Général Henri Bentégeat : "L'Europe de la défense bien insuffisante mais indispensable"
Copyright : El Païs
Mali, Centrafrique, l'Europe combien de divisions ? Vladimir Poutine encourt-il aujourd'hui, une réaction politique coordonnée des Européens sur le dossier ukrainien ? Des Européens qui ont du mal à se mettre d'accord compte-tenu des intérêts économiques de certains d'entre eux en Russie.Quant à la menace militaire de l'UE, elle n'existe pas.
Voilà les questions dictées par l'actualité. Interrogation de fond, interrogation récurrente, pourquoi une Europe de la défense est-elle si difficile à mettre en place ?
Voici des éléments de réponse fournis, dans cette interview à Ainsi va le monde, par le général Henri Bentégeat qui fut chef d'état-major particulier du président de la République (1999-2002), chef d'état-major des armées (2002-2006) puis jusqu'en 2009, président du Comité militaire de l'Union européenne.
Q- Parler de l’Europe de la défense, est-ce évoquer un « sujet maudit » ?
H. Bentégeat- L'Europe de la défense est, en effet, un sujet maudit en ce sens qu'il n'est jamais abordé sereinement sans préjugés et sans anathèmes. La vérité est que très peu de ceux qui s'expriment savent ce dont ils parlent. On additionne les désaccords politiques ou industriels des Européens, on assimile les moyens aux buts, on constate que la France fait cavalier seul et on en conclut que l'Europe de la défense n'existe pas. On ignore ou on oublie que l'Union européenne a conduit six opérations militaires en dix ans et lancé plus de vingt missions civilo-militaires.
Q- L’UE est-elle dans un état de léthargie stratégique ?
HB- Hubert Védrine a évoqué, en effet "la léthargie stratégique" dont souffrirait l'Europe. Comment lui donner tort quand on constate que la plupart de nos partenaires ne se sentent même plus les garants de leur propre sécurité dont ils ont abandonné la responsabilité à l'OTAN, en fait aux Etats-Unis. Seuls le Royaume-Uni et la France, membres permanents du Conseil de sécurité des Nations-Unies, ont une vision stratégique et la volonté de s'impliquer dans les affaires du monde. L'Allemagne y vient tout doucement, par l'angle économique surtout.
Q- Notre bouclier : l’OTAN, l’Union européenne. Vous utilisez à ce propos une formule bien ciselée : « Agir dans le cadre de l’OTAN, c’est nécessaire mais insuffisant. Agir dans le cadre de l’UE c’est insuffisant mais indispensable… ». Comment gommer les insuffisances au temps des budgets en diminution et des compromis extrêmement difficiles à trouver ?
HB- Oui, l'OTAN est nécessaire à la défense et à la sécurité de l'Europe, mais elle n'est pas suffisante. Et l'Europe de la défense est bien insuffisante mais elle est indispensable pour garantir nos intérêts spécifiques, parce qu'elle seule a les moyens de traiter globalement les crises. Ses insuffisances sont politiques (divergences de vues sur L'Afrique ou les marches orientales du continent) ou militaires (capacités individuelles ou collectives). Comment trouver les compromis politiques et limiter les conséquences de la baisse continue des budgets militaires? Impossible à 28. Il faut donc cultiver un noyau dur de nations désireuses d'aller plus loin. Le triangle de Weimar, France, Allemagne, Pologne, est le plus prometteur...
Q- Une armée européenne constituerait pourtant un instrument de souveraineté !
HB- Une armée européenne n'aurait de sens et d'usage que s'il existait un gouvernement fédéral européen. Ce n'est pas d'actualité.
Q- Et puis il y a la Grande-Bretagne ? Que l’on ne peut tenir à l’écart ?
HB- Le Royaume-Uni a des relations difficiles avec l'UE et s'oppose à tout progrès significatif de l'Europe de la défense qui pourrait concurrencer l'OTAN. Mais c'est un partenaire très important pour la France, de par sa réactivité, ses capacités et son expérience. C'est aussi la seule autre puissance nucléaire en Europe. Sans le Royaume-Uni, l'UE n'aurait plus le même visage, ni la même crédibilité internationale.
Q- La cybersécurité peut-elle unifier l’Europe ?
HB- La cybersécurité est le dernier défi à relever. Structurellement, l'UE a tous les moyens pour l'affronter, mais certains membres préfèrent le traiter à l'OTAN ou dans des clubs plus fermés. La France et l'Allemagne pourraient cependant donner une nouvelle impulsion à ce dossier.
NB : le général Bentégeat a, également, traité du sujet lors du premier petit déjeuner débat organisé par le club défense de l'association des anciens de l'école de guerre économique (AEGE), le 6 mars dernier.
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Voilà les questions dictées par l'actualité. Interrogation de fond, interrogation récurrente, pourquoi une Europe de la défense est-elle si difficile à mettre en place ?
Voici des éléments de réponse fournis, dans cette interview à Ainsi va le monde, par le général Henri Bentégeat qui fut chef d'état-major particulier du président de la République (1999-2002), chef d'état-major des armées (2002-2006) puis jusqu'en 2009, président du Comité militaire de l'Union européenne.
Q- Parler de l’Europe de la défense, est-ce évoquer un « sujet maudit » ?
H. Bentégeat- L'Europe de la défense est, en effet, un sujet maudit en ce sens qu'il n'est jamais abordé sereinement sans préjugés et sans anathèmes. La vérité est que très peu de ceux qui s'expriment savent ce dont ils parlent. On additionne les désaccords politiques ou industriels des Européens, on assimile les moyens aux buts, on constate que la France fait cavalier seul et on en conclut que l'Europe de la défense n'existe pas. On ignore ou on oublie que l'Union européenne a conduit six opérations militaires en dix ans et lancé plus de vingt missions civilo-militaires.
Q- L’UE est-elle dans un état de léthargie stratégique ?
HB- Hubert Védrine a évoqué, en effet "la léthargie stratégique" dont souffrirait l'Europe. Comment lui donner tort quand on constate que la plupart de nos partenaires ne se sentent même plus les garants de leur propre sécurité dont ils ont abandonné la responsabilité à l'OTAN, en fait aux Etats-Unis. Seuls le Royaume-Uni et la France, membres permanents du Conseil de sécurité des Nations-Unies, ont une vision stratégique et la volonté de s'impliquer dans les affaires du monde. L'Allemagne y vient tout doucement, par l'angle économique surtout.
Q- Notre bouclier : l’OTAN, l’Union européenne. Vous utilisez à ce propos une formule bien ciselée : « Agir dans le cadre de l’OTAN, c’est nécessaire mais insuffisant. Agir dans le cadre de l’UE c’est insuffisant mais indispensable… ». Comment gommer les insuffisances au temps des budgets en diminution et des compromis extrêmement difficiles à trouver ?
HB- Oui, l'OTAN est nécessaire à la défense et à la sécurité de l'Europe, mais elle n'est pas suffisante. Et l'Europe de la défense est bien insuffisante mais elle est indispensable pour garantir nos intérêts spécifiques, parce qu'elle seule a les moyens de traiter globalement les crises. Ses insuffisances sont politiques (divergences de vues sur L'Afrique ou les marches orientales du continent) ou militaires (capacités individuelles ou collectives). Comment trouver les compromis politiques et limiter les conséquences de la baisse continue des budgets militaires? Impossible à 28. Il faut donc cultiver un noyau dur de nations désireuses d'aller plus loin. Le triangle de Weimar, France, Allemagne, Pologne, est le plus prometteur...
HB- Une armée européenne n'aurait de sens et d'usage que s'il existait un gouvernement fédéral européen. Ce n'est pas d'actualité.
Q- Et puis il y a la Grande-Bretagne ? Que l’on ne peut tenir à l’écart ?
HB- Le Royaume-Uni a des relations difficiles avec l'UE et s'oppose à tout progrès significatif de l'Europe de la défense qui pourrait concurrencer l'OTAN. Mais c'est un partenaire très important pour la France, de par sa réactivité, ses capacités et son expérience. C'est aussi la seule autre puissance nucléaire en Europe. Sans le Royaume-Uni, l'UE n'aurait plus le même visage, ni la même crédibilité internationale.
Q- La cybersécurité peut-elle unifier l’Europe ?
HB- La cybersécurité est le dernier défi à relever. Structurellement, l'UE a tous les moyens pour l'affronter, mais certains membres préfèrent le traiter à l'OTAN ou dans des clubs plus fermés. La France et l'Allemagne pourraient cependant donner une nouvelle impulsion à ce dossier.
NB : le général Bentégeat a, également, traité du sujet lors du premier petit déjeuner débat organisé par le club défense de l'association des anciens de l'école de guerre économique (AEGE), le 6 mars dernier.