2022-2025, la guerre personnelle de Poutine (1er volet)
« Poutine veut démanteler l’Ukraine et son objectif n’a pas changé » observe à Kiev un ancien ministre adjoint de la défense, cité par « Le Monde ». Les actuels éclats de voix, les menaces et les rodomontades trumpiennes contre Volodymyr Zelenski ne peuvent qu’encourager Vladimir Poutine, 3 ans après avoir engagé « l’opération militaire spéciale » contre l’Ukraine. Car la Russie qui ambitionnait de voler de victoires en victoires se retrouve militairement, 36 mois plus tard, dans une impasse. La situation décrite par l’écrivain français Sainte-Beuve affiche toute sa pertinence et son actualité : « Les politiques de ces dernières années jouaient une partie d'échecs et ne faisaient attention qu'à leur échiquier ; mais la table sur laquelle posait cet échiquier, ils n'y songeaient pas. Or cette table était une table vivante, le dos du peuple qui s'est mis à remuer, et en un clin d'œil au diable l'échiquier et les pions ! » Un texte écrit en…1869.
Un tournant stratégique immédiat
L’invasion devait, en trois jours, conduire à l’effondrement de l’Ukraine. Chute de la capitale, remplacement du président Zelensky, mise en place d’un gouvernement fantoche et réaffirmation d’une Ukraine russe. Face à l’impossibilité d’atteindre ses objectifs initiaux, Moscou a dû s’adapter. « Les forces armées russes se sont transformées, passant d’une machine militaire conçue pour une guerre éclair à une force armée adaptée à un effet de guerre prolongé » écrit le journaliste Yuri Fedorov, qui vit à Prague, dans une étude pour l’Institut français des relations internationales (IFRI). La guerre « nouvelle génération » conceptualisée par le général Guérassimov, il y a dix ans, a montré ses « faiblesses ». L’échec de la prise de Kiev a immédiatement marqué un tournant stratégique, la résistance ukrainienne ayant été largement sous-estimée par Moscou. Autre leçon : la logistique russe a été incapable de soutenir les troupes en première ligne. La guerre s’est donc transformée en impasse, malgré des forces russes trois fois supérieures.
Guerre d’usure, pertes exorbitantes
Chaque camp essaie d’épuiser l’autre. Malgré une pression constante sur les positions ukrainiennes, les Forces Armées de la Fédération de Russie (FAFR) peinent à obtenir des percées significatives « Le Kremlin a recours à une stratégie d’assauts successifs fondée sur l’emploi massif de l’infanterie, illustrée par une tactique de "vagues humaines" visant à submerger les défenses de l’adversaire au prix de lourdes pertes » explique un officier français. Le chiffre exorbitant de 600.000 pertes semble faire consensus. Mais Moscou (comme Kiev) se montrent discrets sur leurs propres pertes militaires.
Selon des données ukrainiennes, les Russes auraient perdu (tués et blessés) 105 960 militaires en 2022, 253 270 en 2023, 360 010 en 2024. Ce qui signifie que le nombre de pertes quotidiennes serait supérieur à 1 000 soldats. Un diplomate français estime que « Moscou use d’une stratégie meurtrière car elle croit en l’inéluctabilité de sa victoire. » Les pertes en matériel des FAFR seraient, selon des chiffres considérés comme crédibles, de 20 000 équipements lourds dont 2 600 chars, 4 000 véhicules blindés et 750 pièces d’artillerie.
Quels gains territoriaux ?
Aujourd’hui, ces gains territoriaux (18% du territoire ukrainien) restent circonscrits largement aux avancées de 2014-2015 lorsque Moscou avait favorisé l’émergence des « républiques » séparatistes de Donetsk et de Louhansk avant d’annexer la Crimée. Un bénéfice chèrement payé par une armée russe dont le mythe, celui d’une force dominante, pour ceux qui le vantait, s’est brisé. Mais pour quelques-uns, la guerre est vue comme une opportunité. « Aller au front, c’est la nouvelle carte du parti » estime Marlène Laruelle, professeur à l’université Georges Washington (Washington DC).