Françoise Hostalier : « La question des femmes afghanes est complexe pour les féministes » (2)
Deuxième et dernier volet de l’entretien avec Françoise Hostalier, présidente du Club France-Afghanistan, sur la place des femmes dans l'univers taliban.
Pour les talibans l’objectif c’est l’invisibilisation de la femme ?
Oui, totalement. La femme ne doit plus exister pour ne pas tenter les hommes. Cela est dit explicitement dans la loi.
Cela dans le silence du monde occidental ?
Oui mais que faire ? Il y a eu des protestations officielles à l’ONU, quelques pays aussi se sont émus de ce que cette loi allait enfermer très officiellement les femmes dans une prison de la dimension de leur pays… Mais les talibans ont répliqué que c’était au contraire pour protéger les femmes qu’il fallait les soustraire à la vue des hommes et leur permettre d’être de bonnes musulmanes et de bonnes épouses.
Des démarches ont été lancées pour condamner les talibans pour crime contre l’humanité sous prétexte de « crime d’apartheid sexiste ». Mais il faudra des années pour éventuellement instruire. Et très franchement, que pouvons-nous faire, nous les occidentaux ? Nous ne sommes déjà pas capables d’apporter un message de défense des Droits humains aux Chinois, aux Russes, et à quelques autres pays avec lesquels nous avons (ou avions) pourtant des relations commerciales et diplomatiques. Alors comment intervenir devant un régime arrivé par un coup d’état et qui ne reconnaît aucune de nos valeurs ?
De plus, il faut tout de même rappeler que pendant vingt ans (une génération !), nous avons payé le prix du sang (90 militaires français tués, 250 blessés, et combien d’autres de la communauté internationale…) et laissé plusieurs milliards de dollars sur le terrain afghan. Il ne faut donc pas nous demander de continuer ou de recommencer. Il serait temps que les Afghans eux-mêmes se prennent en main si ce régime totalitaire et liberticide ne leur convient pas. Nous sommes prêts à les soutenir, mais pas à faire à leur place.
Encore une fois, la défense par les courants féministes de la cause des femmes dans le monde est à géométrie variable ?
Je pense qu’il n’y a plus de défense de la cause féminine digne de ce nom. Dans les années 1992-1997 j’ai fait partie des mouvement de soutien aux femmes algériennes qui résistaient au GIA (ndlr : Groupe islamique armé). Nous avions organisé d’incroyables manifestations dans Paris, un colloque à la Sorbonne, il y avait des mouvement dans toutes les villes de France, j’avais fait deux déplacements en Algérie pour témoigner. Puis ce fut pour la Bosnie et le soutien aux femmes de Srebrenica ; puis pour la Tchétchénie. Puis plus rien… Même la situation horrible des filles et des femmes dans le Sahel aux prises avec les djihadistes ne mobilise pas, pas plus que les horreurs vécues par les femmes Yézidies ; pourtant tout cela a est connu, documenté.
La question des femmes afghanes est certes complexe pour les féministes, partagées entre « le droit de se vêtir comme on veut » et qui donc plébiscitent voile islamique, burkini et autre vêtement marquant en fait la soumission de la femme, et celles qui revendiquent la liberté et l’égalité absolue sans référence à la situation propre de l’histoire du pays.
Que pourrait-être un courant féministe qui défendrait de manière efficace le droit des femmes en Afghanistan ?
Surtout sans les mettre en danger et en respectant leur histoire, leurs besoins et leurs aspirations ? Je n’ai pas la réponse…
La première fois que jje suis allée en Afghanistan en 2002, quand j’ai réalisé l’effondrement de la société et la détresse de la situation de la place des femmes dans ce monde sans repère, sans loi, en état de survie, j’avais dit qu’il faudrait au moins trois générations pour remettre la société dans l’ordre. Trois générations, c’était environ 45 à 50 ans. Nous n’avons pas eu la patience ni le savoir-faire. Nous avons même contribué à accentuer la division entre les clivages sociaux : les urbains et les ruraux ; ainsi que les clivages ethniques. De ce fait, les femmes ont été à la fois le « bouc émissaire » mais aussi le gage à payer des dérives d’une société incapable de se construire après 40 ans de conflits.
La médaille obtenue, le 30 août, aux Jeux paralympiques par la taekwondiste afghane, réfugiée en France, Zakia Khudadadi ?
Quelle est belle notre petite championne. Et finalement bien qu’ayant essayé de lui obtenir la nationalité française, je trouve que sa victoire sous la bannière des réfugiés est aussi un merveilleux symbole.
Oui, ce « petit bout de bonne femme », moins de 47 kg d’énergie et de volonté, a su franchir et déplacer les montagnes pour devenir médaillée olympique. Doublement handicapée puisque femme, elle sera devenue un modèle pour des milliers de femmes dans le monde auxquelles elle a dédié sa médaille. Beaucoup de médias français lui ont rendu cet hommage ; espérons que ce souffle vertueux ne retombera pas et que l’icône Zakia sera vecteur pour la résistance à la fois en Afghanistan mais dans tous les pays où la femme est opprimée par des idéologies en premier lieu machistes.
Pour les talibans l’objectif c’est l’invisibilisation de la femme ?
Oui, totalement. La femme ne doit plus exister pour ne pas tenter les hommes. Cela est dit explicitement dans la loi.
Cela dans le silence du monde occidental ?
Oui mais que faire ? Il y a eu des protestations officielles à l’ONU, quelques pays aussi se sont émus de ce que cette loi allait enfermer très officiellement les femmes dans une prison de la dimension de leur pays… Mais les talibans ont répliqué que c’était au contraire pour protéger les femmes qu’il fallait les soustraire à la vue des hommes et leur permettre d’être de bonnes musulmanes et de bonnes épouses.
Des démarches ont été lancées pour condamner les talibans pour crime contre l’humanité sous prétexte de « crime d’apartheid sexiste ». Mais il faudra des années pour éventuellement instruire. Et très franchement, que pouvons-nous faire, nous les occidentaux ? Nous ne sommes déjà pas capables d’apporter un message de défense des Droits humains aux Chinois, aux Russes, et à quelques autres pays avec lesquels nous avons (ou avions) pourtant des relations commerciales et diplomatiques. Alors comment intervenir devant un régime arrivé par un coup d’état et qui ne reconnaît aucune de nos valeurs ?
De plus, il faut tout de même rappeler que pendant vingt ans (une génération !), nous avons payé le prix du sang (90 militaires français tués, 250 blessés, et combien d’autres de la communauté internationale…) et laissé plusieurs milliards de dollars sur le terrain afghan. Il ne faut donc pas nous demander de continuer ou de recommencer. Il serait temps que les Afghans eux-mêmes se prennent en main si ce régime totalitaire et liberticide ne leur convient pas. Nous sommes prêts à les soutenir, mais pas à faire à leur place.
Encore une fois, la défense par les courants féministes de la cause des femmes dans le monde est à géométrie variable ?
Je pense qu’il n’y a plus de défense de la cause féminine digne de ce nom. Dans les années 1992-1997 j’ai fait partie des mouvement de soutien aux femmes algériennes qui résistaient au GIA (ndlr : Groupe islamique armé). Nous avions organisé d’incroyables manifestations dans Paris, un colloque à la Sorbonne, il y avait des mouvement dans toutes les villes de France, j’avais fait deux déplacements en Algérie pour témoigner. Puis ce fut pour la Bosnie et le soutien aux femmes de Srebrenica ; puis pour la Tchétchénie. Puis plus rien… Même la situation horrible des filles et des femmes dans le Sahel aux prises avec les djihadistes ne mobilise pas, pas plus que les horreurs vécues par les femmes Yézidies ; pourtant tout cela a est connu, documenté.
La question des femmes afghanes est certes complexe pour les féministes, partagées entre « le droit de se vêtir comme on veut » et qui donc plébiscitent voile islamique, burkini et autre vêtement marquant en fait la soumission de la femme, et celles qui revendiquent la liberté et l’égalité absolue sans référence à la situation propre de l’histoire du pays.
Que pourrait-être un courant féministe qui défendrait de manière efficace le droit des femmes en Afghanistan ?
Surtout sans les mettre en danger et en respectant leur histoire, leurs besoins et leurs aspirations ? Je n’ai pas la réponse…
La première fois que jje suis allée en Afghanistan en 2002, quand j’ai réalisé l’effondrement de la société et la détresse de la situation de la place des femmes dans ce monde sans repère, sans loi, en état de survie, j’avais dit qu’il faudrait au moins trois générations pour remettre la société dans l’ordre. Trois générations, c’était environ 45 à 50 ans. Nous n’avons pas eu la patience ni le savoir-faire. Nous avons même contribué à accentuer la division entre les clivages sociaux : les urbains et les ruraux ; ainsi que les clivages ethniques. De ce fait, les femmes ont été à la fois le « bouc émissaire » mais aussi le gage à payer des dérives d’une société incapable de se construire après 40 ans de conflits.
La médaille obtenue, le 30 août, aux Jeux paralympiques par la taekwondiste afghane, réfugiée en France, Zakia Khudadadi ?
Quelle est belle notre petite championne. Et finalement bien qu’ayant essayé de lui obtenir la nationalité française, je trouve que sa victoire sous la bannière des réfugiés est aussi un merveilleux symbole.
Oui, ce « petit bout de bonne femme », moins de 47 kg d’énergie et de volonté, a su franchir et déplacer les montagnes pour devenir médaillée olympique. Doublement handicapée puisque femme, elle sera devenue un modèle pour des milliers de femmes dans le monde auxquelles elle a dédié sa médaille. Beaucoup de médias français lui ont rendu cet hommage ; espérons que ce souffle vertueux ne retombera pas et que l’icône Zakia sera vecteur pour la résistance à la fois en Afghanistan mais dans tous les pays où la femme est opprimée par des idéologies en premier lieu machistes.
Photo : Avant l'arrivée des talibans, ©DR