PSG, enquête sur un hermétique club-Etat
En 2022, les journalistes François Vignolle et Laurent Valdiguié s’étaient intéressés au « Baron noir du président », Gérald Darmanin (Robert Laffont). Deux ans plus tard, autre enquête du duo sur le club de football phare de la capitale, le Paris Saint-Germain, plus communément appelé le PSG, propriété du Qatar ( PSG confidential, Robert Laffont). Dont le mystérieux président est NAK, entendez Nasser al-Khelaïfi.
Un club entre lumière et ombre, détaillées dans cet entretien par François Vignolle, coordinateur des enquêtes du groupe M6.
Pourquoi le Qatar est-il si accroc au PSG ?
Je dirais qu’il l’est devenu. Au départ, l’acquisition du PSG s’est faite un peu par hasard en 2011. Le Qatar lorgnait plus vers le championnat anglais, plus exposé et plus prestigieux. Mais face aux demandes répétées de son « ami » Nicolas Sarkozy, le futur émir Tamim al-Thani a cédé et a acheté le club parisien. C’était un épisode anecdotique dans un grand projet de soft power : l’obtention de la coupe du monde qui leur permettrait de devenir un peu plus un acteur fréquentable et respecté sur l’échiquier mondial. Et puis avec le temps, les Qatariens ont pris goût à la ligue des champions, à la griserie de ces soirées européennes. Comme pour tant d’autres, le foot rend fou.
Le club parisien est d’abord une vitrine politique pour Doha ?
Oui, en ce sens que le Qatar a pu s’exposer dans le monde entier grâce « au club de la Tour Eiffel ». Ils en ont fait une marque mondiale, valorisée aujourd’hui à plus de 4,2 milliards d’euros qui souhaite rivaliser avec les franchises américaines de basket et de football américain. En cela, c’est un vrai succès. De New Delhi à Miami, des gamins portent dans les rues des maillots du PSG.
Cela a été aussi une magnifique passerelle pour la coupe du monde en 2022 au Qatar. Cette monarchie gazière, pas plus grande qu’un département français, régulièrement pointée du doigt par des ONG pour violer les droits de l’Homme ou montrer une certaine complaisance envers des groupes islamistes, a pu organiser devant 1,5 milliard de téléspectateurs, un événement aussi fédérateur qu’une coupe du monde. Aucun conseiller de l’émir n’aurait osé lui écrire un tel scénario. Une finale du mondial, un 18 décembre, jour de la fête nationale, avec sur le terrain les deux meilleurs joueurs de la compétition s’affrontant dans un suspense irrespirable : Messi et Mbappé, les deux employés du PSG. La boucle était bouclée.
Vous évoquiez Nicolas Sarkozy, mais cette proximité affirmée avec l'exécutif français est toujours d’actualité avec Emmanuel Macron ?
Nicolas Sarkozy est un grand fan du PSG depuis sa jeunesse. Il connaît tous les joueurs, les remplaçants, les femmes des joueurs. Il est incollable sur le palmarès du club depuis sa création en 1970.
Dans le carré, l’espace VIP, cette géographie du pouvoir, il s’assied toujours à côté de Nasser Al-Khelaïfi, le président du club. Il est le « président bis » du PSG même s’il s’en défend. Il tirait déjà les ficelles en coulisses lors du rachat du PSG par le Qatar en 2011. Il a œuvré pour que Mbappé reste à Paris et ne parte pas à Madrid. Emmanuel Macron, c’est un peu différent. Il est davantage supporter de Marseille mais il sait l’importance du club parisien dans le championnat français et sur le plan européen. Quand il a reçu l’émir, en février dernier pour différents dossiers internationaux, il n’a pas manqué d’inviter à l’Elysée, Mbappé et Nasser. Le PSG est en quelque sorte la vraie ambassade du Qatar.
Nasser al-Khelaïfi, justement, n'est pas du sérail. Il a une trajectoire inhabituelle ?
Absolument, il n’a pas de sang bleu. C’est un roturier, fils d’un pêcheur de perles, issu d’une famille pauvre. Il doit son ascension à une petite balle jaune de tennis et à son ambition. D’un bon niveau au Qatar, il s’est entraîné avec l’émir au tennis pendant des années. C’est comme cela qu’il a obtenu sa confiance ; et sa proximité avec le monarque ne s’est jamais démentie. Il a ensuite gravi tous les échelons, président de beIN Sports puis du PSG quand il a fallu trouver un Qatarien qui pouvait incarner l’équipe parisienne. Aujourd’hui, il est devenu l’un des hommes les plus puissants du football. Il est à la tête de l’association européenne des clubs. La petite balle jaune est tombée du bon côté du filet.
Il est aussi ministre sans portefeuille ?
Oui c’est un autre titre qu’il a obtenu et qui lui confère un rang important mais aussi une immunité. Cela peut avoir aussi un autre avantage. En juillet 2023, quand des policiers de Nanterre sont venu le chercher sur le tarmac de l’aéroport du Bourget pour l’entendre dans le cadre d’une enquête sur la détention d’un lobbyiste français au Qatar, il a joué la carte de son immunité diplomatique pour ne pas être auditionné. Cela n’a finalement pas marché.
Toutefois les décisions stratégiques sont prises dans la péninsule arabique ?
Il ne faut, en effet, pas se tromper : le vrai pouvoir se trouve à Doha et non pas à La Factory (le siège du PSG). L’émir prend les grandes décisions. Les arrivées de Neymar, Messi, sont le choix du Cheikh Tamim al-Thani, bon connaisseur du football. C’est lui qui recevra la mère de Mbappé pour lui proposer un contrat en or massif en avril 2022, quelques mois avant la coupe du monde. Nasser, dans ces cas-là, est réduit au rôle de courroie de transmission. Cela prouve, une fois de plus que le PSG est un club-Etat.
Ce club, c'est d'abord évidemment un feuilleton traité au quotidien par l'Equipe mais parfois par ceux de la "Gazette du palais", c'est à dire les fait-diversiers et chroniqueurs judiciaires ?
Oui, un autre match est en train de se jouer sur un autre terrain, judiciaire. Les juges sont aux portes du parc des Princes. Plusieurs enquêtes ont été ouvertes qu’il serait trop long de détailler. Des soupçons de barbouzeries flottent au sein du club. Dans l’une des affaires, trois hommes ont été condamnés à mort par le Qatar pour avoir tenté de monnayer aux Emirats arabes unis une clé USB contenant notamment des informations privées sur Nasser au prix de 25 millions d’euros. Les trois mis en cause nient tout chantage et se disent victimes d’une cabale. J’avoue qu’avec Laurent Valdiguié, mon coauteur, c’est la première fois que nous rencontrions des condamnés à mort qui évitaient de prendre un avion pour aller à l’étranger. Cela nécessite un certain nombre de précautions.
Daniel Hechter, ancien président du PSG nous a dit : « heureusement que les Qataris sont arrivés pour mettre un peu d’argent dans le PSG. Le problème c’est qu’ils n’en ont pas mis un peu. Ils en ont mis trop ». Tout cet argent a peut-être attiré des gens mal intentionnés. La justice le dira.
Quelles difficultés rencontre-t-on quand on enquête sur le PSG ?
Le PSG suscite de l’admiration mais aussi de la crainte de beaucoup d’acteurs du football (président de club, joueurs, entraîneurs, agents). Le Paris Saint-Germain fait vivre le championnat français par sa puissance économique (le Qatar a dépensé plus de dix milliards depuis son arrivée en 2011, rien que pour son équipe), ou par la force de sa chaîne beIN Sports, acteur central dans les droits télé du football français. Se fâcher avec Nasser ou le Qatar, revient à être banni au moins pour un moment du foot français. Beaucoup de nos interlocuteurs nous ont dit : « surtout ne me citez pas, sinon j’aurai des problèmes ».
Je précise que la direction du PSG nous a permis de rencontrer les différents responsables des secteurs du marketing, des revenus, de la communication du club pour répondre à toutes nos questions. En revanche faute de temps ou de volonté, Nasser Al-Khelaïfi ne nous a pas rencontrés.
Le football professionnel de haut niveau est un monde à part, le PSG aussi ?
Oui le PSG est vraiment un club à part dans le paysage français. D’abord parce que c’est le club de la capitale, créé ou développé par des hommes d’affaires, des gens de la pub ou des médias. On l’adore ou on le déteste. Enfin, parce que le Qatar y a investi à des fins stratégiques, économiques et diplomatiques. Politique, argent, affaires, le PSG c’est bien plus que du foot.
Un club entre lumière et ombre, détaillées dans cet entretien par François Vignolle, coordinateur des enquêtes du groupe M6.
François Vignolle ©DR |
Je dirais qu’il l’est devenu. Au départ, l’acquisition du PSG s’est faite un peu par hasard en 2011. Le Qatar lorgnait plus vers le championnat anglais, plus exposé et plus prestigieux. Mais face aux demandes répétées de son « ami » Nicolas Sarkozy, le futur émir Tamim al-Thani a cédé et a acheté le club parisien. C’était un épisode anecdotique dans un grand projet de soft power : l’obtention de la coupe du monde qui leur permettrait de devenir un peu plus un acteur fréquentable et respecté sur l’échiquier mondial. Et puis avec le temps, les Qatariens ont pris goût à la ligue des champions, à la griserie de ces soirées européennes. Comme pour tant d’autres, le foot rend fou.
Le club parisien est d’abord une vitrine politique pour Doha ?
Oui, en ce sens que le Qatar a pu s’exposer dans le monde entier grâce « au club de la Tour Eiffel ». Ils en ont fait une marque mondiale, valorisée aujourd’hui à plus de 4,2 milliards d’euros qui souhaite rivaliser avec les franchises américaines de basket et de football américain. En cela, c’est un vrai succès. De New Delhi à Miami, des gamins portent dans les rues des maillots du PSG.
Cela a été aussi une magnifique passerelle pour la coupe du monde en 2022 au Qatar. Cette monarchie gazière, pas plus grande qu’un département français, régulièrement pointée du doigt par des ONG pour violer les droits de l’Homme ou montrer une certaine complaisance envers des groupes islamistes, a pu organiser devant 1,5 milliard de téléspectateurs, un événement aussi fédérateur qu’une coupe du monde. Aucun conseiller de l’émir n’aurait osé lui écrire un tel scénario. Une finale du mondial, un 18 décembre, jour de la fête nationale, avec sur le terrain les deux meilleurs joueurs de la compétition s’affrontant dans un suspense irrespirable : Messi et Mbappé, les deux employés du PSG. La boucle était bouclée.
Vous évoquiez Nicolas Sarkozy, mais cette proximité affirmée avec l'exécutif français est toujours d’actualité avec Emmanuel Macron ?
Nicolas Sarkozy est un grand fan du PSG depuis sa jeunesse. Il connaît tous les joueurs, les remplaçants, les femmes des joueurs. Il est incollable sur le palmarès du club depuis sa création en 1970.
Dans le carré, l’espace VIP, cette géographie du pouvoir, il s’assied toujours à côté de Nasser Al-Khelaïfi, le président du club. Il est le « président bis » du PSG même s’il s’en défend. Il tirait déjà les ficelles en coulisses lors du rachat du PSG par le Qatar en 2011. Il a œuvré pour que Mbappé reste à Paris et ne parte pas à Madrid. Emmanuel Macron, c’est un peu différent. Il est davantage supporter de Marseille mais il sait l’importance du club parisien dans le championnat français et sur le plan européen. Quand il a reçu l’émir, en février dernier pour différents dossiers internationaux, il n’a pas manqué d’inviter à l’Elysée, Mbappé et Nasser. Le PSG est en quelque sorte la vraie ambassade du Qatar.
Nasser al-Khelaïfi, justement, n'est pas du sérail. Il a une trajectoire inhabituelle ?
Absolument, il n’a pas de sang bleu. C’est un roturier, fils d’un pêcheur de perles, issu d’une famille pauvre. Il doit son ascension à une petite balle jaune de tennis et à son ambition. D’un bon niveau au Qatar, il s’est entraîné avec l’émir au tennis pendant des années. C’est comme cela qu’il a obtenu sa confiance ; et sa proximité avec le monarque ne s’est jamais démentie. Il a ensuite gravi tous les échelons, président de beIN Sports puis du PSG quand il a fallu trouver un Qatarien qui pouvait incarner l’équipe parisienne. Aujourd’hui, il est devenu l’un des hommes les plus puissants du football. Il est à la tête de l’association européenne des clubs. La petite balle jaune est tombée du bon côté du filet.
Il est aussi ministre sans portefeuille ?
Oui c’est un autre titre qu’il a obtenu et qui lui confère un rang important mais aussi une immunité. Cela peut avoir aussi un autre avantage. En juillet 2023, quand des policiers de Nanterre sont venu le chercher sur le tarmac de l’aéroport du Bourget pour l’entendre dans le cadre d’une enquête sur la détention d’un lobbyiste français au Qatar, il a joué la carte de son immunité diplomatique pour ne pas être auditionné. Cela n’a finalement pas marché.
Toutefois les décisions stratégiques sont prises dans la péninsule arabique ?
Il ne faut, en effet, pas se tromper : le vrai pouvoir se trouve à Doha et non pas à La Factory (le siège du PSG). L’émir prend les grandes décisions. Les arrivées de Neymar, Messi, sont le choix du Cheikh Tamim al-Thani, bon connaisseur du football. C’est lui qui recevra la mère de Mbappé pour lui proposer un contrat en or massif en avril 2022, quelques mois avant la coupe du monde. Nasser, dans ces cas-là, est réduit au rôle de courroie de transmission. Cela prouve, une fois de plus que le PSG est un club-Etat.
Ce club, c'est d'abord évidemment un feuilleton traité au quotidien par l'Equipe mais parfois par ceux de la "Gazette du palais", c'est à dire les fait-diversiers et chroniqueurs judiciaires ?
Oui, un autre match est en train de se jouer sur un autre terrain, judiciaire. Les juges sont aux portes du parc des Princes. Plusieurs enquêtes ont été ouvertes qu’il serait trop long de détailler. Des soupçons de barbouzeries flottent au sein du club. Dans l’une des affaires, trois hommes ont été condamnés à mort par le Qatar pour avoir tenté de monnayer aux Emirats arabes unis une clé USB contenant notamment des informations privées sur Nasser au prix de 25 millions d’euros. Les trois mis en cause nient tout chantage et se disent victimes d’une cabale. J’avoue qu’avec Laurent Valdiguié, mon coauteur, c’est la première fois que nous rencontrions des condamnés à mort qui évitaient de prendre un avion pour aller à l’étranger. Cela nécessite un certain nombre de précautions.
Daniel Hechter, ancien président du PSG nous a dit : « heureusement que les Qataris sont arrivés pour mettre un peu d’argent dans le PSG. Le problème c’est qu’ils n’en ont pas mis un peu. Ils en ont mis trop ». Tout cet argent a peut-être attiré des gens mal intentionnés. La justice le dira.
Quelles difficultés rencontre-t-on quand on enquête sur le PSG ?
Le PSG suscite de l’admiration mais aussi de la crainte de beaucoup d’acteurs du football (président de club, joueurs, entraîneurs, agents). Le Paris Saint-Germain fait vivre le championnat français par sa puissance économique (le Qatar a dépensé plus de dix milliards depuis son arrivée en 2011, rien que pour son équipe), ou par la force de sa chaîne beIN Sports, acteur central dans les droits télé du football français. Se fâcher avec Nasser ou le Qatar, revient à être banni au moins pour un moment du foot français. Beaucoup de nos interlocuteurs nous ont dit : « surtout ne me citez pas, sinon j’aurai des problèmes ».
Je précise que la direction du PSG nous a permis de rencontrer les différents responsables des secteurs du marketing, des revenus, de la communication du club pour répondre à toutes nos questions. En revanche faute de temps ou de volonté, Nasser Al-Khelaïfi ne nous a pas rencontrés.
Le football professionnel de haut niveau est un monde à part, le PSG aussi ?
Oui le PSG est vraiment un club à part dans le paysage français. D’abord parce que c’est le club de la capitale, créé ou développé par des hommes d’affaires, des gens de la pub ou des médias. On l’adore ou on le déteste. Enfin, parce que le Qatar y a investi à des fins stratégiques, économiques et diplomatiques. Politique, argent, affaires, le PSG c’est bien plus que du foot.
PSG confidential, Laurent Valdiguié, François Vignolle, Robert Laffont.