Charles de Gaulle. Pour l’amiral Coldefy « Ce n'est pas le pire des scénarios, mais c'est un scénario compliqué à gérer »
©Laurence von der Weid/SMLH |
Cinquante marins sont infectés sur le
Charles de Gaulle. C’est une escale à Brest, du 13 au 15 mars, qui en serait la
cause. Le porte-avions a interrompu sa mission Foch de
la Task Force 473 et fait route vers Toulon. L’amiral Alain Coldefy, ancien commandant du porte-avions Clémenceau (1992-93), ex-major
général des armées (2002-2005)* évoque dans cette interview comment la Marine peut
faire face à une telle situation.
Est-ce
le pire scénario ?
Vous savez, les bateaux de guerre sont
prévus pour combattre en atmosphère de guerre nucléaire, bactériologique
et chimique. Ils sont également prévus pour continuer à
combattre malgré des avaries dites de combat (incendie, voies d'eau,
explosions diverses…).
Les équipages s’entraînent quotidiennement contre tous ces risques et il y a une centaine de (marins) pompiers à bord du Charles de Gaulle.
Les équipages s’entraînent quotidiennement contre tous ces risques et il y a une centaine de (marins) pompiers à bord du Charles de Gaulle.
Oui, mais face
à cette pandémie ?
Le système de cloisonnement intérieur de ces bateaux
de guerre est adapté à 6 situations "standard", qui vont de la
période à quai avec une vie courante classique, aux travaux avec des
entreprises militaires ou civiles, à la réception de visiteurs, à la navigation
en mer "normale", au poste de combat "classique" jusqu'au
poste de combat nucléaire. Aucune particule ne doit pénétrer…
Le
scénario "coronavirus" est un scénario qui s'inspire donc du scénario
"nucléaire" (qui est un scénario de confinement total, pas d'air
venant de l'extérieur mais qui lui ne peut durer très longtemps). Les
personnels sont donc mis dans une zone en légère dépression pour ne pas
rejeter de l'air vicié dans le reste du bateau.
Ce n'est donc pas le pire des scénarios, mais c'est un
scénario compliqué à gérer car le virus s'attaque à toute la population,
qui est jeune, sans exception de grade ou de sexe.
Isoler les marins qui pourraient être
contaminés, un casse-tête sur les petits bâtiments de surface en mission ?
Sur un petit
bâtiment en mission, c'est quasiment impossible à gérer. Dans une force
navale, on transfère vers un plus gros bateau avec infirmerie et
médecin. Sinon on débarque au plus tôt la personne malade en
rejoignant la côte si c'est possible…
Et dans
les sous-marins ?
Dans les sous-marins, la situation est analogue. Le dépistage avant
l'appareillage est indispensable. On le fait pour les SNLE* à
propos des risques d'appendicite bien qu'il y ait un médecin et
un bloc à bord.
Faut-il, par précaution,
qu'une majorité de bâtiments regagnent leur port d'attache ?
Non. Il faut
prendre des précautions avant l'appareillage, avoir une capacité de tests à
bord, éviter tout contact avec des "passagers extérieurs", par
exemple en escale à l’étranger si l'escale est maintenue pour des
motifs politiques supérieurs. Quant à faire rentrer les bateaux, il faut
savoir que la marine consacre 30% de ses heures de mer (et de vol aussi
d'ailleurs) à l'action de l'Etat en mer (sauvetage, pollution, lutte contre les
trafics, pêche, sauvegarde…) qui sont des missions "civiles" de
police (c'est ce qui la différencie des deux autres armées et d'où son nom
de marine nationale comme la gendarmerie). Pour les autres activités,
c'est à doser au coup par coup car les Russes continuent de nous espionner,
comme les Américains, et ainsi de suite.
*Alain
Coldefy est, aujourd’hui, président de la Société des membres de la Légion
d’honneur (SMLH).
* SNLE : Sous-marin nucléaire lanceur d'engins.
* SNLE : Sous-marin nucléaire lanceur d'engins.