme comme tu aurais approché tes mains de sa pauvre face informe du dernier jour, de ses lèvres qui n'avaient pas parlé; ce jour-là, elle était le visage de la France" conclue Malraux. Après le résistant, le compagnon de la Libération, Laure Moulin fit connaitre le Jean Moulin esthète, le peintre, le dessinateur, le graveur qui signait Romarin. L’homme qui eût tant d’influence sur Daniel Cordier, son secrétaire d’août 1942 à son arrestation et qui, jusqu’à son dernier souffle, le 20 novembre dernier le considérait comme son deuxième papa.

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