François Broche : « Darlan, avait vite compris que l’Allemagne ne l’emporterait pas contre la Russie »

Le 40e livre de François Broche, fils de compagnon de la Libération, est consacré à 1941 et aux technocrates qui entourent l’amiral Darlan. Un chef du gouvernement, qui tente d’assurer depuis Vichy, aux côtés du maréchal Pétain et en collaborant, la destinée d’une France occupée (Editions Glyphe)*.

- Pourquoi avez-vous choisi de traiter de l'année 1941 ?
Mon précédent livre était consacré à la fuite des « collabos » en 1944 (La Cavale des collabos, Nouveau Monde éditions, 2023). Je suis également l’auteur d’une Histoire de la Collaboration, avec mon ami Jean-François Muracciole, et d’un gros Dictionnaire de la Collaboration, paru il y a dix ans, dont je prépare une réédition revue et augmentée prévue pour 2025. 1941,c’est l’année du gouvernement de l’amiral Darlan, une sorte de parenthèse entre deux événements majeurs : l’éviction de Pierre Laval en décembre 1940 et son retour aux affaires en avril 1942. Jamais sans doute dans l’histoire de France un gouvernement n’aura compté autant d’hommes compétents et brillants. Malheureusement pour eux, comme le note Jünger dans son Journal de guerre à propos de Benoist-Méchin, leur erreur est d’« avoir, au carrefour, choisi le mauvais chemin ».

- Vichy, c'est le royaume des 
« fake news » ?
Bien sûr ! Et il ne pouvait en être autrement dans cette capitale non pas d’opérette mais de tragi-comédie, au centre de toutes les intrigues et de toutes les rumeurs complaisamment entretenues par une presse hystérique et toutes sortes d’officines parallèles, comme celle du docteur Martin, co-fondateur de la Cagoule et d’un service renseignements tous azimuts visant à dénoncer et à combattre les « menées anti-nationales ». Dans son Journal de la France, Fabre-Luce montre bien comment les Français, privés de repères depuis la défaite, sont disposés à croire à toutes les fables dispensées par une presse ultra-collaborationniste, comment ils se vautrent dans ce que le grand historien des mentalités Pierre Laborie appelle « la doxa de la France glauque », où mensonges, injures, rumeurs et légendes composent l’ordinaire des jours.

- Des complotistes qui voient la main de la "Synarchie" partout ?
Les « années noires » sont l’âge d’or du complotisme. Les informations les plus délirantes, non recoupées, non vérifiées, circulent sans relâche dans un pays soumis à une occupation étrangère de plus en plus dure. Elles n’épargnent personne, pas même le Maréchal Pétain, soupçonné tantôt de vouloir s’entendre avec les Anglo-Saxons, tantôt de préparer son départ pour Alger, tantôt de se montrer trop faible avec les Juifs ou avec ce que le ministre de l’Intérieur Pierre Pucheu appelle la « démocrassouille ». Les collaborationnistes parisiens sont à la pointe de cette offensive contre le régime de Vichy, soupçonné d’être aux mains de la mystérieuse « Synarchie » et des banques liées au capitalisme anglo-saxon et juif.

- Justement qu’est-ce que la Synarchie ?
Au début de l’Occupation, plusieurs journaux ultra-collaborationnistes (L’Appel, Au Pilori) répandent la rumeur qu’une société secrète liée à la franc-maçonnerie a entrepris de saboter la Révolution nationale pour prendre le pouvoir avec l’appui du capitalisme anglo-saxon. Reprise par Marcel Déat lorsque l’amiral Darlan arrive au pouvoir (février 1941), accréditée par les liens étroits entre plusieurs ministres et proches de Darlan (Barnaud, Benoist-Méchin, Pucheu, Paul Marion, François Lehideux, Yves Bouthillier) et le groupe Worms et l’un de ses dirigeants, Gabriel Le Roy Ladurie, cette rumeur est d’abord exposée dans une note secrète rédigée par le docteur Martin (juillet 1941), qui fait état de l’existence d’un « pacte synarchique d’Empire », inspiré par l’ingénieur Jean Coutrot (mort mystérieusement quelque temps plus tôt). Elle est à nouveau développée dans le « rapport Chavin », selon lequel un « Mouvement synarchique d’Empire », fondé en 1922, aurait d’abord tenté de prendre le pouvoir avant la guerre d’abord en suscitant la Cagoule, puis, à la faveur de la défaite militaire, d’« assujettir toutes les économies des différents pays à un contrôle unique, exercé par certains groupes de la haute banque ». Cette interprétation ne suffit pas à prendre au sérieux l’existence d’un complot synarchique. Il n’existe aucune preuve que Darlan et son équipe, qui ne resteront au pouvoir qu’un peu plus d’un an, aient été à la solde d’une grande banque d’affaires ou du « capitalisme international ». La Synarchie est une fable, un avatar de la mythologie du complot permanent, qui continue de nourrir les fantasmes et ne cesse d’enfiévrer les imaginations.


- Les Polytechniciens ne sont pas, non plus, 
« en odeur de sainteté » ?
Les « X » sont vivement pris à partie dans la note du docteur Martin, qui dénonce une entreprise de subversion menée par un groupe de polytechniciens et d’inspecteurs des finances. Il est vrai que les « X » sont largement présents dans les gouvernements de Vichy : Paul Baudouin, Jean Borotra, Jean Berthelot, Robert Gibrat, René Norguet, Henri Lafond, Jacques Barnaud, Jean Bichelonne, probablement le plus brillant de tous. Ils sont également présents dans l’armée de Vichy : les généraux de La Porte du Theil, Héring, Noguès, Olry, Picquendar, Verneau…

Début août 1941, l'amiral Darlan explique à ses intimes pourquoi l'Allemagne a perdu la guerre ?
Darlan ne peut être réduit à la caricature de l’opportuniste qui retournera sa veste au moment du débarquement allié en Afrique du Nord. C’était un politique réaliste et lucide : il avait vite compris que l’Allemagne ne l’emporterait pas contre la Russie. De ce constat, il tirait une véritable anticipation, qui se trouvera confirmée par la suite : il prédit à ses ministres que l’on assistera bientôt à ce qu’il appelle une « redistribution de la puissance », marquée notamment par l’entrée en guerre des Etats-Unis aux côtés de la Grande-Bretagne. Dans cette nouvelle configuration, il juge essentiel d’assurer la présence de la France dans l’empire colonial. C’est également le souci de De Gaulle… qui finira par l’emporter.

- 1941, c'est aussi l'année 
« de pénitence »
 de Laval ?
Laval ne s’est pas remis de la mauvaise manière que lui a fait Pétain en l’évinçant. Durant toute l’année 1941, il va préparer très habilement son retour. Comme c’est un politique habile et rusé, il a l’intelligence de ne pas braquer le Maréchal et il est servi par quelques intermédiaires de qualité, comme Benoist-Méchin et Pucheu. Il est également servi par l’effacement progressif de Darlan, qui est bien analysé par du Moulin de Labarthète, le directeur du cabinet du Maréchal Pétain, dans Le Temps des illusions, un témoignage essentiel : « Darlan s’abandonne. Il s’effiloche. Il sent que le pays, qui ne l’a jamais aimé, se refuse de plus en plus à le suivre. […] On croit assister à la fin d’un règne. »

* 1941, les hommes de l'Amiral, éditions Glyphe.

Photo François Broche : DR

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