Mali, les conséquences régionales de la guerre

Nous terminons, aujourd'hui, le dialogue entamé avec Emmanuel Dupuy, président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), think tank spécialisé dans les questions géopolitiques, entamé autour de la diplomatie française au Mali et sur la situation et l'avenir de ce pays (voir post des 2 et 6 avril 2013). Nous examinons, aujourd'hui, les conséquences régionales de la guerre au Mali et le rôle "joué" par l'Algérie et les Etats-Unis.
"Les Etats clés - c’est-à-dire ceux qui développent une vraie stratégie dans le nouveau « Grand jeu » africain - sont sans doute ceux qui sont les moins en première ligne. Notre faiblesse (la France) consiste à ne pas vouloir profiter de la position acquise par notre implication militaire et par notre héritage historique. Peut-être qu’à l’image de la balance vers le Pacifique (Asia Pivot) évoquée par le Président Obama, l’Afrique de l’Ouest demeure notre profondeur stratégique… A force de ne pas le voir, nous laissons des espaces stratégiques vacants à d’autres : au premier lieu desquels, dans la bande sahélo-saharienne (notamment sa région occidentale) l’Algérie et les Etats-Unis.
Alger, on le sait est très actif dans cette crise, mais agit en sous-main. Elle n’appartient à aucune des organisations sous-régionales impliquées. L’Algérie, soucieuse de repousser hors de ses propres frontières, un terrorisme d’essence salafiste, influencé et composé d’anciens du GSPC, souffle ainsi le chaud et le froid. D’un côté, certains analystes dénoncent un soutien « logistique » déguisé - à travers la présence du Croissant rouge algérien à Gao - à certains mouvements fondamentalistes, dont Ansar Dine. Son fondateur, ex-rebelle touareg, Iyag Ag Ghaly est souvent décrit comme une « créature » du Département du Renseignement et de la Sécurité - DRS (services de renseignement algériens). On dit qu’il aurait trouvé refuge à Tamanraset (voir post du 6 avril 2013). A noter que les seuls actes de terrorisme avérés (hormis les prises d’otages dont sont victimes les ressortissants occidentaux, dont désormais 9 Français avec celui pris en otage par le groupe Ansaru au Nord du Nigéria) ont été commis sur son territoire ou contre ses intérêts. Les derniers en date, avant la prise d’otage spectaculaire d’In Aménas (600 ressortissants de plusieurs nations pris en otages, dont une centaine de tués dans l’assaut donné par le DRS et les Forces armées) qui remontent à janvier et novembre 2011 puis février 2012, ont touché « symboliquement » le Comité d’Etat-major opérationnel conjoint (CEMOC, crée en 2010 entre l’Algérie, le Mali, la Mauritanie et le Niger) qui vise - certes péniblement et de manière quelque peu artificielle - à fédérer les efforts régionaux contre le terrorisme. Alger a, du reste depuis la prise d’otages de quatre de ses ressortissants, les mêmes préoccupations que Paris. La visite du président François Hollande à Alger, les 19 et 20 décembre derniers, avait été du reste l’occasion de confirmer ce rôle de médiateur discret.
Les Etats-Unis ne s’y sont pas trompés non plus. On sait aussi Washington très préoccupé par l’ampleur que prend la crise sécuritaire au Mali et au-delà dans la sous-région. Les Etats-Unis craignent par-dessus tout, une imbrication de plus en plus évidente entre narco-trafic et terrorisme djihadiste. Ils craignent ainsi que l’Ouest africain, où ils tentent d’y ancrer leurs investissements économiques, deviennent une zone de perturbations où ils aient à intervenir, comme en Somalie en 1992 avec l’Opération « Restore Hope ». La similitude avec la situation d’alors leur fait craindre une implication qu’ils ne cherchent évidemment pas mais préparent néanmoins activement sur le long terme (après l’opération Serval). Washington voit ainsi, de nouveau, les ingrédients d’une instabilité régionale globale et durable :
-          mal gouvernance ayant aboutie à la consolidation d’une « zone grise » de plusieurs dizaines de millions de Km2 ou se croisent narco-dollars et prolifération d’armes de petits calibres (8 millions aux derniers évaluations) et d’autres plus inquiétantes - à l’instar de missiles sols-air apparus à la chute du régime Khadafi .
-          Etats dit « faillis » qui plus est doublées de revendications d’indépendances micro-territoriales (Azawad) ; le tout, aggravée par une famine qui menace désormais près de 12 millions de personnes à travers l’ensemble de la bande sahélienne.
La crainte, du reste avérée, d’une convergence de mouvements terroristes, réunissant dans un même combat, AQMI, Ansar Dine, Mujao, les Shebaab somaliens, Boko Aram et Ansaru nigérian (auxquels il convient d’ajouter le mouvement Ansar-Al-Sharia, désormais solidement ancré dans le sud-libyen) contre des forces occidentales qui deviendraient, dès lors, des cibles d’opportunité, termine de préoccuper les nouveaux acteurs influents à Washington. Il semble que ce soient les militaires qui aient repris la main, du moins dans la sous-région de l’Ouest africain. Ces derniers, sont mieux identifiés au sein du Pentagone à travers le Commandement des Forces spéciales (Socom - notamment sa branche africaine - Socafrica) ; et aussi et surtout le dernier de ses commandements régionaux crées, en l’espèce le Commandement africain des forces armées (Africom, crée en 2007 à Stuttgart, à défaut d’avoir encore trouvé un port d’attache africain et qui serait forte de plus ou moins 5000 hommes).Ce dernier va considérablement se renforcer dans les premiers mois de 2013. Cette réalité va néanmoins de pair avec certaines lacunes - notamment liées aux baisses budgétaires actuellement discutées au sein du Congrès américain – comme est venu récemment se plaindre l’actuel commandant d’Africom, le général Carter Ham. Il va y dispatcher des troupes ainsi que renforcer son équipement en drones dans 35 Etats africains (Kenya, Ouganda, Somalie, Algérie, Soudan, Niger, Mali, Mauritanie, Nigéria, République centrafricaine, etc.) dans le but d’accompagner les efforts d’entrainement et d’équipement de la nouvelle architecture de sécurité sur le continent (décidée lors du Sommet UA, Durban en 2002) et afin de faciliter la mise en place effective des cinq brigades régionales des Forces Africaines en Attente (FFA). Les Américains pensent aussi - à travers les développements des opérations menées par les Français, dont ils n’hésitent pas vanter la parfaite maîtrise -  bien évidemment à la capacité « résiliente » d’intervention de leurs propres troupes en cas de crises, à l’image des forces pré-positionnés françaises jusqu’à leur réforme en 2009. Sont ainsi d’ores et déjà programmés, entre février et avril, près d’une centaine d’exercices conjoints entre les forces armées locales et les équipes américaines, au niveau d’une compagnie (200 hommes) pouvant aller jusqu’à celui d’un bataillon (approximativement 800 soldats).
Des articles récents ont récemment fait état des velléités d’Africom de renforcer leurs capacités en matière de surveillance aérienne sur le continent africain, notamment en élargissant les missions de drones, jusqu’ici activement présentes sur le Camp Lemonier à Djibouti et ce, notamment, en vue des opérations menées par le Joint Special Operations Command (JSOC) qui y disposerait de près de 300 forces spéciales dans le pays. On sait également que l’arrivée récente d’une centaine de militaires américains au Niger, suite à la demande formulée par Barak Obama au Sénat américain, le 22 février dernier, préfigure très certainement l’installation pérenne d’une base américaine sur l’aéroport Diori Hamani de Niamey.Or, au-delà de ces cas emblématiques de présence ostentatoire américaine, liée à leur stratégie du « Transsaharian Counter Terrorism Partnership », c’est une autre stratégie que les forces américaines semblent mettre en place sur le continent africain, celle de la stratégie du « collier de perles ». Ce sont ainsi six nouvelles installations - sur des aéroports situés à la lisière de la zone sahélo-saharienne, à proximité de la Corne de l’Afrique et de la région des Grands lacs - de drones MQ-9 et d’avions de reconnaissance Pilatus PC-12. Montée en puissance « cohérente » si l’on tient compte de la pré-existence des projets secrets de surveillance, à l’instar du projet « Sand Creek » au Burkina-Faso - sensé appuyer de manière contextuelle la mission Serval au Mali et plus généralement surveiller la bande occidentale du Sahara.
Le sénateur américain de l’Arizona, John McCain, ancien candidat républicain à la Maison blanche qui vient de mener une mission du Sénat américain au Mali, aux côtés du sénateur démocrate du Rhode-island, Sheldon Whitehouse, a d’ailleurs évoqué la nécessité pour les Etats-Unis de s’impliquer davantage au Mali et au Sahel, en y engageant, notamment, plus de conseillers militaires…".

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