Donald T. notre homme à Washington

Le Kremlin « cultive » depuis quatre décennies Donald Trump. Autour du 47e président des Etats-Unis se profilent des ombres équivoques et compromettantes : celles d’oligarques, d’espions mais aussi de mafieux. Régis Genté, auteur de « Trump, notre homme à Washington » (Grasset) spécialiste de l’ancien espace soviétique et de la Russie contemporaine détaille ces 40 années de relations qui permettent d’éclairer l'actualité américano-russe.


Trump, l’homme qui prétendait mettre fin à la guerre décidée par la Russie en Ukraine « en un claquement de doigts » semble avoir agi une nouvelle fois comme un bonimenteur ?

Certes, il y a toujours un côté bonimenteur chez Trump, dont le souci, l’impératif immoral pourrait-on dire, est le gain immédiat, qu’il soit politique ou autre. Il mise sur la mémoire courte des humains, sur l’effet de sidération, les passions tristes et vulgaires… Sans doute croyait-il aussi que Volodymyr Zelenski serait obligé de céder, suite à la pression monstre que lui, Donald Trump allait lui mettre. C’est tout le sens de la scène désormais historique du 28 février dernier dans le bureau ovale. Cette mise en scène ne visait qu’à préparer l’opinion américaine à abandonner l’Ukraine, à cesser de la soutenir militairement et financièrement. Il n’avait pas anticipé la réaction de Zelenski et des Européens derrière, pas anticipé non plus que Vladimir Poutine ne lâcherait rien, absolument rien, et ne ferait rien pour aider Trump pour obtenir un deal au sujet de la guerre en Ukraine. 
Trump semblait croire qu’il suffisait de montrer quelques signes forts de sympathie à Poutine pour que celui-ci fasse quelques pas qui l’aideraient à obtenir cet accord. Il ignorait ce que les spécialistes de la Russie savent, à savoir que Poutine ne lâche à peu près jamais sur rien quand il s’agit de l’essentiel pour lui.

L’humiliation de Volodymyr Zelensky à la Maison Blanche, le 28 février, ressemble à une pièce écrite à quatre mains, entre deux scénaristes, Trump et Poutine ?
Non, Poutine n’a rien écrit du scénario du 28 février 2025. C’est Trump tout seul, aidé de son vice-président J.D. Vance, qui veulent forcer Zelenski à la capitulation. Pour obtenir un deal facile, pour pouvoir se vanter auprès de leur électorat, plaire à Poutine au passage…

Le choix du négociateur américain pour l’Ukraine, pour lequel la diplomatie est inconnue, et d’autres nominations de l’administration Trump semblent sinon dictées par Moscou, tout au moins ouvrir des boulevards à la Russie aux Etats-Unis ?
« Ouvrir des boulevards à la Russie » certainement, « dictées par Moscou » je ne crois pas. Pas besoin. En effet, Donald Trump semble, depuis des décennies à vrai dire, s’employer à toujours plaire à Moscou. Il continue dans son second mandat présidentiel comme il le fait depuis au moins 1984, comme je l’ai montré dans mon livre. En 1984 en effet, pour des raisons propres à ses ambitions personnelles, il tente de s’imposer comme le négociateur en chef sur le désarmement nucléaire pour l’administration Reagan. Lorsqu’un journaliste lui demande comment il compte s’y prendre, il répond en substance que Washington et Moscou s’entendrait pour un désarmement très partiel et négocié tandis qu’il mettrait une pression maximale sur les petits pays comme le Pakistan ou la France pour qu’ils renoncent à leur arsenal. Le Kremlin ne pouvait pas rêver meilleure prise de position. Depuis, il n’a jamais fait que prendre des orientations qui allaient absolument dans le sens de ce que Moscou souhaitait au plus profond. 
On pourra m’objecter que cela n’a pas été le cas pendant son premier mandat, au sujet de l’Ukraine notamment où il a consenti à armer Kiev contrairement à Barack Obama, mais il n’était pas seul aux manettes. Il était contraint par les « adults in the room », les vieux routiers de l’administration US comme James Mathis, Mike Pompeo ou John Bolton.

Même chose lorsque le président américain a rayé d’un trait de plume, l’unité du FBI chargée de la lutte contre les ingérences électorales étrangères ?

Oui vous avez raison, la suppression de cette unité est un vrai cadeau fait à Moscou. Cela en dit long sur la volonté de plaire à Poutine. Cela en est tellement troublant. Tout mon livre consiste au fond à tenter de comprendre pourquoi Trump est si conciliant envers la Russie. J’essaie de montrer que c’est à la fois parce que son ADN politique propre en fait un partenaire quasi naturel des Russes, sur fond de vision du monde où l’on n’aime guère la démocratie et où les relations internationales se conçoivent sans complexe en termes de pur affrontement des intérêts et de zones d’influence, ce qui, à vrai dire, est loin d’être l’apanage des Trump et Poutine, et parce qu’il a été « cultivé » depuis quatre décennies par les services de sécurité soviétiques et russes et par le Kremlin, sans être un « agent » en tant que tel, et que cela a créé une sorte d’osmose entre lui et le pouvoir russe, entre intérêts convergents et « être tenu » par Moscou.

Trump c’est le « candidat mandchou »* ?

Pas exactement. Il joue ses propres cartes… mais il est vrai qu’il est le candidat disons « idéal » pour les Russes, moins pour défendre leurs intérêts en tant que tels que parce qu’au Kremlin on pense qu’il pourrait être une sorte d’Antéchrist capable de détruire l’Amérique, c’est-à-dire de saper l’Amérique en tant que puissance toujours susceptible de nuire aux intérêts de Moscou.

Trump admire Poutine. L’inverse est-il vrai ?
Je ne crois pas. Même si leurs intérêts et leur vision du monde convergent à certains égards, ils viennent de deux planètes différentes. J’ai le sentiment que l’Américain Trump est tout ce que Poutine méprise : l’homme d’affaires prêt à oublier l’intérêt national pour un arrangement, un ego hypertrophié, la faiblesse psychologique…

Le compagnonnage de Trump avec Moscou est ancien. Depuis l’URSS ?

Trump est repéré par la sécurité tchécoslovaque dès le milieu des années 1970, après son premier mariage avec une citoyenne de ce pays. Des anciens agents de la StB, la sûreté de l'Etat tchécoslovaque, ont témoigné à ce sujet. Or, on sait que la StB fonctionnait alors largement comme une filiale du KGB soviétique. Ensuite, il semble avoir été suivi et approché dans les années 1980 pour que cela débouche sur son premier voyage à Moscou en juillet 1987, dans une opération dont on connaît beaucoup de détails et que mes sources dans la communauté du renseignement US décrivent comme « une pure opération du KGB ». A son retour de Moscou, la rumeur commence à courir à Moscou comme à Washington qu’il ferait selon le Kremlin un bon candidat à la Maison Blanche. Mais surtout, début septembre suivant, il s’offre une pleine page « opinion » dans les trois plus grands journaux américains pour adresser une lettre à ses compatriotes où il plaide pour cesser de financer la défense des autres pays membres de l’Otan. Dans exactement les mêmes termes qu’il le dit aujourd’hui. Ce qui me fait dire en ouverture de mon livre que l’homme, du point de vue de Moscou, n’est pas si imprévisible qu’on se plait à la répéter un peu partout.

Trump donc « tamponné » par les services russes ?
Il n’est pas un « agent » du KGB, quelqu’un qui accepte d’être rémunéré pour rapporter du renseignement, mais un « contact confidentiel », quelqu’un qui sans savoir ce qu’il représente pour le KGB se laisser cultiver par lui, se laisser être aidé dans ses ambitions et sa carrière, reçoit des coups de main politiques ou financiers…

Et une proximité depuis la fin du XXe siècle avec la mafia rouge aux USA ?

Oui, la mafia rouge, c’est-à-dire la pègre de la fin de l’époque soviétique qui s’est exilée, aux Etats-Unis notamment, comme dans la célèbre Brighton Beach, est un exemple de groupe social par lequel Donald Trump a été « cultivé » en tant que « contact confidentiel » par le KGB depuis les années 1980. Par sa vision et sa pratique des affaires, les Trump père et fils n’avaient aucun scrupule à traiter avec les mafieux, comme ceux de la mafia italo-américaine. Lorsque les mafieux rouges ont débarqué à Brighton Beach, c’est assez naturellement que les Trump ont flirté avec eux. Or, derrière chaque mafieux rouge, il y a nécessairement un kagébiste, un policier. Parce qu’une dictature, comme l’URSS par exemple, a cette spécificité de ne laisser aucun groupe d’influence échapper à son contrôle. Ainsi, on a vu quantité de mafieux soviétiques et russes mettre de l’argent dans les casinos et projets immobilier de M. Trump, entre autres dans les moments où il avait le plus besoin de se renflouer financièrement, les six ou sept fois où il a failli faire faillite. Dans l'ouvrage j’ai brossé toute une galerie de portraits de ces mafieux, lesquels sont souvent aussi « connectés » avec les grands maître-espions soviétiques et russes.

Que serait devenu l’entrepreneur Trump sans les investissements mafieux russes dont il semble avoir bénéficié dans des périodes financières critiques pour lui ?
Il serait sans doute devenu ce qu’il est. Il aurait traité avec d’autres hommes d’affaires, mafieux ou non-mafieux. Tout simplement, et il serait sans doute le même animal médiatique et politique que nous connaissons.

Pour les Russes, Trump est donc bien « notre homme à Washington » ?

Cette expression qui forme mon titre est tirée d’un email d’un de ces mafieux ou quasi-mafieux russes, Félix Sater, qui a côtoyé M. Trump pendant des décennies, et qui a été exhumé par la Justice américaine pendant l’enquête du conseiller Mueller. Dans cet email, il écrit alors que les chances de Trump de devenir président deviennent réelles pendant la campagne de 2015-2016, il s’adresse à un membre de l’administration présidentielle, qui est en quelque sorte le cœur du pouvoir russe, et lui dit « qu’on a une chance de voir notre gars s’installer à la Maison Blanche et qu’il va s’employer à convaincre Poutine à l’aider pour ce faire ». Ce sont les Américains qui ont élu M. Trump tant en 2016 qu’en 2024, et Trump ne se sacrifiera pas pour les beaux yeux de M. Poutine, mais il est certain que l’homme offre de la prise au Kremlin et l’aider au fond à satisfaire ses ambitions géopolitiques. Regardez ne serait-ce que la façon dont il a entamé la soi-disant négociation pour mettre fin au conflit en Ukraine : il a dit vouloir régler le conflit en 24 heures, autant dire que d’emblée il disait que pressé par le temps c’est lui qui ferait des concessions, pas Poutine.

* D'après The Manchurian candidate ("Le candidat mandchou) de Richard Condon. En 1959, Eleanor fait tout pour que son mari soit élu à la présidence des Etats-Unis et ce avec l'appui de puissances étrangères, l'URSS et la Chine.

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