mardi 6 juin 2017

Oublions l’idée d’un service militaire

Durant la campagne présidentielle, beaucoup de candidats ont évoqué le défunt service militaire, supprimé en 1997. Elève d’école de commerce (Neoma, Rouen), Thomas Carbuccia, dans son mémoire de fin d’étude, s’est interrogé : peut-on revenir au service militaire ? Voici résumées dans cet entretien, ses réflexions.

Le Service national est bien en 2017 un fantasme ?
Le service militaire est une idée maintenant lointaine selon laquelle il offrait un brassage social des populations, une formation citoyenne permettant d'inculquer un niveau minimum de savoir-vivre, savoir-être, voire des bases d'un métier (souvent manuel) et l'amour de la patrie. Cette idée que l'armée forme, éduque la nation et favorise la cohésion nationale était encore vraie dans les années d'après-guerre. Mais rapidement des mesures ont été mises en place pour limiter celui-ci, limiter les contingents. Pourquoi ? Le contexte géopolitique avait changé. Temps de paix, évolution de la doctrine des armées, professionnalisation, plus besoin de "chair à canon"… Le modèle du service national universel (pour les hommes) et obligatoire n'était plus tenable. Cependant, l'idée persiste et revient dans le débat politique lors de chaque élection.

L'armée jouit d'une forte cote de popularité, d'une bonne image auprès de la population française…
L'armée est efficace, elle sait régler des situations de crises même si ce n'est pas son cœur de métier. Le rôle de l'armée est avant tout, la défense de la nation (de ses intérêts et de sa population) par les armes. Le rôle social, d'éducation n'est pas prioritaire. Paradoxalement, il est réel et l'armée ne peut s'en détacher. Général Alain Bouquin : "il ne peut y avoir de bonne défense sans cohésion nationale." (1)
Si l'idée du retour au service national obligatoire revient sans cesse, c'est bien que des crises subsistent, c'est qu'il y a un besoin. Crise du politique, crise des chefs, crise des valeurs, crise de la jeunesse (des jeunes défavorisés en décrochage...). Crises sociétales auxquelles s'ajoutent la menace terroriste et l'Islam radical. Ces crises plus ou moins latentes entretiennent la chimère d'un service national comme étant la panacée. L'armée est efficace et permet d'apporter un cadre, des valeurs, tout comme l'engagement citoyen associatif mais avec un petit quelque chose en plus. La famille et l'école républicaine ne joueraient-elles plus leur rôle d'intégration et de cohésion ? 
En outre, pour des raisons essentiellement financières, le retour au service national universel (autrefois 400 000 garçons par classe d'âge, aujourd'hui 800 000 filles et garçons) est impossible. En outre, l'armée a comparativement aux années 1990, beaucoup moins d'infrastructures et d'effectifs, elle peine à maintenir les qualifications des soldats, elle est sur déployée (opex + Vigipirate + Sentinelle). A coût de milliards et de temps, tout est possible, mais Emmanuel Macron ne possède ni l'un ni l'autre. 

Donc ?
Ne soyons pas pessimistes. Il existe de multiples organismes qui permettent aux jeunes en décrochage de s'en sortir, et, à celles et ceux qui le veulent, de s'engager. Afin d'agir de manière rapide, efficace et à moindre coûts, commençons par développer ce qui existe : SMA, SMV, EPIDE, la réserve (augmentation actée et en cours), le service civique (véritable réussite du quinquennat de François Hollande). Il s'agirait donc de s'appuyer sur cet existant (qui fonctionne) et d’en augmenter le volume. Contrairement aux idées reçues, les Français sont prêts à s'engager pour diverses causes. Or cet engagement est généralement court mais intense, contrairement à un engagement faible mais sur la durée. Il faut donc multiplier "l'offre d'engagement" (militaire, associatif, humanitaire…). C'est la multiplication de plusieurs actions dans lesquelles chacun va se reconnaître et s'investir que viendront les évolutions. Il serait relativement simple et peu coûteux de stimuler des projets (théoriques et pratiques), de petits stages citoyens, dans le cadre de la scolarité (faire passer la Journée défense et citoyenneté de un à trois jours par exemple). L'idée clé serait la proximité (s'inspirer sur service national en Suisse). Des réservistes ou des civils ayant reçu une formation spécifique pourraient donner des instructions théoriques (conduite à tenir en cas d'attaque chimique ou attentats, par exemple). Les organismes militaires et les organes des zones de défense (protection civile, pompiers, gardes forestiers), gendarmes et policiers, pourraient organiser des exercices de défense en fonction des besoins et enjeux des régions. Les jeunes pourraient participer aux exercices de simulation. Ce serait donc une "jeu gagnant-gagnant". Facilitant le maintien des qualifications pour les professionnels et impliquant les jeunes dans une action citoyenne et ludique. 

Donc il ne faut plus que les politiques ressortent le service militaire lors des campagnes électorales ?
Je vous l’ai dit, on ne reviendra pas au service national obligatoire. C'est impossible dans le contexte actuel. Un mois serait une aberration car outre le coût faramineux, il n'y aurait aucun avantage pour l'armée. Celle-ci a la capacité d'inspirer et d'impulser des projets afin de renforcer la cohésion nationale. Ce n'est pas son rôle premier, mais grâce à un renfort massif des réservistes, le lien entre armée et société civile pourrait être stimulé. Laissons tomber les grosses révolutions, les gros chantiers coûteux et longs. Il faut se concentrer sur l'existant qui fonctionne et l'adapter aux reliefs, aux climats et enjeux des régions et départements. En d'autres termes, il s'agit de proposer un "système complet" d'engagement citoyen, du volontaire et de l'obligatoire (à travers l'école), des actions interministérielles, développer la proximité et cibler les jeunes en décrochages car eux aussi sont l'avenir de notre nation. Alors que la menace plane sur la France, que la politique évolue (fin du clivage PS / LR), une dynamique de changement est "en marche". 

(1) ancien commandant de la Légion étrangère.