samedi 21 avril 2012

Les peines de coeur du légionnaire


Ce blog est un espace très libre. Tant aux sujets traités qu'à la manière de le nourrir. Vous le constatez, j'y parle aussi bien de la Syrie, de l'Algérie, de sujets ayant trait au renseignement, au football, à la défense et en particulier à la Légion. Et, enfin de la mémoire et du journalisme. Liberté également quant au traitement : brève, papier d'explication, commentaire...Il est enfin un sujet que j'essaie d'explorer le plus souvent possible : la vie ordinaire...Faite de succès et d'échecs, de sourires et de douleurs... C'est l'objet de ce post.

Notre premier contact, il y a quelques années, avait été bref. Il m'avait dit, avant que je ne lui en fasse la demande :
- C'est vous l'écrivain, j'ai rien à dire !
Je n'avais pas esquissé la moindre réponse, disposé un seul mot dans l'ouverture de ma bouche, qu'il avait tourné les talons. Un de mes prof de collège, qui enseignait le français se serait certainement exclamé :
- Voilà bien une adresse compendieuse ! C'est-à-dire concise mais complète. 
Le bougre revint vers moi, trois ou quatre jours plus tard. Je compris que ses copains de chambrée l'avaient rassuré quant à mes intentions. 
- Bon si vous avez besoin de me parler, je suis d'accord. Dites-le moi et je viendrai. Ce qu'il fit. Nous nous revimmes. Il racontait bien. Lorsque je partis, il vint me saluer. 
- C'était bien...mais j'ai autre chose à vous dire.
- Allez-y
- Vous êtes comme un psy, vous savez écouter.
- Alors, vous pouvez en cas de besoin appeler le psy quand vous voulez. N'hésitez pas ajoutai-je en me dirigeant vers la sortie de la caserne.
Il appela une fois le journaliste pour lui parler du livre ("Légionnaires"). Ces dernières heures, il téléphona au psy.
- Je suis mal.
- Que se passe-t-il ?
- Une femme...c'est difficile à dire.
Sachant qu'il avait terminé son premier contrat de cinq ans, je luis demandais où il en était.
- Tout est lié. Je suis parti.
- Mais vous me sembliez être dans votre élément.
- Cette jeune femme m'a tourné la tête....
Je ne parlais pas. Attendant qu'il avance dans son récit. Il combla le vide.
- Je l'ai rencontrée un jour de septembre. Je m'en souviens comme si c'était hier. Cela a immédiatement collé. J'étais fou d'elle. Dès que j'avais une seconde, j'essayais de lui parler. C'était formidable. Au bout d'un an, elle a rompu. Mais nous sommes revenus ensemble. Elle me parlait mariage. Mais un soir, pour une futilité, elle m'a écarté. J'ai compris qu'elle avait trouvé mon remplaçant. J'ai vécu un supplice pendant quelques mois ; toutefois on se parlait au téléphone. Elle m'a fait d'autres coups fumants. J'ai souffert, souffert ! Plus qu'au combat. J'ai cru en août août dernier que nous pourrions repartir. J'ai quitté la Légion pour elle. Mais une fois encore, elle a gagné du temps, tourné autour du pot. Un pas en avant, deux ou trois en arrière. Dans ma section, un canadien l'avait surnommé "je te prends, je te jette". Avec l'accent c'était cocasse...
- Rien d'inédit dans votre histoire, mais ce que vous vivez est dévastateur, dis-je. Beaucoup d'hommes (et de femmes) se sont trouvés dans cette situation, lançais-je aussitôt pour essayer de lui tendre une perche. Vous ne pouvez pas savoir combien ceci est banal. Mais votre souffrance n'est absolument pas son problème...Et depuis l'été dernier ?
- Elle m'a appelé une fois. Mais au lieu de me dire quelque chose de gentil, ce fut un désappointant : "Tu ne me téléphones plus ?". J'ai raccroché car j'ai absolument besoin de me protéger. Oui me protéger...
- Et aujourd'hui ?
- Son dernier texto semblait vouloir faire la paix.
- La paix ?
-  Mon métier a certainement rejailli sur son vocabulaire. Car de guerre entre nous, il n' y a jamais eu. Seulement le silence...
- Que souhaitez-vous faire ?
- Elle est là, présente, tous les jours. Tous les jours je pense à elle.  A-t-elle besoin de moi ? Est-elle capable de me le dire, me l'écrire ? Oui, bien sûr. Mais elle ne l'a pas fait.
Puis-je rompre le silence ? Peut-être, en fonction de ses sentiments pour moi. Mais je sais ce que je ne veux à aucun prix : renouer le contact en espérant qu'un jour peut-être..., c'est totalement et définitivement exclu. J'ai changé, beaucoup. Mûri, et quoiqu'il m'en coûte, je respecterai cette promesse que je me suis faite. A jamais.

J'étais meurtri pour cet homme. Qui souffre d'un chagrin d'amour. Habituellement, pour tenter de s'en sortir, certains tentent de rejoindre la Légion...Il a fait le contraire.
J' ai demandé à mon interlocuteur si je pouvais parler de son aventure sur ce blog. Il m'a donné son accord, à condition de ne pas citer de noms. 
- Bien sûr.
Depuis, je lui téléphone souvent. Hier, je lui ai conseillé de lire Le rabaissement de Philippe Roth. Ce matin, j'ai reçu un SMS : "Comment Roth connaissait-il mon histoire ?"."Ces histoires sont éternelles ! ", lui ai-je répondu.

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