Francis Kean, l’ancien patron de la marine fidjienne qui se rêvait dirigeant du rugby mondial
@Fbcnews |
Mais
des révélations embarrassantes ont contraint Francis Kean à déclarer forfait avant
l’élection du 2 mai dernier. Et à renoncer à intégrer le comité exécutif du rugby
mondial. Voici cette enquête sur un homme aux multiples visages.
Naguère, Francis Kean a été le patron de la marine de son
pays, Fidji. Situé à 16 800 km de la France. Dans cet archipel éclaté
-plus de 1000 îles et îlots- « les forces armées constituent l’élément
central de la vie politique et civile de la nation » explique un
spécialiste du Pacifique Sud. Une république qui reste marquée par les
traditions militaires de l’ex-puissance coloniale, la Grande-Bretagne. En 2014,
M. Kean est nommé Secrétaire permanent des
travaux, des transports et des services publics (Permanent secretary), c’est-à-dire
numéro deux du ministère. Deux ans plus tard, il est à la tête des prisons du pays.
Voilà pour un rapide survol d’un parcours de haut fonctionnaire. Ajoutons, un
élément loin d’être neutre : Francis Kean est le beau-frère de Frank Bainimarama, le Premier ministre et homme
fort des Fidji. Le
5 décembre 2006, le contre-amiral Bainimarama prenait le pouvoir à Suva, la
capitale, grâce à un putsch. Il est quasiment Premier ministre depuis 2009. Son
parti a gagné les élections de 2018, avec une très courte majorité.
La prison comme responsable mais aussi comme
détenu
Lorsque Kean était à la tête
de l’administration pénitentiaire, quatre anciens gardiens, aujourd’hui
réfugiés en Australie, l’accusent d’avoir mené une campagne d’intimidation.
Ceux-ci se sont récemment confiés au quotidien britannique The Guardian qui précise dans son édition du 16 mai dernier, que
« des comptes rendus détaillés fournis par les quatre officiers affirment
que Francis Kean a mené une campagne brutale d’intimidation, de coercition et
de violence à la fois contre les prisonniers et le personnel. » L’un de
témoins évoquant le mode opératoire, indirect souvent utilisé : « Il
disait en fidjien : cakava ga na ka
e dodonu me caka. « Faites simplement ce qui est censé leur être
fait. » Il y a quatre ans, son beau-frère le Premier ministre,
s’adressant à une conférence régionale des Nations unies sur la torture,
concédait que « cette culture de ce que nous appelons les buturaki -les coups- est profondément
enracinée dans certaines parties de la psychée fidjienne. Mais ce n’est tout
simplement pas acceptable à l’ère moderne » rappelait le quotidien
londonien dans ce long article consacré à Francis Kean. Auquel
des propos homophobes sont également prêtés. « Les récits de brutalité
policière, en général, sont nombreux aux Fidji mais pas toujours facile d’en
vérifier la véracité » raconte un enseignant qui y a longtemps séjourné.
Ironie
de l’histoire, Francis Kean a fréquenté, avant de les diriger, les prisons de
son pays. Comme détenu. En 2007, celui-ci tue un homme lors du mariage de sa nièce, la fille
de Frank Bainimarama. Il plaidera
coupable d’homicide involontaire, sera condamné à dix-huit mois de prison mais
sera rapidement libéré. La proximité entre les deux hommes a-t-elle-joué ?
Le duo à la tête du rugby fidjien
Le rugby est un autre lien
entre le chef du gouvernement et son beau-frère. Ce sport constitue « avec
les églises, le principal motif de solidarité entre fidjiens. Un peu comme en
Nouvelle-Zélande où ce sport est partout, au centre de toutes les discussions,
éclipsant la politique, l’économie » explique cet excellent connaisseur
des pays du Pacifique Sud. En 2014, les deux hommes prennent en main la
fédération de rugby locale (FRU). Bainimarama en est le président et Kean le chairman, et dirige, à ce titre les
débats du board. Avec fermeté, selon
les témoignages. Une personnalité donc au sein d’une fédération de rugby qui
produit depuis longtemps des talents appréciés outre-mer. Ainsi, lors de la coupe
du monde 2019, sur les 33 joueurs fidjiens sélectionnés, 13 évoluaient en
France. D’où la candidature de son numéro deux au comité exécutif du World rugby. Soutenue par la Fédération
française (FFR) et son président Bernard Laporte, devenu lui depuis
vice-président du World Rugby.
Laporte qui avait trouvé Kean, qu’il n’aurait rencontré que deux trois fois, «
adorable, avec son grand sourire », confiait-il récemment à L’Equipe. Pourtant des mises en garde
avaient été adressées depuis longtemps aux dirigeants du ballon ovale
international. Par Dan Leo, ancien capitaine des Samoa, actuel président de Pacific Rugby Players Welfare (PRPW),
association de défense des joueurs du Pacifique, par deux rapports d’Amnesty
international, par le Sunday Times,
par également Ben Ryan, ancien entraineur de l’équipe fidjienne de rugby à 7,
championne olympique en 2016, cité par le quotidien sportif français. Qui rappelle
dans un ouvrage publié en 2018, avoir alerté les dirigeants internationaux de
son sport. Qui aujourd’hui se déclarent « dans l’embarras. »