Rwanda, Jean-Marie Micombero « Je sais qu’il y a eu multiplication des efforts pour m’abattre, mais je ne céderai pas ! »


Peut-on regarder le drame rwandais avec recul ? Difficile car les images de l’horreur sont insoutenables. 800.000 morts entre le 7 avril et le 14 juillet 1994, 800.000 hommes, femmes et enfants tués parce que Tutsi ; parfois des Hutu l’ont été pour avoir tenté de s’opposer aux massacres. Les génocidaires, acteurs ou planificateurs doivent être jugés ; extrémistes et meurtriers « ordinaires ». C’est le FPR, le Front patriotique rwandais dirigé par Paul Kagamé qui a mis fin au génocide. Ensuite des Hutu ont été tués au Rwanda et en République démocratique du Congo (ex-Zaïre) où ils ont été poursuivis. Là aussi, les responsables doivent être jugés. Enfin, il y a un troisième fait. En réalité, le premier dans le macabre calendrier. Le 6 avril 1994, l’avion Falcon du président (hutu) Juvénal Habyarimana, qui était en phase d’approche de l’aéroport de Kigali, était abattu par deux missiles. Le président burundais se trouvait également à bord. Pour Paul Kagamé, ce sont les extrémistes Hutu qui ont abattu l’avion. Pour des dissidents du régime, comme Jean-Marie Micombero, l’opération a été montée par des militaires du FPR (de l’armée populaire rwandaise, APR). Réfugié en Europe, M. Micombero a été interrogé en 2013 puis il y a quelques semaines par les juges français Nathalie Poux et Marc Trévidic en charge, après Jean-Louis Bruguière, de l’enquête sur cet attentat. Ainsi va le monde a rencontré Jean-Marie Micombero. Né au Zaïre, celui-ci a rejoint le FPR en janvier 1991 en Ouganda.

Crédit : rdirwandarwiza.com


Jean-Marie Micombero, où êtes-vous le 6 avril 1994 ?
Au CND, bâtiment abritant le parlement rwandais. J’étais parmi les 600 militaires formant le bataillon qui protégeait les VIP du FPR dans le cadre des accords de paix d’Arusha.

Que voyez-vous, de quelles informations disposez-vous alors, laissant à penser que c'est Paul Kagamé qui a ordonné l'attentat contre l'avion dans lequel se trouvaient le président rwandais et son homologue burundais?
Tout d’abord, les missiles qui ont abattu l’avion sont venus de Mulindi, quartier général de Paul Kagamé. Ensuite, les tireurs sont les militaires de l’unité qui le protégeait, donc ses gardes du corps. De plus, les rapports de préparation et de l’exécution lui étaient donnés régulièrement par le commandant du 3ème bataillon, le lieutenant-colonel Charles Kayonga, sur un réseau radio sécurisé. Ce commandant n’avait pas été sélectionné pour commander ce bataillon sur la base de ses capacités professionnelles mais à cause de sa loyauté.
Autre élément, après avoir abattu l’avion, les tireurs de missiles ont été exfiltrés vers le QG de Paul Kagamé. Juste après la chute de l’appareil beaucoup de gens s’en vantaient ; Paul Kagamé l’a fait lui aussi en public, au stade Amahoro…

Le lendemain, débutent les massacres contre les Tutsi. Vous, militaires de l'APR sortez-vous immédiatement protéger les victimes ?
Les militaires sortirent le lendemain de l’attentat de l’avion vers la mi-journée, non pas pour protéger les Tutsi qui étaient tués par les miliciens et les ex-Far (Forces armées rwandaises) mais pour étendre le périmètre de sécurité du bataillon et, après le renfort de deux bataillons qui venaient des lignes arrières, lancer les premières opérations qui conduiront à la chute de Kigali. Subsidiairement, on pouvait lancer des opérations de sauvetage des Tutsi. Paul Kagamé refusa formellement car il voulait qu’il y ait suffisamment de victimes afin de justifier la reprise des attaque.

Durant les 100 jours du génocide, où êtes-vous?
Dans les opérations de la région de Kigali car mon bataillon n’a opéré que dans cette région. Après la chute de Kigali, je fus déployé au sein de l’Unité de Protection du Président (Presidential Protection Unit) Pasteur Bizimungu.

Comment dans les rangs de l’APR perçoit-on la France ?
Une haine délibérée est prêchée par la hiérarchie. Parler le français était considéré comme « une honte ». Je me souviens, également, que tout au début, il existait une discrimination contre les militaires ayant effectué des études et à l’époque, la majorité était francophone.
Ainsi un officier qui avait le grade de major fut empêché de servir au sein de la Mission des nations unies pour le Soudan car il aimait parler français. Celui qui était le « chef d’orchestre » de cette campagne anti-français était Charles Kayonga, qui ordonna l’exécution de deux gendarmes français (1).

Durant ces années, Paul Kagamé présente-t-il l’armée française comme une force hostile ou ennemie?
Paul Kagamé a toujours considéré la France comme une ennemie. Kagamé n’a jamais aimé la France (et les Français) et ne l’aimera jamais.

En 1994, y-a-t-il un plan anti-français ?
Ma position au sein de l’APR ne me permettait pas d’avoir suffisamment d’informations sur les plans de l’état-major. Mais lorsque l’opération Turquoise a été approuvée par le Conseil de sécurité de l'ONU, ordre nous a été donné d’évoluer en petites unités afin de ne pas être vulnérables à d’éventuelles frappes aériennes françaises. Ce qui nous permettait, le cas échéant, de causer aux Français davantage de dégâts.

Paul Kagamé arrive au pouvoir. Vous deviendrez juge militaire puis secrétaire général du ministère de la défense. Là, vous découvrez, dites-vous, que les marchés publics sont truqués. Au profit de qui?
Des sociétés du FPR ou les individus proches du général Jack Nziza. Ceci au mépris des lois relatives à la procédure de passation des marchés publics. Egalement en faveur de personnes proches de Paul Kagamé lui-même
.
Vous passez un an en prison. Pourquoi ?
Fabrication d’un dossier pénal pour m’écarter car je n’étais plus dans la même ligne qu’eux, car je ne pouvais plus accepter certaines choses flagrantes. Mais avant cela, j’avais fait de mon mieux pour redresser ce que je pouvais. Mais en vain !

Vous quittez le Rwanda en 2011. Et commencez à dénoncer le régime de Kigali. Dans les débats dans lesquels vous participez, on vous demande souvent, pourquoi avoir attendu aussi longtemps avant de parler ?
Au Rwanda toute dénonciation est impossible à cause du caractère répressif du système de Paul Kagamé, de ses services de sécurité… Sauf si l’on veut se suicider, personne ne peut rien dénoncer…

Un ex-chef du renseignement a été tué en Afrique du sud. Un ancien chef d'état-major, également rwandais, a été victime de trois tentatives d'attentats dans le même pays. Vous sentez-vous menacé?
Juste après l’assassinat du colonel Patrick Karegeya, les officiels rwandais (la ministre des affaires étrangères, le Premier ministre et Paul Kagamé) ont déclaré la guerre à ceux qui dénoncent "ce qui ne va pas" au Rwanda. Après, il y eu une tentative d’assassinat contre le général Kayumba Nyamwasa. Les officiels ont lancé une campagne de haine des Rwandais contre leurs frères et sœurs de l’opposition, à l’extérieur ; le système du FPR est aux abois. L’arme du dictateur est la peur. Je sais qu’il y a eu multiplication des efforts pour m’abattre mais je ne céderai pas !   


(    (1) Il s'agit des adjudants-chef René Maier et Alain Didot. Ainsi que de l'épouse de celui-ci, tués le 7 avril 1994.

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