Exclusif : Pieter de Crem, ministre de la défense: " La politique du gouvernement belge est celle de la loyauté et de la fiabilité dans les engagements internationaux"
Pieter
de Crem est depuis décembre 2007, le ministre de la défense belge. Il est également vice-Premier
ministre, depuis mars 2013. Chrétien-démocrate, ce flamand polyglotte (il parle
couramment sept langues) a accepté dans cette interview à Ainsi va le monde de balayer l’actualité. M. de Crem, qui apparaissait
jusqu'à vendredi dernier comme un successeur possible au secrétaire général de l’OTAN,
plaide dans cet entretien pour un nécessaire soutien économique de l’Union européenne à l’Ukraine,
évoque les sanctions éventuelles contre la Russie en cas « d’ escalade ultérieure », explique les
relations militaires belgo-françaises notamment au Mali et en Centrafrique et
annonce la participation de François Hollande au centenaire de la bataille de Liège,
le 4 août prochain.
Q : Les Européens ne mourront jamais
pour l’Ukraine ?
Copyright : Malek Azoug, ministère de la défense, Bruxelles |
P.de Crem : La Belgique a toujours tenu à défendre les valeurs de
respect de la souveraineté nationale et de l’inviolabilité des frontières d’un
Etat. Nous condamnons dès lors l’annexion
de la Crimée par la Russie. La Belgique a également toujours défendu la
nécessité de respecter le droit international. Et privilégie aussi, en toute circonstance, la négociation. Si malgré tout l’emploi à la
force devenait nécessaire, qu’elle le soit en tout dernier recours et après
l’épuisement de tous les autres moyens pacifiques destinés à mettre fin à un
conflit. L’important à ce stade est de rester engagé dans la crise ukrainienne,
en soutenant tout d’abord l’Ukraine économiquement par l’intermédiaire de l’UE,
en amenant la Russie à la table des négociations, en augmentant la pression sur
celle-ci et en faisant jouer à l’OTAN pleinement son rôle, en veillant à la
protection des Alliés.
Les
Européens et des Américains sont sur le fil du rasoir. Essayant de dissuader,
de tempérer Vladimir Poutine sans menacer la Russie. Ce qui signifie également
une OTAN toute en retenue. Ce scénario est-il tenable longtemps ?
L’Ukraine n’étant pas un membre de l’OTAN, mais un
partenaire particulier de celle-ci, l’OTAN se doit de trouver la meilleure
manière pour, d’une part aider l’Ukraine et d’autre part de soutenir les
Alliés, tout en montrant à la Russie sa détermination à se faire respecter.
L’OTAN, et plus spécialement les Etats-Unis et les pays européens, ont
clairement laissé entendre que toute escalade ultérieure serait suivie de
sanctions supplémentaires. Le message est clair, comme l’espoir qu’il soit
compris et suivi d’effets.
L’ordre international né de la
Seconde Guerre mondiale n’est-il pas ébranlé?
La conférence de Yalta du 11 février 1945 a décidé d’un certain
nouvel ordre mondial peu avant la fin de la Seconde Guerre mondiale. Chaque
partie impliquée en a respecté le contenu, même si la guerre froide s’en est
suivie. C’est, en fait, la fin de cette dernière et l’effondrement de l’empire
soviétique qui ont profondément bouleversé l’ordre international. On se doit
aussi d’ajouter à ces deux premiers facteurs, les récentes crises, financière,
économique et sociale, que nous vivons actuellement pour comprendre que
l’ordre international continue de se transformer en permanence et continuera
certainement encore à évoluer dans les années à venir. Rien n’est immuable dans
l’ordre international, si ce n’est l’obligation de défendre la déclaration
universelle des droits de l’homme et la démocratie. L’impact de l’Union
européenne sur les événements d’aujourd’hui est l’une des conséquences de ce
nouvel ordre. Un autre exemple de mutation est l’émergence de nouveaux pays
comme l’Inde, l’Afrique du Sud, la Corée du Sud et le Brésil. On vit donc une
évolution constante du monde, nécessitant une adaptation permanente aux
changements en cours
Cette organisation du Traité de
l’Atlantique Nord doit-elle être redéfinie en fonction de ces nouvelles
menaces ?
La plus grande valeur de l’OTAN est qu’elle est basée sur un traité dont les dispositions
sont suffisamment générales pour s’adapter aux évolutions en cours. La défense
collective telle que reprise dans l’art. 5 reste cependant en toute
circonstance le centre de sa raison d’être et de son existence. L’OTAN a depuis
lors, au travers de la lutte contre le terrorisme, sa présence en Afghanistan,
ses partenariats et bien d’autres actions, prouvé sa capacité d’adaptation.
Vous auriez pu être l’homme chargé
de la diriger, le nouveau secrétaire général de l’OTAN ?
La question n’est plus d’actualité puisque le nouveau secrétaire général a été désigné la semaine passée. J’ai été fier que mon nom ait
circulé comme possible successeur de celui de Rasmussen. Depuis ma nomination
comme ministre de la défense fin 2007, je n’ai eu cesse d’améliorer la
fiabilité et loyauté de la Belgique au sein de l’OTAN et de la défense
européenne. J’ai d’ailleurs dès 2010, lancé le concept de partage et de mutualisation (repris sous le nom de smart defence à l’OTAN) pour faire face
à la diminution constante des budgets liés aux dépenses militaires afin que les forces armées restent efficientes et poursuivent leurs missions issues de leur
core-business, à savoir le maintien de la paix et de la sécurité. Je suis et je
reste convaincu que, tant l’OTAN que la défense européenne ont et auront un rôle
majeur à jouer dans les années futures, au niveau de la paix et de la sécurité
dans le monde.
Une dernière question sur l’Ukraine.
L’Europe est impuissante parce divisée. N’avons-nous pas perdu la face ?
Les pays européens parlent parfois de manière discordante,
mais l’Union européenne ne parle que d’une voix ! C’est le principe de
l’Union, même si c’est parfois difficile de trouver un consensus et de faire
taire les frustrations de chacun. L’Europe ne peut que parler d’une voix,
il en va de sa crédibilité sur la scène internationale, même si cela cache parfois
quelques divergences d’approche.
Les relations militaires
belgo-françaises sont excellentes. Au
Mali, vous avez répondu présent et rapidement accordé un soutien aérien en RCA.
Vous êtes en Europe un partenaire exemplaire. Je devrais dire, le partenaire de
la France tant l’Europe se désintéresse de la situation en Centrafrique.
Pourquoi la Belgique a-t-elle fait ce choix ?
La politique du gouvernement belge est celle de la loyauté
et de la fiabilité dans les engagements internationaux tant au niveau des
partenariats que des institutions internationales. Les missions liées au
maintien de la paix et de la sécurité à travers le monde ont une importance
capitale sur l’avenir de nos institutions. Au Mali, la Belgique a contribué à
une aide militaire significative tant lors de l’opération militaire française
SERVAL qu’aujourd’hui, au niveau de la politique européenne à l’EUTM Mali (European Training Mission in Mali). Pour
le Centrafrique, la Belgique a également contribué à aider son partenaire et
allié français en fournissant à l’opération militaire SANGARIS des moyens de
transport aériens qui lui faisaient défaut. Suite aux récentes et nombreuses
coupures dans le budget de la défense, celle-ci ne dispose cependant plus de
moyens financiers et budgétaires suffisants pour s’engager dans la nouvelle
opération de l’UE. Venant à la veille des élections nationales, le gouvernement
belge n’a en effet pas été en mesure d’allouer des moyens financiers
supplémentaires à la défense pour cette dernière mission.
Pourquoi, dès lors, ne pas créer une
unité militaire permanente franco-belge ?
Si de
nombreuses brigades ont en effet été créées, on constate que très peu ont
effectivement été déployées. La question à se poser est, dès lors, si la
préférence ne doit pas aller à de plus grands efforts dans l’interopérabilité
et la mutualisation entre les différentes composantes de nos armées, plutôt
qu’à la création de brigades communes.
En cette année de centenaire de la
Première Guerre mondiale, rappelons-nous que l’armée belge a contribué à
soulager l’armée française en 1914, notamment en août à Liège. Le lien
Belgique-France s’inscrit vraiment dans
l'histoire...
La Belgique, connue comme ayant été « le champ de
bataille de l’Europe » a souvent vu défiler sur son territoire toutes les
armées d’Europe. Certaines de ces batailles ont été glorieuses pour la France,
d’autres plus pénibles. Mais la collaboration qui a prévalu entre nos deux pays, aussi bien durant la Première que durant la Seconde Guerre mondiale, constitue
indéniablement le point culminant de la solidarité et de la fraternité militaire
entre nos deux pays.
François Hollande participera-t-il à
la commémoration du centenaire de la bataille de Liège, le 4 août prochain ?
Oui, ainsi que cinquante autres chefs d’Etat.
Des Belges sont engagés au sein de
la Légion étrangère. Sa musique était présente à Bruxelles lors de la fête
nationale belge, le 21 juillet dernier. Quel regard portez-vous sur cette
Légion ?
La Légion étrangère est un remarquable corps d’élite avec un
passé militaire glorieux. Elle démontre à chaque occasion toutes ses compétences
et son utilité dans les opérations en cours et en toutes circonstances. Sa
contribution déterminante dans les combats au Nord Mali mérite indéniablement
une mention toute spéciale, aussi en raison de sacrifices consentis. A mon
sens, elle est aussi l’avenir : corps d’élite projetable rapidement
pouvant intervenir à tout moment et en tous lieux. Je me réjouis, en outre, que
de nombreux belges y trouvent un milieu d’accueil propice à leurs qualités de
combattant.