vendredi 17 mai 2013

Fred Moore

Le lieutenant Fred Moore en juillet 1944 (ordre de la Libération)

C'était le 24 avril dernier. A l'issue de l'hommage national rendu aux Invalides à François Jacob, Fred Moore, délégué national du Conseil national des communes "Compagnons de la Libération", raccompagne le président de la République. François Hollande pose sa main sur son épaule, le complimente pour le discours qu'il vient de prononcer et lui donne rendez-vous le 14 juin. Même lieu. C'est là en effet, qu'il remettra au colonel Moore les insignes de grand' croix de la Légion d'honneur, lors d'une prise d'armes à laquelle participera "son" régiment, le 1er Spahis.
En 2006, pour un ouvrage que j'avais consacré aux Compagnons de la Libération (1), Fred Moore s'était raconté.

En juin 1940, je venais d'avoir vingt ans ; j'avais sollicité, un mois plus tôt, un engagement dans l'armée de l'air et attendais, en, Bretagne, chez mes grands-parents que mon affectation me soit notifiée. Mes parents et mon jeune frère René m'y avaient rejoints, ayant évacué Amiens où nous résidions.
Lundi 17 juin, à Brest. Toute la matinée, nous assistons, consternés, au passage de longues files de véhicules chargés de troupes et de matériels divers du BEF (Corps expéditionnaire britannique) qui s'apprêtent à embarquer après avoir détruit les dépôts et le matériel qui ne peut être transporté faute de temps et de place. L'après-midi, les hauts- parleurs installés, place du Champ de Bataille (nom prédestiné), par le journal "l'Ouest-Eclair" diffusent la triste déclaration de Pétain qui demande l'armistice. Mon frère et moi nous regardons tristement mais nous découvrons, dans les yeux de l'autre, le même espoir : continuer. Dès le soir, nous annonçons à nos parents que nous avons décidé de rejoindre l'Angleterre pour nous engager. Lui dans la Royal Navy, moi dans la Royal Air Force. Pas l'ombre d'une hésitation ni chez notre père, ni chez notre mère.
Toute la journée du 18 juin est consacrée à la recherche, auprès des pêcheurs, d'un bateau à vendre capable d'assumer la traversée. Va pour un langoustier que l'on accepte de nous céder.
Mercredi 19 ou jeudi 20, nous quittons à la voile le Corréjou-Plouguerneau (27kms au nord de Brest où nous avions l'habitude de passer nos vacances d'été) en entonnant la Marseillaise, sans nous douter des surprises qui nous attendent. En effet, notre père, né anglais, était officier dans la marine britannique durant la Première Guerre mondiale.
Mon frère et moi, qui sommes nés en France sujets anglais, sommes devenus français en 1927, par naturalisation de notre père.
En arrivant à Plymouth, après avoir été recueillis en mer par un chalutier de Dunkerque, le Jean Ribault, nous sommes bloqués en rade durant deux jours ; s'y trouvent déjà de nombreux bâtiments français dont le sous-marin Surcouf. Enfin, à quai, et bien que consignés à bord, je débarque et vais montrer mes papiers à un officier de sécurité : parchemin des états de service de mon père et lettres pour les autorités côtières (...)
Mon frère s'est engagé dans les forces navales (FNFL), tandis que je signais comme élève pilote (FAFL) où ma présence se résumera à une affectation provisoire au bureau de l'air à l'Olympia. Fin août, à la suite d'un malentendu, le commandant Etchegoyen m'expédie à Aldershot où j'ai la surprise de tomber sur René, affecté à la 1ère compagnie du train qui manque de conducteurs. C'est là que commence mon périple au sein des Forces françaises libres et, quelques jours plus tard, c'est l'embarquement à Liverpool sur le Westernland pour une destination inconnue de nous et qui se révélera être Dakar. Nous savons que le général de Gaulle est à bord et nous l'apercevons chaque jour sur la passerelle tandis que nous nous initions au maniement d'arme sur le pont. Il viendra même nous inspecter, nous interrogeant tour à tour sur nos familles et les circonstances de notre départ de France.
(...) Devenu aspirant et affecté au Levant, j'appris, au Caire, à la mission française libre, que René avait été grièvement blessé en Syrie et se trouvait dans un hôpital anglais à Qastina, en Palestine où il aurait subi l'amputation du pied gauche. Sur place une infirmière me rassura, m'indiquant que lorsqu'il quitta l'hôpital, il avait toujours ses deux pieds. Les chirurgiens anglais voulaient l'amputer mais un médecin polonais s'y étant opposé l'opération n'avait donc pas eu lieu. On le signale alors à Beyrouth, je le retrouve, à Jérusalem, au carmel du Pater, dont la mère supérieure était une grand-tante. La dernière fois où je l'ai vu en opérations, c'était en Tunisie le 5 mars 1943. Sa jeep avait failli me faire repérer par les Allemands que j'observais à couvert.
C'est là que je suis devenu pour mes hommes le lieutenant "baraka". La lendemain, je suis en effet, sorti sans blessure de trois automitrailleuses successivement touchées par les Allemands. Les combats ayant cessé après le 9 mai 1943, je fus affecté au commandement de la garde d'honneur du général de Gaulle durant un peu plus deux mois, dans un Alger très compliqué. J'annonçais à l'état-major que je voulais rejoindre Leclerc au Maroc qui formait le 2ème DB, retrouvant mon peloton surnommé par notre capitaine, le "peloton des intellectuels" (...) 
Le 26 août 1944, sur la place de l'hôtel de ville de Paris, j'ai l'honneur d'être désigné comme porte-étendard de mon régiment qui rend les honneurs au chef de la France Libre et je peux assurer que l'émotion qui m'étreint à ce moment là est empreinte d'une admiration, à la fois respectueuse, affectueuse et reconnaissante qui demeurera intacte toute ma vie.
Je n'oublie pas que nous Compagnons de la Libération l'avons été grâce aux autres. Les générations qui se sont succédées depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ont été souvent privées de transmission de la mémoire. Parce que dans beaucoup de familles on n'était pas très fier de ce que l'on avait fait ou pas fait. Ils n'ont pas été éduqués et élevés avec cette mémoire. Aujourd'hui, les jeunes veulent savoir. Alors c'est notre devoir, à nous, derniers Compagnons de transmettre.

En mars 2004, Fred Moore est nommé membre du Conseil de l'Ordre de la Libération, puis en octobre 2011, chancelier, succédant au professeur François Jacob.
Le 16 novembre 2012, il est nommé par décret délégué national du Conseil national des communes "Compagnon de la Libération".
 
(1) Les Compagnons de la Libération, Privat, 2006.

 

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