Mali

Nous reprenons, aujourd'hui, le dialogue entamé avec Emmanuel Dupuy, qui préside l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), think tank spécialisé dans les questions géopolitiques, entamé autour de la diplomatie française au Mali (voir post du 2 avril 2013) et sur la situation et l'avenir de ce pays dans le contexte régional .



Q : Abou Zeïd est mort. Mokhtar Belmokhtar a peut-être été expédié ad patres. Que sait-on du chef d’Ansar Dine, Iyad Ag Ghaly ?
Emmanuel Dupuy : Les dernières informations qui nous sont parvenues, font état de la fuite du chef d’Ansar Dine, vers le Sahara Occidental. Mais on le dit également au Mali, en l’occurrence dans les environs de la localité de Bougoumi, située à une soixantaine de km de Tombouctou. D’autres informations relayées par de nombreux médias occidentaux, ont même évoqué le fait que Iyad Ag Ghaly, sentant le vent tourner, ait demandé dès les premières heures de l’opération militaire française, son exil à la Mauritanie voisine. De fait, la question de la crédibilité et de la fermeté des pays voisins, en premier lieu desquels l’Algérie et la Mauritanie, vis-à-vis des djihadistes est essentielle. Alger et Nouakchott n’ont ainsi pas hésité à fermer respectivement les 1200 km et 800 km de leurs frontières et les rendre imperméables à d’éventuelles fuites des combattants d’Aqmi, du Mujao et d’Ansar Dine. Il faut également se poser la question du devenir d’autres chefs islamistes dont Abdelmalek Droukdel, ancien « émir » de l'organisation terroriste algérienne du Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC) et désormais le seul chef d’AQMI d’importance, encore en vie. Certains évoquent, comme pour Iyad Ag Ghaly, des liens plus ou moins distendus de ce dernier avec les services de renseignements algériens (département de renseignement et de sécurité – DRS) soucieux de garder un œil sur ces djihadistes, tout en le considérant comme le principal responsable de l’attentat qui coûta la vie à 62 personnes, dans l’explosion du siège de l’ONU à Alger en décembre 2007.

Q : La France s’appuie sur le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA). Celui-ci a-t-il un avenir politique ?
La mise en place de la Commission « Dialogue et Réconciliation » (CDR), dont la création a été officialisée par le Président Dioncounda Traoré, le 6 mars dernier et dont la composition devrait être connue prochainement, semble activer la volonté du MNLA de sortir de l’impasse « politique ». Les relations avec la France, sujettes à de constantes et vigilantes réclamations de la part du Mali, risquent de se compliquer d’avantage avec les récentes revendications émises par le mouvement rebelle touareg. Le MNLA se pose ainsi de jour en jour comme l’administrateur de la ville de Kidal. En demandant ainsi à la France, au Burkina-Faso, à la Mauritanie et à la Suisse - qui a été, du reste, un de leurs tous premiers soutiens internationaux -  et non au Mali, de pourvoir aux carences de l’aide humanitaire et sanitaire, à la réouverture des établissements scolaires, au rétablissement des réseaux de télécommunications, le MNLA pose davantage les jalons d’une administration de transition qui souhaite sans aucun doute se pérenniser, une fois la sécurité de l’ensemble de la région ré-établie.
Ce mouvement, désormais récusé par le gouvernement malien d’être un interlocuteur crédible pour d’éventuelles discussions avec les populations du Nord, a par ailleurs vu récemment 11 de ses cadres (dont plusieurs détenteurs d’un passeport français) visés par un mandat d’arrêt émis par le Bamako et pour lequel le Mali demande à la France de répondre, eu égard aux accords de réciprocité judiciaires.
Paris se retrouve donc prise en tenaille entre Bamako qui exige régulièrement  de rentrer dans Kidal libérée par le MNLA, et ce dernier qui menace de s’en prendre à l’armée malienne si cette dernière tentait de le faire. Par ailleurs, sur le terrain du dialogue entre la France et le MNLA, plusieurs signes laissent à penser que celui-ci cherche à élargir sa légitimité en ré-intégrant dans ses instances plusieurs cadres issus de la dissidence d’Ansar Dine, en l’occurrence le Mouvement islamique de l’Azawad (MIA) dirigé par Alghabass Ag Intalla.
Parallèlement, les exactions à l’encontre des Touaregs semblent se confirmer, si l’on en croit les constations récentes effectuées par Amnesty International. Les deux « parties » en appellent désormais à la justice internationale, par le truchement de la Cour Pénale Internationale (CPI). Pour rappel, Bamako a ainsi saisi la Cour de La Haye après la mort d’une centaine de soldats maliens à Aguelhok, dans le nord-est en janvier 2012.
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Q : Et dans l’embrouillamini politique malien, il y a le capitaine putschiste, Sanogo ?
Ce dernier, en quittant son bastion de Kati et ses bérets verts (commandos parachutistes) et en prenant la tête du « Comité militaire de suivi de la réforme des forces de défense et de sécurité », le 13 février dernier, accède à l’une des principales demandes de la communauté internationale, plus spécifiquement de la Communauté économique et des états de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), à savoir le contrôle politique - à défaut d’être totalement parlementaire - des forces armées. On se souvient que de violents affrontements entre bérets rouges (réputés fidèles à l’ancien président déchu Amadou Toumani Touré) et bérets verts s’étaient soldés - aux abords du camp militaire de Djicoroni, en plein centre de Bamako - par plusieurs morts. Même si Amadou Haya Sanogo a tenu à préciser que son comité, n’avait aucune vocation politique, le président Dioncounda Traoré y voit là une occasion rêvée, en faisant symboliquement descendre sur Bamako, l’ancien chef de la junte militaire. Ce mouvement lui permet également de réduire l’influence de l’auteur du coup d’état du 22 mars 2012, sur les forces armées, dont 3000 hommes sur les 12 000 soldats qui les composent combattent au Nord, aux côtés de la MISMA, des 2500 Tchadiens et des militaires français. Ce n’est qu’une étape mais elle est importante à bien des égards. Il convient aussi de la replacer dans le contexte politique malien, encore tétanisé par la chute d’ATT, la « démission » du Premier ministre Cheik Modibo Diarra et le cadre transitoire et « fragile » du duo représenté par le président Dioncounda Traoré et le premier Ministre Diango Cissoko. Dans ce contexte, la tenue - de moins en moins probable des élections voulues par la Communauté internationale d'ici le 31 juillet prochain – demeure une des clés de lecture essentielle quant au rôle que pourrait jouer le Capitaine Sanogo.

A suivre.

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