L’agence de presse oubliée : Inter-France

 


A Saint-Cyr, ils sont condisciples. Au concours, le premier a été classé 34e. Le second, 119e. Nous sommes en 1909. Le second, c’est Charles de Gaulle. Le premier, Dominique Sordet. Capitaine, celui-ci quittera l’armée au début des années vingt. Pour devenir critique musical. Charles de Gaulle, qui n’a pas une âme de second et qui terminera 13e au terme de sa scolarité militaire, poursuivra sa carrière dans les circonstances que nous connaissons. En 1940, ces deux hommes se trouveront face à face dans des postures irréconciliables. Depuis le Front populaire, Sordet le nationaliste a basculé dans l’activisme politique. Après l’armée et la musique, il aborde sa troisième vie, de loin la plus tumultueuse. Après avoir publié dans plusieurs dizaines de journaux (parisiens et de province) un réquisitoire contre la politique menée par Léon Blum en octobre 1936, il créé deux ans plus tard l’agence Inter-France pour "défendre l'ordre français contre le bolchévisme menaçant". Avec cet outil, cet homme de 49 ans issu d’un milieu aisé, veut tirer la presse de province vers le nationalisme par le biais de cette agence nationale d'information de presse et de documentation politique, soutenue financièrement par des amis politiques et la confédération générale du patronat français (CGPF, dissoute par Vichy). A ses côtés apparaissent des parlementaires qui seront bientôt au coeur des « années noires » : Xavier Vallat, député de l’Ardèche et futur commissaire général aux questions juives (1941-42), Pierre Laval, qui entre 1931 et 1936 occupa plusieurs maroquins et fut également chef du gouvernement mais surtout qui allait devenir l’homme de la collaboration entière avec l’Allemagne nazie...

  L'apogée

L’histoire d’Inter-France n’avait pas été écrite. Mon confrère Gérard Bonet a habilement et minutieusement réparé ce vide. Son ouvrage « L’agence Inter-France, de Pétain à Hitler » (éditions du Félin), remarquablement bien documenté, est fort de 900 pages. Un livre qui explique avec précision et netteté les plans de Dominique Sordet, « premier mercenaire de la cinquième colonne » qui s’oppose à la guerre contre l’Allemagne et dont le rejet absolu est « la matrice d’Inter-France » explique l’auteur. Une entreprise de presse qui sera immédiatement « l’amie de l’ennemi ». Montoire -et la poignée de main Hitler-Pétain- lui ouvrira la voie de la collaboration. Puis le rapprochement avec l’agence télégraphique internationale allemande Tranzocean, le conduira à l’ultracollaboration. Ainsi naît Inter-France Informations, agence privée, à laquelle s’associera rapidement la moitié de la presse quotidienne régionale. En cette année 1941, Inter-France créé également une maison d’édition.

Cette période et les mois qui vont suivre constituent une sorte d’apogée pour Sordet et ses amis. Leur outil va acquérir une position dominante au sein de la presse de la collaboration. L’agence sème « la bonne parole », met en valeur les déclarations de Jacques Doriot, rend gloire à la Légion des volontaires français (LVF) qui se bat sur le front de l’Est « contre les Soviets. » Comme il soutiendra, ensuite, l’Etat milicien. Abel Bonnard (ministre de l'Education nationale en 1942), Marcel Déat (autre référence idéologique de l’ex-critique musical) et bien entendu Pierre Laval dont Sordet est l’admirateur intéressé, ont « table ouverte. » L’agence sera, longtemps, politiquement et idéologiquement lavalliste et comme son mentor souhaitera la victoire de l’Allemagne.  Ses cadres rejettent juifs, communistes, francs-maçons, la trilogie du parfait collaborateur et de l’extrême-droite de l’époque.

La chute

Mais Sordet et ses compères sont engagés dans une « logique mortifère ». En avril 1944, le chef adhère au comité des amis de la Waffen SS. L’Allemagne est en train de perdre la guerre. Après le débarquement allié en Normandie, Inter-France appelle à fusiller les maquisards. Le 29 juin, alors que Philippe Henriot redoutable orateur milicien et ministre de l’information et de la propagande a été abattu la veille par la Résistance, l’agence titre : « La mort glorieuse et victorieuse de Philippe Henriot. » Le 10 août les employés de l’entreprise perçoivent leurs indemnités de licenciement ; trois jours plus tard Sordet publie son dernier écrit. Le 15, à bord d’une voiture conduite par un milicien, il fuit avec sa secrétaire et compagne. Sordet mourra à Ville-d’Avray le 13 mars 1946. Seule une « poignée de traîtres » qui l’entourait fut ensuite condamnée par la justice. En 1949, les biens et éléments d’actifs d’Inter-France furent transférés par la justice à la Société nationale des entreprises de presse (créée en 1946).

Gérard Bonet dans sa remarquable entreprise a pris soin de mettre en perspective toutes les situations traitées dans l’ouvrage. Il met au jour une entreprise de manipulation de la presse de province (sous-titre du livre) que bien peu de Français connaissent.

L’histoire est un perpétuel recommencement. Je ne sais si cette phrase est réellement l’oeuvre de Thucydide. Mais après avoir lu Gérard Bonet, on aimerait l’éviter…

Gérard Bonet, L’agence Inter-France de Pétain à Hitler, éditions du Félin, 35 €

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