La force de caractère de Philippe François (2 et fin)
Au cours de ces années de détention à Madagascar puis en France, l’ex-colonel Philippe François a bénéficié d’incessantes marques d’amitié du monde militaire et notamment de membres de sa promotion de Saint-Cyr, Lieutenant Tom Morel (1987-90). Depuis qu’il a recouvré la liberté, le 12 octobre dernier, il peut raconter ces 51 mois « entre parenthèses ».
Voici la deuxième et dernière partie de cet entretien réalisé, hier, à Paris.
A l’issue de votre arrestation puis de votre incarcération comment réagit la diplomatie française ?
J’ai une visite du consul, enfin l'ancien. J’ai l'impression qu'il visite un type immonde. Il ne m'adresse quasiment pas la parole et me regarde comme un véritable pestiféré alors qu’à ce moment-là tout le monde sait que je n’ai rien fait. Je ressens un véritable dégoût. Le consul qui va le remplacer est très bien… c'est un saint-cyrien (sourire).
Il vous faut tenir dans ce contexte malgré l'injustice ?
Oui, même si je suis follement en colère. Mais c’est une obligation de tenir parce qu’au bout il y a l'espoir d'être blanchi. Je n’ai rien à me reprocher, mon associé Aina Razafindrakoto non plus. Quant à Paul Maillot Rafanoharana, je sais qu'il a trempé dans des trucs mais il est absolument incapable de monter quelque chose comme ça.
Votre dossier est suivi à l’Elysée ?
Ah oui c'est l'Élysée qui gère.
En 2023, c'est le transfert en France ?
Oui, et il y a deux personnes clés qui sont intervenues. Il y a bien sûr le président de la République actuel, Emmanuel Macron, qui négocie avec son homologue Rajoelina et le président Sarkozy qui connait bien également le chef d’Etat malgache. Le président Macron va faciliter les choses très largement pour que le transfert se fasse.
Donc transféré, là vous atterrissez à la prison de la Santé ?
Permettez-moi de vous raconter une anecdote « amusante ». Les personnels pénitentiaires qui me récupèrent à la Réunion –ils ne me mettent à aucun moment les menottent- me disent « Quand vous serez sur le perron de l'Élysée, vous nous faites une photo et vous nous l'envoyez ». Ils sont vraiment convaincus que je vais arriver, que je vais faire un touchdown et après je serai libéré.
Le lendemain de mon arrivée à la Santé, un dimanche matin, la directrice adjointe vient me voir, afin de prendre de mes nouvelles. En général cela ne se fait pas. J'ai le droit d'avoir tout de suite du courrier, ce qui normalement ne se fait pas non plus.
Je me dis « C'est bon, ils ont compris qu'il y a un cas particulier. Vous êtes là, on vous tient au chaud ». Et elle, je pense dans sa tête se dit « Le temps de refaire un procès pour la forme, il sort, on le ménage.» Mais pas du tout. Ça ne se passe pas comme ça. Je reste deux ans. Alors que des gens qui ont commis des choses véritablement répréhensibles à l'étranger, quand ils reviennent en France, en général, on a ce qu'on appelle une transformation de la peine par la justice, et les gens sortent car la peine peut être aménagée.
Comment les autres détenus vous voient-ils ?
Comme un ovni, en fait. Je crois qu’ils n'ont jamais vu quelqu'un dans mon cas. En fait, dans le banditisme, vous avez une pyramide, le bas de la pyramide de la criminalité, c'est bien sûr tout ce qui est sexuel. Le plus horrible est en bas. Ça ce sont des gens qui ne sortent même pas en promenade. Ensuite, vous avez les dealers de drogue, les petits, après vous avez les gros et le sommet de la pyramide, ce sont les braqueurs. Moi, j'étais hors catégorie…ils me disaient « Mais colonel, qu'est-ce que t'a fait toi ?»
Lorsque vous avez été transféré en France, vous pensiez à une libération prochaine ?
Oui, après un ou deux mois de détention, je pensais pouvoir bénéficier d’un aménagement de peine. Mais le Parquet a utilisé tous les moyens légaux pour que je en sorte pas.
Pourquoi ?
Je ne sais pas. J’ai ma petite idée mais…
Il vous faut attendre le 12 octobre dernier, un dimanche, pour que le mot « libération » soit prononcé ?
Effectivement. Il est 22h30, l’interphone grésille. Je crois entendre « Monsieur, veuillez faire vos affaires, vous êtes libéré ». Je me rapproche, je demande que l’on répète. J’entends bien « Monsieur veuillez faire vos affaires, vous êtes libéré ». Je dis c'est une blague. On me répond « mais c'est pas du tout une blague, vous devez partir avant 00h00 ».
Je commence à préparer mes affaires. 4 agents pénitentiaires viennent me confirmer l’information. J’interroge : « C’est une grâce ? », ils me font oui. Lors de la sortie, un surveillant m’accompagne et me dit : « Franchissez le seuil de la prison », ce que je fais. Puis il ajoute : « Je ne pouvais pas vous dire à l'intérieur, mais bonne chance mon colonel, j'ai servi dans l'armée aussi, bonne chance ».
Quelqu'un vous attend ?
Ma famille va venir me récupérer. Comme je les ai prévenus, le temps qu'ils viennent, je tourne autour d'un rond-point pendant une demi-heure, ça me fait du bien, je prends l'air libre. Je continue à tourner. Je pourrais faire des kilomètres, ce qui n'est pas le cas dans une courte promenade. Ensuite, je suis récupéré par ma famille. Je rentre, tous mes enfants sont là, sauf une qui habite Lyon et qui me rejoindra le lendemain de Lyon. C'est parti, c'est la liberté !
Comment se passe cette première nuit ?
Bien. Moi, je dors bien. Mais elle est courte, mais bonne et libre.
La grâce n'annule pas la peine ?
Non, elle la termine. Maintenant, nous sommes en train de demander une amnistie. C'est l'amnistie qui va annuler la peine et qui ouvrira droit à des réparations. Je porterai plainte contre l'Etat malgache, ce qui enclenchera après un processus d'amnistie et j'espère de réparations.
Madagascar, l'arroseur arrosé aujourd'hui ?
Alors quand on dit Madagascar, on va parler du gouvernement malgache, mais le nouveau gouvernement n'est en rien responsable de ce qui est arrivé.
Comment occupez-vous cette liberté depuis le 12 octobre ?
Il s’agit d’bord de renouer avec la famille, retrouver mes enfants, découvrir mes petits-enfants autrement que dans un parloir, parce que ce n’était pas forcément évident de faire connaissance. J’ai une petite fille qui disait à ses parents : « Quand est-ce qu'on va dans la grande maison de grand-père ? » Bon, c'était une grande maison, mais d'arrêt en fait.
Aujourd’hui vous pouvez raconter ces années qui vous ont été confisquées ?
Oui, afin de bien faire comprendre que si je me suis tu pendant deux ans, c'est parce que ce n’était pas dans mon intérêt de parler, parce que je savais très bien qu'on aurait continué à me boucler. En revanche, maintenant que je suis dehors, je parle alors de façon mesurée, sans haine ni acrimonie. Mais il était hors de question de continuer à me taire. Mais ce n’est pas le plus important, car ça c'est un peu le passé. Maintenant ce qui m'intéresse c'est de construire l'avenir et je suis sûr d'un certain nombre de projets professionnels, notamment de conseil aux entreprises en leadership sur lequel je travaille avec une amie.
Vous avez d'ailleurs écrit en détention livre sur le leadership ?
Exactement, c'est un dictionnaire avec150 mots-clés afin d'approcher la notion de leadership. Je dis bien approcher parce que le leadership c'est un art. Ce n’est pas un catalogue de recettes, c’est du management. Quand on a lu ces 150 mots, je pense qu'on a une notion un peu plus précise de ce qu'est le leadership. Et puis surtout c'est pratique.
Voici la deuxième et dernière partie de cet entretien réalisé, hier, à Paris.
A l’issue de votre arrestation puis de votre incarcération comment réagit la diplomatie française ?
J’ai une visite du consul, enfin l'ancien. J’ai l'impression qu'il visite un type immonde. Il ne m'adresse quasiment pas la parole et me regarde comme un véritable pestiféré alors qu’à ce moment-là tout le monde sait que je n’ai rien fait. Je ressens un véritable dégoût. Le consul qui va le remplacer est très bien… c'est un saint-cyrien (sourire).
Il vous faut tenir dans ce contexte malgré l'injustice ?
Oui, même si je suis follement en colère. Mais c’est une obligation de tenir parce qu’au bout il y a l'espoir d'être blanchi. Je n’ai rien à me reprocher, mon associé Aina Razafindrakoto non plus. Quant à Paul Maillot Rafanoharana, je sais qu'il a trempé dans des trucs mais il est absolument incapable de monter quelque chose comme ça.
Votre dossier est suivi à l’Elysée ?
Ah oui c'est l'Élysée qui gère.
En 2023, c'est le transfert en France ?
Oui, et il y a deux personnes clés qui sont intervenues. Il y a bien sûr le président de la République actuel, Emmanuel Macron, qui négocie avec son homologue Rajoelina et le président Sarkozy qui connait bien également le chef d’Etat malgache. Le président Macron va faciliter les choses très largement pour que le transfert se fasse.
Donc transféré, là vous atterrissez à la prison de la Santé ?
Permettez-moi de vous raconter une anecdote « amusante ». Les personnels pénitentiaires qui me récupèrent à la Réunion –ils ne me mettent à aucun moment les menottent- me disent « Quand vous serez sur le perron de l'Élysée, vous nous faites une photo et vous nous l'envoyez ». Ils sont vraiment convaincus que je vais arriver, que je vais faire un touchdown et après je serai libéré.
Le lendemain de mon arrivée à la Santé, un dimanche matin, la directrice adjointe vient me voir, afin de prendre de mes nouvelles. En général cela ne se fait pas. J'ai le droit d'avoir tout de suite du courrier, ce qui normalement ne se fait pas non plus.
Je me dis « C'est bon, ils ont compris qu'il y a un cas particulier. Vous êtes là, on vous tient au chaud ». Et elle, je pense dans sa tête se dit « Le temps de refaire un procès pour la forme, il sort, on le ménage.» Mais pas du tout. Ça ne se passe pas comme ça. Je reste deux ans. Alors que des gens qui ont commis des choses véritablement répréhensibles à l'étranger, quand ils reviennent en France, en général, on a ce qu'on appelle une transformation de la peine par la justice, et les gens sortent car la peine peut être aménagée.
Comment les autres détenus vous voient-ils ?
Comme un ovni, en fait. Je crois qu’ils n'ont jamais vu quelqu'un dans mon cas. En fait, dans le banditisme, vous avez une pyramide, le bas de la pyramide de la criminalité, c'est bien sûr tout ce qui est sexuel. Le plus horrible est en bas. Ça ce sont des gens qui ne sortent même pas en promenade. Ensuite, vous avez les dealers de drogue, les petits, après vous avez les gros et le sommet de la pyramide, ce sont les braqueurs. Moi, j'étais hors catégorie…ils me disaient « Mais colonel, qu'est-ce que t'a fait toi ?»
Lorsque vous avez été transféré en France, vous pensiez à une libération prochaine ?
Oui, après un ou deux mois de détention, je pensais pouvoir bénéficier d’un aménagement de peine. Mais le Parquet a utilisé tous les moyens légaux pour que je en sorte pas.
Pourquoi ?
Je ne sais pas. J’ai ma petite idée mais…
Il vous faut attendre le 12 octobre dernier, un dimanche, pour que le mot « libération » soit prononcé ?
Effectivement. Il est 22h30, l’interphone grésille. Je crois entendre « Monsieur, veuillez faire vos affaires, vous êtes libéré ». Je me rapproche, je demande que l’on répète. J’entends bien « Monsieur veuillez faire vos affaires, vous êtes libéré ». Je dis c'est une blague. On me répond « mais c'est pas du tout une blague, vous devez partir avant 00h00 ».
Je commence à préparer mes affaires. 4 agents pénitentiaires viennent me confirmer l’information. J’interroge : « C’est une grâce ? », ils me font oui. Lors de la sortie, un surveillant m’accompagne et me dit : « Franchissez le seuil de la prison », ce que je fais. Puis il ajoute : « Je ne pouvais pas vous dire à l'intérieur, mais bonne chance mon colonel, j'ai servi dans l'armée aussi, bonne chance ».
Quelqu'un vous attend ?
Ma famille va venir me récupérer. Comme je les ai prévenus, le temps qu'ils viennent, je tourne autour d'un rond-point pendant une demi-heure, ça me fait du bien, je prends l'air libre. Je continue à tourner. Je pourrais faire des kilomètres, ce qui n'est pas le cas dans une courte promenade. Ensuite, je suis récupéré par ma famille. Je rentre, tous mes enfants sont là, sauf une qui habite Lyon et qui me rejoindra le lendemain de Lyon. C'est parti, c'est la liberté !
Comment se passe cette première nuit ?
Bien. Moi, je dors bien. Mais elle est courte, mais bonne et libre.
La grâce n'annule pas la peine ?
Non, elle la termine. Maintenant, nous sommes en train de demander une amnistie. C'est l'amnistie qui va annuler la peine et qui ouvrira droit à des réparations. Je porterai plainte contre l'Etat malgache, ce qui enclenchera après un processus d'amnistie et j'espère de réparations.
Madagascar, l'arroseur arrosé aujourd'hui ?
Alors quand on dit Madagascar, on va parler du gouvernement malgache, mais le nouveau gouvernement n'est en rien responsable de ce qui est arrivé.
Comment occupez-vous cette liberté depuis le 12 octobre ?
Il s’agit d’bord de renouer avec la famille, retrouver mes enfants, découvrir mes petits-enfants autrement que dans un parloir, parce que ce n’était pas forcément évident de faire connaissance. J’ai une petite fille qui disait à ses parents : « Quand est-ce qu'on va dans la grande maison de grand-père ? » Bon, c'était une grande maison, mais d'arrêt en fait.
Aujourd’hui vous pouvez raconter ces années qui vous ont été confisquées ?
Oui, afin de bien faire comprendre que si je me suis tu pendant deux ans, c'est parce que ce n’était pas dans mon intérêt de parler, parce que je savais très bien qu'on aurait continué à me boucler. En revanche, maintenant que je suis dehors, je parle alors de façon mesurée, sans haine ni acrimonie. Mais il était hors de question de continuer à me taire. Mais ce n’est pas le plus important, car ça c'est un peu le passé. Maintenant ce qui m'intéresse c'est de construire l'avenir et je suis sûr d'un certain nombre de projets professionnels, notamment de conseil aux entreprises en leadership sur lequel je travaille avec une amie.
Vous avez d'ailleurs écrit en détention livre sur le leadership ?
Exactement, c'est un dictionnaire avec150 mots-clés afin d'approcher la notion de leadership. Je dis bien approcher parce que le leadership c'est un art. Ce n’est pas un catalogue de recettes, c’est du management. Quand on a lu ces 150 mots, je pense qu'on a une notion un peu plus précise de ce qu'est le leadership. Et puis surtout c'est pratique.
Photo @HW.
