Jacques Bessy, président de l'Adefdromil : "Nous avions raison "
La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) vient de rendre des arrêts défavorables à la France, dans deux affaires différentes, qui portent sur l'interdiction des syndicats dans les armées et la gendarmerie. Interdiction que les magistrats estiment contraire au droit européen. L'une de ces requêtes avait été déposée par l'association de défense des droits des militaires (Adefdromil). Son président, le colonel (gendarmerie, er) Jacques Bessy, réagit à cette condamnation.
Vous attendiez-vous à un tel arrêt ? A de tels
arrêts ?
Bien évidemment, car le
droit européen est parfaitement clair : une interdiction totale n'est pas une
restriction légitime, qui doit avoir des motifs objectifs et être nécessaire
dans une société démocratique, c'est à dire proportionnée au but recherché. Notre
requête avait été déposée en 2009 après que des recours pour excès de pouvoir
engagés contre des décrets manifestement illégaux, aient été rejetés uniquement
parce que le Conseil d'Etat nous a qualifiés de groupement professionnel à
caractère syndical, interdit par le code de la défense. Bref, nous avions
raison, mais le juge administratif suprême ne voulait pas le reconnaître
publiquement.
La CEDH précise qu’eu égard à la spécificité
militaire, il peut y avoir des « restrictions légitimes » à cette
liberté d’association…
Les restrictions sont
prévues à l'article 11-2° de la Convention. Ces restrictions ne peuvent porter
atteinte à l'essence même du droit garanti. Pour les militaires, ces
restrictions pourraient consister, par exemple, dans l'interdiction du droit de
grève, qui existe aussi pour les policiers, les magistrats, les fonctionnaires
de l'administration pénitentiaire, et dans l'interdiction de manifestation de
rues. A cet égard, on peut se rappeler que les gendarmes n'ont pas eu besoin
d'être syndiqués pour défiler dans la rue en 2001. L'existence d'organisations
professionnelles est donc une garantie pour un dialogue social serein.
Avant que l’arrêt ne soit définitif, le ministère de
la défense dispose de trois mois pour choisir sa stratégie...
Le ministère de la défense a
dit "prendre acte" de ces arrêts et les analyser afin
d'entreprendre les réformes nécessaires pour mettre le droit français en
conformité avec les principes de la Convention. Ces deux arrêts ont été rendus
à l'unanimité des juges. Je ne vois pas l'intérêt de la France de faire appel
de ces décisions devant la Grande chambre de la CEDH. Mais la décision appartient
à la haute partie contractante, c'est-à-dire la France.
Les structures de représentation que vous défendez
devraient-elles prendre la forme de syndicats ou d’associations
professionnelles ?
Nous ne sommes pas des doctrinaires avec des idées préconçues. Nous
pensons que les militaires doivent pouvoir élire leurs représentants. Nous
pensons que cette forme de représentation est indispensable dans une armée
professionnelle d'une grande démocratie, qu'elle est une garantie aussi bien
pour les personnels, que pour la hiérarchie, que pour les dirigeants et surtout
pour les citoyens eux-mêmes. Ce qu'il faut éviter à notre sens, c'est que des
associations professionnelles de militaires soient refermées sur l'institution
elle-même sans possibilité de contacts extérieurs avec d'autres
organisations professionnelles françaises ou étrangères.
Ce qui
signifie que FO ou CFDT défense pourraient voir le jour
?
Attendons de voir dans quelle voie s’engage le
gouvernement. Ne faisons pas de syndicalisme fiction.
Vous n’étiez
pas très populaire au sein du ministère. Cette décision ne devrait pas
améliorer vos rapports ?
Je ne vois pas ce que le critère de popularité vient faire dans nos
relations avec le ministère. Il est évident que nous n'avons jamais mené notre
combat pour faire plaisir au ministère, mais pour faire évoluer l'armée. On
sait très bien que celle-ci "redoute d'instinct ce qui tend à
modifier sa structure" selon le mot célèbre du général de Gaulle. Nous
sommes bien évidemment à la disposition du ministère, si celui-ci souhaite nous
entendre sur un futur système de concertation respectueux des prescriptions du
droit européen.