lundi 4 juin 2018

Kolwezi, "En partant, nous avions une impression de puissance, que rien ne pouvait nous arrêter" se souvient le général Benoît Puga

@ Le Figaro

Du 19 au 22 mai derniers, j’ai raconté dans ce blog, en quatre volets, Kolwezi. C’était il y a quarante ans. Le 13 mai 1978, la guérilla katangaise s'emparait de cette ville minière, située au sud du Zaïre (actuelle République démocratique du Congo). 2500 Européens y travaillaient dont de nombreux Français, qui sont alors pris en otage. Valéry Giscard d'Estaing, chef de l’Etat, ordonne une opération militaire en liaison avec les Zaïrois, "afin de rétablir la sécurité et l'ordre à Kolwezi". Le lieutenant Benoît Puga y a participé avec sa section du 2ème Régiment étranger de parachutistes (REP, Calvi). Après une brillante carrière, celui qui est aujourd’hui grand chancelier de la Légion d’honneur, revient sur l’opération Bonite et son actualité.

Solenzara,1978, le général Lacaze passe en revue les parachutistes du REP.
Le lieutenant Puga, 3ème à partir de la gauche (DR)

Quels souvenirs avez-vous conservés de mai 1978, de ces moments précédant la mise en alerte ?
Cette opération a commencé au moment du week-end de la Pentecôte. J’étais officier de permanence et j’avais transmis à l’officier supérieur adjoint le message qui avait placé le régiment en alerte Guépard. Il n’était pas précisé qu’il s’agissait de Kolwezi mais on pouvait faire le rapprochement entre la mise en alerte et les informations vues à la télévision. Ensuite, le régiment s’est préparé, a rassemblé les unités, le matériel, les équipements. C’était je crois la dix-septième alerte que le 2ème REP vivait depuis le retour du Tchad en 1970.

Comment réagit le lieutenant Puga ? Il a envie d’en être, de partir rapidement ?
Oui, bien sûr, cela fait partie du métier. Et tout le régiment partait. Entre la mise en alerte et le départ, les délais sont variables. J’ai connu des moments où ceux-ci ont été simultanés et d’autres où nous avons attendu, comme cela a été le cas de Beyrouth en 1982.  Dans le cas de Kolwezi, nous avons été mis en alerte Guépard le lundi de la Pentecôte puis, dans la nuit du mercredi à jeudi, nous avons reçu l’ordre de départ.

Vous sautez sur Kolwezi. Quelles sensations reviennent aujourd’hui ?
Une impression de force et de rapidité. Lorsque le général Lacaze est venu nous voir sur le tarmac à Solenzara avant  de partir vers Kinshasa, nous avions le sentiment que nous allions réussir, que la mission allait être difficile, qu’il y aurait sans doute des pertes et des pertes sévères, mais à aucun moment, dans l’esprit en tous cas des officiers et des légionnaires, n’est apparue l’idée que cela pourrait être un échec.
Je venais d’arriver avec le lieutenant Eric Philipponnat, j’étais l’un des plus jeunes lieutenants au REP. Le régiment donnait une impression de puissance que rien ne pouvait arrêter.
Lorsque nous sommes partis, il y eut des fuites dans la presse, liées à des différences d’appréciation de situations entre les gouvernements français et belge. Celles-ci ont conduit les rebelles à s’organiser en conséquence d’autant plus que, deux jours avant, un bataillon de para zaïrois qui avait sauté sur l’aéroport de Kolwezi, au sud de la ville, s’était fait « aplatir » et avait eu de lourdes pertes. Ils ont été bloqués à l’aéroport. Pour nous, si la surprise stratégique n’a pu totalement jouer, la surprise tactique fut réelle. Kolwezi est une ville minière très étendue. Lorsque nous avons sauté, en limite nord du centre de la ville, les tirs ne sont pas intervenus immédiatement. Ce qui prouvait que les défenses des rebelles étaient tournées vers le sud et que la surprise avait joué. Ensuite le concept de l’assaut vertical en masse permettant, tout de suite et de jour, de saisir les objectifs a démontré toute sa valeur. Le colonel Erulin(1) n’a pas voulu que la seconde vague saute de nuit car il savait très bien qu’au sol, de nuit, il est très difficile de différencier l’ami de l’ennemi.

Surprise tactique mais le régiment était adapté à cette situation ?
Oui, tout à fait. Le régiment était entraîné en permanence à ce type d’action aéroportée sur un terrain difficile. Rapidement les objectifs ont été saisis, les légionnaires ont pu riposter aux tirs très vite. Les quelques tirs en l’air n’étaient pas suffisamment précis et importants pour que cela nuise à l’efficacité de l’assaut vertical.

Quelques années plus tard, Benoît Puga avec les GCP du 2ème REP (DR)

Cette opération a toujours constitué un cas d’école…
Oui, elle reste un cas d’école. A la guerre, ce sont « deux volontés qui s’opposent » et vous devez en permanence réfléchir au meilleur moyen de défaire l’adversaire, de le battre. Et toutes les solutions sont possibles. Lorsque l’on nous dit qu’il n’y aura plus d’opération aéroportée, c’est complètement idiot. D’ailleurs, on le voit bien avec le Mali. Cela ne veut pas dire que les conditions sont les mêmes pour que cela se reproduise de la même manière. Ce que nous avons fait à Kolwezi – l’assaut vertical – c’était ce qu’ont fait les Allemands en Crète, ce qu’ont fait nos anciens en Indochine ou en Algérie. Comme ensuite le REP l’a refait plus récemment à Tombouctou dans d’autres circonstances. Mais le mode d’action d’assaut vertical, c’est-à-dire des parachutistes qui s’affranchissent des obstacles du terrain pour être engagés dans le chaudron immédiatement, peut créer la surprise et obtenir les résultats souhaités. Ce mode d’action est toujours valable aujourd’hui.

Justement, ce mode d’action sera à l’honneur lors du défilé du 14 juillet, qui portera sur les capacités dont dispose l’armée de terre pour intervenir dans l’urgence, la réactivité …
Nous sommes payés pour effectivement étudier les différents modes d’action qui peuvent être utilisés par l’adversaire et nous devons essayer de développer en conséquence les voies et moyens qui permettent de contrecarrer les plans d’un adversaire potentiel. Cela se fait en permanence et sans exclusive aucune, quel que soit le domaine. La guerre n’est pas une chose propre, il n’y a pas du romantisme guerrier, malheureusement. On tue et on détruit. Chaque fois que l’on peut moins tuer et moins détruire, tout en neutralisant l’adversaire, c’est tant mieux. Les armées sont équipées, entrainées, organisées pour répondre dans l’urgence. La défense et la protection du peuple français, c’est d’abord la capacité de réagir dans l’urgence. Ce qui fait la force des armées françaises par rapport, par exemple, aux armées américaines – toute proportion gardée –  c’est la rapidité de notre capacité d’intervention. Les Américains ont des effectifs nettement plus importants et peuvent arriver avec une masse qui est beaucoup plus déterminante que nous. Nous, nous pratiquons ce qu’on appelle la stratégie du verre d’eau. Il vaut mieux une section, une compagnie tout de suite pour éteindre l’incendie que d’attendre d’avoir deux ou trois sections de pompiers avec les matériels lourds pour intervenir. Mais les matériels lourds et les effectifs sont importants aussi, on l’a bien vu au cours de la dernière guerre.

L’opération Bonite a-t-elle eu beaucoup d’importance sur votre carrière ?
Bien sûr. Quand on a la chance à 25 ans de se retrouver chef de section et engagé dans une opération – et à l’époque, en 78, ce n’était quand même pas courant – ça vous marque à jamais. Vous voyez la concrétisation exacte de l’enseignement, des conseils et de l’instruction que vous avez reçus. « La sueur épargne le sang » : plus vous vous êtes entraînés, plus vous connaissez vos hommes et plus vous pouvez accroître l’efficacité de l’ensemble. Le matériel importe moins que la volonté personnelle. Je prends souvent l’exemple de nos anciens et notamment des Américains lors du débarquement en 1944, à la pointe du Hoc. Heureusement qu’ils n’ont pas fait demi-tour après les lourdes pertes subies. Il y a eu des lieutenants, des capitaines, des colonels qui se sont dit « on va aller là-haut et on va les déloger ». Ce sera toujours vrai. Les opérations militaires sont d’abord une question de volonté avant d’être une question d’équipement, de matériel, même si celles-ci sont importantes. Comme le disait très bien le colonel Erulin, « le principal c’est d’avoir un matériel que l’on connaît parfaitement bien et que l’on sait mettre en œuvre, plutôt qu’un matériel sophistiqué qu’on ne maitrise pas complètement. »
Le deuxième point qui m’a beaucoup servi, c’est la confiance. Le président Giscard d’Estaing disait qu’il avait pu prendre cette décision, sans doute l’une des plus difficiles de son septennat, parce qu’il avait confiance dans son entourage sur le plan militaire. Confiance dans le chef d’état-major des armées le général Méry, confiance dans son chef d’état-major particulier le général Vanbremeersch, lesquels avaient confiance dans le colonel Gras qui était attaché de défense à Kinshasa, dans le colonel Erulin, dans le général Lagarde, bien sûr, qui était le chef d’état-major de l’armée de terre, dans le général Lacaze qui était ancien patron du 2ème REP(2) et dirigeait la 11ème division parachutiste. Cette confiance a fait que la décision a pu être prise, en connaissant les gens qui allaient commander sur le terrain. Cela m’a été très utile tout le long de ma carrière et en particulier pendant les vingt dernières années où j’étais patron du CPCO puis des opérations spéciales, sous-chef ops et directeur du renseignement militaire, et encore plus lorsque j’étais à l’Elysée, chef de l’état-major particulier durant plus de six ans. Le CEMP conseille le Président de la République et veille à ce que les ordres donnés par celui-ci aux camarades qui sont sur le terrain, soient effectivement adaptés aux capacités détenues et à l’effet que l’on veut obtenir. Et ce souvenir d’avoir reçu des ordres clairs quand vous avez été lieutenant en opérations, vous sert évidemment énormément pour la suite.

(1) Philippe Erulin a commandé le REP de 1976 à 1978.
(2) 1967-70.