Nouvelle-Calédonie « le pire, est certes toujours à craindre, mais il vient » pour Olivier Houdan

Olivier Houdan, se définit comme « citoyen de Nouvelle-Calédonie » où il enseigne l’histoire. Non à Nouméa où il est né mais à Bourail (côte ouest) où il est adjoint au maire, chargé de l’environnement, du développement durable, du patrimoine et des mémoires. Depuis 2015 il se consacre à un projet de mémorial en hommage à toutes les victimes des « Événements » politiques calédoniens (1981-1989). Olivier Houdan, titulaire de la médaille de bronze de la défense nationale, décrit cette « Nouvelle-Calédonie qui est en train de s’effondrer sur elle-même ».


La Calédonie continue sa descente dans le maëlstrom ?
« Maelstrom » ce mot suédois sied parfaitement à la situation calédonienne actuelle ! Nous sommes en effet, dans un tourbillon au milieu d'une vaste étendue d'eau, salée forcément, comme l'addition, en somme, que nous payons déjà et que nous continuerons à payer pendant encore de longues années, en termes sociétal, humain, de cohésion sociale, d'égrégore civique et politique (au sens noble du terme) mais aussi économique.
Nous vivons, à différentes échelles de perception, ce qui ressemble fort à un effritement des multiples structures internes d'un corps social autrefois bien vivant dans ces fondements et vivace dans ses volontés de raffermissement, de prolongements, de projections. Aujourd'hui bien mal en point, telle une épave à la dérive chahutée par une houle de fonds, roulant et tanguant au gré des fracas sur sa coque, perdue dans les conséquences délétères et mortifères d'une tempête soudaine mais tellement prévisible.
Faute d’un renouvellement de ses bases, la Nouvelle-Calédonie est en train de s’effondrer sur elle-même et l’amok* politique, social et générationnel d’avril-mai-juin 2024 n’en fût que le signe dénonciateur.

Contrairement à la fameuse phrase de Jacques Chirac vous « n’apercevez pas la fin du tunnel 

La présence d’un phare à la fin d’un tunnel, quelque soit son intensité, ne présage en rien de la distance restant à parcourir et de la durée du trajet pour y parvenir. Le tunnel calédonien ressemble de plus en plus à un boyau. Il se rétrécit à force d’y progresser, jusqu’à ne plus distinguer bientôt, ni plancher, ni plafond, vers un point sans doute de non-retour où il sera impossible de faire marche-arrière. Bloqué dans sa progression et engoncé de tout son être, le corps sociétal calédonien se meurt petit à petit.

Mais le pays ne peut plus attendre ?
Le pire, est certes toujours à craindre, mais il vient. En partie, par l’incapacité quasi structurelle de notre pays à se réformer face à l’adversité, à s’adapter face aux crises. Aucune réforme structurelle d’envergure, celles que l’on engage pour s’échapper du trou de boue dans lequel un véhicule est enlisé, n’ont été réellement validées et mises en oeuvre. Une torpeur intellectuelle semble saisir les autorités et décideurs de toutes sortes ; un entre-deux dangereux formant un gap de plus en plus large et profond entre un monde à clôturer et une nouvelle séquence qui tarde à venir. A de trop rares exceptions, il semblerait que notre électroencéphalogramme collectif soit devenu plat ! Une ligne sans relief. Un trait imperturbable. Un bip monocorde vers une mort lente ?
Et pourtant notre pays n'est pas dépourvu de potentialités, qualités, compétences, volontés et énergies. Il en regorge. Mais reconnaissons-le, elles ont beaucoup de mal à émerger face à la chape de plomb des pouvoirs entremêlés, des prébendes, des chasses-gardées, des privilèges, des places de parking réservées, des voyages en 1ère et de l’assurance d’avoir bien reçu le dernier carton d’invitation aux cocktails institutionnalisés et de l’imposante technostructure politico-juridique qui contrecarre tout pouvoir d’imagination et de capacités d’adaptation. L’Utopia de More est une île qui aurait très bien pu prendre le nom de New Caledonia

Si rien ne change, c’est toujours la faute de l’autre ?
Ah l’Autre… Cet illustre inconnu sur lequel les oisifs de toutes sortes font porter tous les malheurs de leur monde étriqué et le poids dérisoire de leurs insondables manque de courage à tous les niveaux. Quel confort rapide de confier aux autres, à l’Etat, aux Blancs, aux Kanak, aux Indépendantistes autant qu’aux Loyalistes, à la colonisation comme à la mondialisation, l’entiereté des irresponsabilités incarnées. 
« C’est la faute de l’autre » et tout semble être dit mais rien n’est entrepris, actionné, enclenché vers une réalisation. Et puis, nous l’oublions trop souvent, il y a le « normalement », aussi délétère que le précédent. Alors, imaginez lorsqu’ils sont en couple. « Normalement, c’est aux autres de le faire »« normalement, c’est à l’Etat de faire cela  »« normalement, c’est à la mairie d’intervenir »« normalement, c’est au ministre de les réunir ». La formule miracle ainsi prononcée à l’assurance de tuer toutes vélléités, toutes entreprises, toutes dynamiques. D’ailleurs, n’est-ce pas là, le but recherché : surtout ne rien faire. Ainsi, point de changements, pas de réformes, excepté quelques modifications toujours à la marge. Le conservatisme, mode de fonctionnement et d’exercice des pouvoirs propres à une société figée et recroquevillée sur elle-même, inapte à l’ouverture et rétive aux courants d’air frais, s’installe partout et prospère pour le seul bénéfice de leurs détenteurs. La société civile qui pourtant avait émergé avec l’énergie du désespoir à la faveur des troubles de 2024, est alors priée, par les propriétaires autoproclamés de la démocratie représentative, de s’occuper surtout de ce qui ne la regarde pas. Heureusement, elle ne s’y résout pas et de nombreux groupes de citoyens s’engagent auprès de leurs compatriotes. Ils sont le corps, le cœur et l’âme d’un pays en souffrance qui ne veut plus souffrir.

Quel regard portez-vous sur la classe politique locale ?
Des études et autres sondages rendus publics ont montré à quels points la défiance envers la classe politique locale était une réalité. Parmi eux, les derniers avis rendu par la Chambre Territoriale des Comptes (CTC) sur l’usage et la ventilation de l’argent public par différentes institutions locales. Des avis purement symboliques hélas, qui resteront à l’état de vœux pieux sans crainte pour leurs destinataiures d’un début de commencement de résolutions. Dans ces conditions là, comment exiger de chaque citoyen l’exemplarité des comportements et le respect des lois, codes et réglements qui précisément sont parfois ignorés de leurs représentants. Certes, la problématique n’est pas nouvelle et se retrouve sous d’autres latitudes mais elle a, dans le carcan insulaire ou la proximité voire la confusion prospère entre le politique et l’économie, des effets démultipliés, où les premiers n’ont souvent de compte à rendre qu’aux seconds qui ont financé leurs campagnes électorales. Les petits arrangements entre amis sont nombreux ; les exceptions fiscales taillées à la mesure de certaines entreprises et à la demande de leurs dirigeants sont légion et le douzième alinéa de certains articles, de certains titres du code des impôts font de l’exception la règle, le tout drapé dans les plis des drapeaux tricolore ou quadricolore, aux cris de vive (l’argent de) la France. Pourrait-on aller jusqu’à dire que la démocratie représentative calédonienne a obtenu le peuple qu’elle mérite après l’avoir tant façonné à sa manière depuis ces 50 dernières années ? Le constat est éloquent: les contre-pouvoirs sont annihilés, l’opinion publique est un murmure; une presse généraliste qui n’a jamais autant manqué à ses électeurs; les principes républicains souvent mis à mal ; une justice qui fixe dans certains de ses 
« attendus » les attentes du pouvoir local; des inégalités sociales tellement criantes qu’elles sont aveuglantes ; une jeunesse encore majoritairement kanak mais de plus en plus métissée qui rejette toutes les autorités et récuse tous les pouvoirs. La liste est longue. Trop longue. Désespéremment longue. Manifestement, une grande partie de ce qui fût le tronc commun calédonien et ses multiples réussites est rongé de l’intérieur et semble s’affaisser sur ses bases autrefois prometteuses. Dans cet état de fait, l’irréductible et sempiternel débat “pour ou contre l’indépendance”, véritable pivot de la vie politique locale depuis un demi-siècle, n’en finit plus d’engloutir nos avants-dernières illusions. Etant entendu, selon Dubcek**, que c’est l’espoir qui meurt toujours en dernier…

*Forme de folie homicide observée chez les Malais
** Alexandre Dubcek, promoteur du “socialisme à visage humain” en Tchécoslovaquie rejeté par l’URSS qui intervint alors pour rétablir dans le pays 
« l’ordre communiste ».

Photo : ©NC la 1ère.


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