Disparition cet après-midi de Daniel Cordier, secrétaire de Jean Moulin

 

18 juin 2018 ©HW

C'était il y a quelques années. Au téléphone, Daniel Cordier me racontait son emploi du temps. « Vous vous rendez compte, je n'arrête pas ! » Le soir même France 3, diffusait Alias Caracalla. Titre d’un monumental ouvrage sur son engagement dans la Résistance et sa rencontre puis son travail au quotidien avec Jean Moulin (Alias Caracalla, Gallimard, 2009). Dans la clandestinité, Daniel Cordier, utilisera effectivement nombre de pseudonymes. Il sera BIP W, BX 10, Alain (à Lyon), Michel (à Paris), Benjamin, Talleyrand, Toussaint. Le jeune homme fut donc dix mois durant, le secrétaire de Jean Moulin. Yves Farge (journaliste, qui contribua à la création du mouvement Franc-Tireur et qui sera dirigeant de l'Armée secrète) dit de lui : « Il ne notait rien, il savait tout ». Son destin est celui de ces jeunes gens auquel la fin de l'adolescence a été amputée par la guerre. Des jeunes gens venus d'origine et de courants de pensée très différents. Daniel Cordier est mort en début d’après-midi, chez lui à Cannes (Alpes-Maritimes).


L'heure des choix

Daniel Bouyjou-Cordier est né le 10 août 1920 à Bordeaux (Gironde) dans une famille de négociants et effectue ses études dans plusieurs collèges catholiques ; militant de l'Action française, il fonde à 17 ans le Cercle Charles Maurras. Il n'a pas encore 20 ans et attend son incorporation prévue le 10 juillet, lorsque, près de Pau où habite sa famille, il entend l'annonce de demande d'armistice faite à la radio par le maréchal Pétain le 17 juin 1940. Il décide immédiatement de continuer la lutte et rassemble seize volontaires avec lesquels il embarque le 21 juin depuis Bayonne sur un navire belge, le Leopold II, pour l'Afrique du Nord. Dérouté vers l'Angleterre, il atteint Falsmouth le 25 juin.   

Daniel Cordier s'engage avec ses camarades dans la "Légion de Gaulle", le 28 juin 1940. En transit pendant quelques jours à l'Hôtel Olympia, il y est affecté au bataillon de chasseurs alors en formation. Il arrive début juillet à Delville Camp, où il suit un entraînement jusqu'à la fin du mois. Le bataillon est ensuite installé à Camberley puis au camp d'Old Dean où Daniel Cordier poursuit sa formation militaire. Promu aspirant en août 1941, alors que le départ prévu pour le théâtre d'opérations africain ne se concrétise pas, il obtient d'être affecté, à l'été 1941, au service "Action" du Bureau central de Renseignements et d'Action (BCRA), les services secrets de la France libre à Londres. Pendant un an, il suit un entraînement spécial dans les écoles de l'Intelligence Service sur le sabotage, la radio, les atterrissages et parachutages.


Jean Moulin

Daniel Cordier, est parachuté en France près de Montluçon le 26 juillet 1942, comme radio et secrétaire de Georges Bidault, chef du Bureau d'Information et de Presse (BIP), agence de presse clandestine.

A Lyon, le 1er août, il rencontre pour la première fois Jean Moulin alias Rex, représentant du général de Gaulle et délégué du Comité national français, qui l'engage pour organiser son secrétariat à Lyon. Il met sur pied un état-major clandestin, sans moyen ni personnel - surtout au début - avant d'être assisté par Laure Diebold, puis par Hugues Limonti notamment.

En mars 1943, Daniel Cordier organise et dirige à Paris, selon les directives de Jean Moulin, son secrétariat de zone nord. Après l'arrestation de ce dernier le 21 juin 1943 à Caluire, il poursuit sa mission en zone nord comme secrétaire de la Délégation générale en France auprès de Claude Bouchinet-Serreulles, successeur par intérim de Jean Moulin.

A son poste jusqu'au 21 mars 1944, pourchassé par la Gestapo, il s'évade par les Pyrénées. Interné en Espagne, à Pampelune puis à Miranda, il est de retour en Angleterre fin mai 1944 et est nommé chef de la section des parachutages d'agents du BCRA. Intégré à la Direction générale des Etudes et Recherches (DGER) en octobre, il dépouille, avec Vitia Hessel, les archives du BCRA pour permettre la rédaction, dont se charge Stéphane Hessel, du Livre blanc du BCRA. Chef de cabinet du colonel Passy, directeur de la DGER (qui deviendra rapidement le SDECE), il démissionne après le départ du général de Gaulle en janvier 1946.


Travail de mémoire

Après la guerre, Daniel Cordier désire consacrer sa vie à la peinture et commence une collection d'art contemporain. En 1956, il ouvre une galerie d'art à Paris et à New York jusqu'en 1964. En 1979, il est nommé membre de la commission d'achat du Centre Georges Pompidou auquel, en 1989, il fait don de sa collection dont une partie se trouve au Musée d'Art Moderne de Toulouse, Depuis le début des années 80, Daniel Cordier est devenu historien afin de défendre la mémoire de Jean Moulin (il publiera à partir de 1983 une biographie en plusieurs tomes). Grand croix de la Légion d'honneur, Daniel Cordier était l’un des deux derniers Compagnons de la Libération. Le dernier est désormais Hubert Germain.

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