Mort de Georges Loinger, le sauveteur juif
Décédé
vendredi à l’âge de 108 ans, Georges Loinger avait organisé en 1947 l’opération
Exodus, le transport clandestin de rescapés du nazisme vers la Palestine, après
avoir exfiltré des centaines d’enfants juifs vers la Suisse pendant la Seconde
Guerre mondiale. Nous l’avions rencontré il y a quelques mois. Voici des
extraits du portrait qu’avait réalisé Alice Pouyat, publié dans La Cohorte (décembre 2017), magazine de la Société des membres de la
Légion d’honneur (SMLH).
"Souvent, ses petits
yeux rieurs se plissent, se ferment, mais Georges Loinger ne dort pas. Il
cherche au fond de sa mémoire, les souvenirs d’un temps lointain, un temps que
les moins de cent ans n’ont pas connu. Georges Loinger, 107 ans, est l’un des
17 hommes les plus âgés de France et un ancien résistant qui a sauvé plus de
350 enfants juifs de la Shoah. Autant dire un témoin privilégié de l’histoire.
(…) Georges Loinger a une mémoire d’éléphant pimentée d’un humour taquin
d’adolescent.
Ainé de sept enfants,
il naît en Alsace, à Strasbourg, en
1910. Cette région, à laquelle il reste
très attaché, et qui accueille une importante communauté juive, n’est pas
anodine dans son parcours. C’est là
qu’il intègre l’Hatikvah groupe de scouts sioniste où il va nouer des amitiés
durables et développer son goût du défi physique. “Je grimpais dans les Vosges
les dimanches et j’étais le seul à traverser le Rhin à la nage pour épater les
dames”, se vante-t-il gentiment. Ce dynamisme va lui permettre de traverser les
épreuves futures, qu’il semble déjà anticiper. Peut-être parce que sa région
natale, allemande jusqu’en 1918, “a toujours été au cœur des convoitises”. Plus
tôt que d’autres jeunes de sa génération, Georges est préparé à la guerre :
“elle ne me semblait pas quelque chose d’étrange”, dit-il avec un reste
d’accent alsacien. Mais la menace qui monte, elle, est d’un genre nouveau. Le
jeune homme la sent, ou plutôt l’“écoute” venir, à la radio, dans une langue
qu’il comprend très bien, trop bien. “Hitler avait la voix la plus puissante et
menaçante que je n’avais jamais entendue
de ma vie.” Le danger pressenti se
rapproche, se confirme. En 1939, l’ingénieur (devenu professeur de sport “pour
préparer d’autres jeunes aux combats à venir”) est mobilisé. Il intègre le 172e
régiment d’infanterie, et est rapidement fait prisonnier. Après des mois au
stalag 7, en Bavière, il parvient toutefois à s’évader, fin 1940, avec son
cousin le mime Marceau : “Je n’avais pas le choix, ma femme m’écrivait tous les
jours des lettres alarmantes sur la situation du pays.”
“Grâce à lui, plus de 4 500 juifs pourront embarquer sur le
bateau.”
Car son épouse, elle
aussi, est sur le front. Elle s’occupe d’une résidence d’accueil d’une centaine
d’enfants juifs allemands “achetés très cher à Himmler par la baronne de
Rothschild”, pour les éloigner du Reich. La résidence est transférée de la
région parisienne en Auvergne, et d’autres résidences identiques sont créées
par l’OSE (Œuvre de secours aux enfants). Une fois réuni, le couple s’y
investit. Mais les nazis avancent. Il faut disperser les enfants. Un ami de
Georges, le fils du grand rabbin d’Alsace, propose à ce grand sportif qui a osé
s’échapper du stalag, une mission clé : exfiltrer des enfants en danger vers la
Suisse. Georges n’hésite pas. En 1942, il s’installe à Annemasse, soutenu par
un maire coopérant, et en soudoyant des Français faisant leur beurre de ce
trafic, fait passer la frontière à de petits groupes d’enfants. Plus de 350
jeunes juifs seront ainsi sauvés.
(…) Avec l’arrivée
des Allemands en zone libre, la situation se complique “un peu”, reconnaît-il
tout de même. Surtout ce jour où il fait passer vers la Suisse sa femme et ses
propres fils, âgés de 6 ans et de 18 mois… Sur le chemin, le groupe d’une
quinzaine de personnes est arrêté par une patrouille. Un soldat ordonne à
Georges de ne plus bouger le temps d’effectuer une tâche, laissant en garde un
berger allemand. “Si tu bouges, je tue ton fils”, le prévient-il. Mais dès que
le SS a le dos tourné, Georges traverse un ruisseau, entraînant la moitié du
groupe avec lui, court des heures dans la nuit noire, serrant ses proches par
la main. Il faudra plusieurs pièces d’or pour convaincre le propriétaire
français d’une petite maison de les abriter quelques heures. Enfin, au petit
matin, exténués, les fugitifs arrivent à
passer les filets de la frontière. Le père de famille aurait pu rester en
Suisse avec les siens. Mais choisit de repartir : “Il fallait sauver d’autres
enfants”, dit-il, comme une évidence.
L’Exodus
Les combats
s’achèvent. L’ancien résistant reprend peu à peu, et “sans enthousiasme”, une
vie plus paisible de kinésithérapeute et professeur de sport. Quand on vient le
chercher pour “une nouvelle mission”. Nous sommes en 1947 et il s’agit d’aider
des rescapés du nazisme à immigrer clandestinement vers la Palestine, alors
sous mandat britannique. C’est la fameuse opération Exodus. Le rôle exact de
Georges Loinger : il est chargé par David Ben Gourion et les membres du futur
gouvernement d’Israël d’obtenir l’aide officieuse des autorités françaises pour
laisser passer et ravitailler le bateau. Grâce à lui, notamment, plus de 4 500
juifs pourront embarquer à Sète. Le bateau sera violemment repoussé à son
arrivée. “Mais l’opération a été un coup médiatique très important, elle a
permis d’alerter sur la situation, de faire pression sur l’ONU et d’accélérer
la création d’Israël, alors en discussion, et votée dans la foulée”,
souligne-t-il. Suite à cette expérience, Georges Loinger sera nommé directeur
de la filiale française de la compagnie de navigation israélienne Zim. Sans
oublier de partager l’histoire de la résistance juive dans plusieurs ouvrages.
À 107 ans, il parvient encore à lire et s’astreint à quarante minutes de
gymnastique tous les matins. “Je suis toujours resté en mouvement, physiquement
et intellectuellement”, la clé, selon lui, de ce parcours hors du commun. Avec
un petit verre de bordeaux au dîner."
Georges
Loinger était commandeur de la Légion d’honneur.