SNU, "La citoyenneté ne se construit pas en 4 semaines" pour le général Allard
Dans ses vœux 2018 aux armées puis aux forces vives de la Nation, le président de la République a réaffirmé son souhait de voir le projet de service national universel (SNU) mené à son terme. "Il ne s'agit pas de réinventer le service militaire" a expliqué Emmanuel Macron "mais de donner à la jeunesse de France des causes à défendre, dans les domaines social, environnemental, culturel."
Le "think tank" G2S, composé d'officiers généraux de l'armée de terre en deuxième section, vient de publier une réflexion sur le sujet. Le général de division Jean-Claude Allard qui a commandé l'Aviation légère de l'armée de terre (ALAT, 2005-2008) est l'un des contributeurs. Il n'est pas conquis, comme il l'explique dans cet entretien.
En filigrane du SNU, il y a le service militaire. Les politiques n'ont pas trouvé, depuis vingt ans, l'outil éprouvé, notamment, de brassage social des jeunes ?
Jean-Claude Allard est aujourd'hui directeur de recherche à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) à Paris.
Le "think tank" G2S, composé d'officiers généraux de l'armée de terre en deuxième section, vient de publier une réflexion sur le sujet. Le général de division Jean-Claude Allard qui a commandé l'Aviation légère de l'armée de terre (ALAT, 2005-2008) est l'un des contributeurs. Il n'est pas conquis, comme il l'explique dans cet entretien.
En filigrane du SNU, il y a le service militaire. Les politiques n'ont pas trouvé, depuis vingt ans, l'outil éprouvé, notamment, de brassage social des jeunes ?
Le SNU fait
référence au militaire pour deux raisons. D’abord, le mythe du service militaire,
creuset dans lequel se formerait la jeunesse. Faux, le service militaire était
accepté parce que la jeunesse était formée à la citoyenneté par l’école.
Lorsque l’école s’est étiolée dans ce rôle après 1968, les armées en ont subi
rapidement le contrecoup.
Ensuite l’idée,
juste, que l’armée est institution d’autorité. Mais cette autorité repose sur
la conscience partagée par tous les militaires de la
prééminence de la mission de défense de
la Nation, au prix du sacrifice de sa vie et de la nécessité d’une rigoureuse
observance de son rôle dans l’action (discipline). Le respect du chef et la
camaraderie au combat n’ont rien à voir avec le brassage social. D’ailleurs,
les politiques ont-ils défini ce qu’était le brassage social ? Est-ce
vraiment vivre quatre semaines ensemble ?
Quel regard
portez-vous sur ce projet ?
Ce projet de rassembler pendant quatre semaines
des adultes, déjà investis de la pleine citoyenneté (droit de vote à 18 ans)
pour réaliser un brassage social, éduquer à l’apprentissage de l’autorité, et réaliser
diverses actions triviales (bilan de santé, détection de l’illettrisme,
informations sur la défense) me parait irréaliste en termes logistiques
(presque 800 000 adultes par an, 12 à 15 milliards d’€ pour la mise en
place, 2 à 3 milliards d’€ pour le fonctionnement annuel) mais avant tout en
termes d’objectifs politiques. La citoyenneté ne se construit pas en quatre
semaines dans une vie.
Quels maux
veut-il soigner ?
Le SNU prétend enrayer la dégradation, déjà
bien avancée, de la cohésion sociale et de la cohésion nationale. Mais la cohésion
sociale est mise à mal par l’acceptation d’un taux de chômage frôlant les 10 %,
la désindustrialisation par la haut, l’hémorragie des professions individuelles
par le bas, le refus de toute réforme afin de conserver les avantages acquis et
le clientélisme de l’action politique et syndicale.
En miroir, afin de
tirer le maximum de ces modes de gouvernance, la société se constitue en de
multiples communautés qui s’organisent sur des critères économiques, sociétaux,
idéologiques avec, ultime déviance, l’idéologico-religieux bénéficiant de soutiens
exogènes. Les conditions sont créées pour avoir, au-delà des rapports
conflictuels de chaque communauté avec l’État, la multiplication des conflits intercommunautaires.
Ici, plus grave, c’est la cohésion nationale, degré supérieur englobant et
vital, qui est mise à mal.
Qui pour le
mener à bien ? La tentation est de se tourner immédiatement vers les militaires
?
Il faudrait avoir une stratégie qui se
déclinerait en prévention, réparation, implication.
La prévention doit s’exercer, avant la majorité,
par les trois tuteurs légitimes : famille, école et associations sportives et
culturelles dont il faut coordonner et soutenir les actions. Pour les jeunes pour
lesquels ces tuteurs étaient insuffisants, conservons la panoplie des recours
existants (service militaire adapté, service militaire volontaire, EPIDE) pour
réparer. Enfin ayons un discours pour impliquer toute la Nation : « demande toi ce que tu peux faire pour ton
pays » … ! Il incombe à l’État, expression de la souveraineté
nationale, et donc en accord avec elle, de définir le projet de société à
poursuivre. Si l’on attend trop pour l’exprimer, les mouvements centripètes en
cours auront déchiré la cohésion nationale. Le plus fort et le plus retors
d’entre eux affirmera sa vision.
Car sa
vocation est sociétale, non militaire ?
En effet, l’idée de SNU repose, et c’est son
point fort, sur la conscience de la profonde détérioration de la cohésion
nationale. Il faut aller jusqu’au bout de ce constat et en examiner les causes
pour les soigner efficacement. Quatre semaines de regroupement de la jeunesse
ne sont pas la solution. C’est chaque citoyen, de l’enfance à la mort, qui doit
avoir le sens de l’intérêt collectif qui forme une Nation. Et cela nécessite un
effort de tous les jours par tous.
Quel rôle
confier aux armées ?
Gardons en tête le principe énoncé par le
président Macron alors candidat : « L’armée […] n’est pas la modalité naturelle d’encadrement de la
jeunesse. » Les armées sont engagées sur de multiples fronts
extérieurs et patrouillent chaque jour dans nos rues. C’est déjà beaucoup.
Néanmoins, elles peuvent, sous réserve de leur donner un peu plus de moyens en
personnels, faire vivre auprès de l’Education nationale, le protocole de 2016 et les trinômes académiques. Les associations d’anciens militaires pourraient aussi
être incitées à s’investir dans ces actions et soutenues.
Jean-Claude Allard est aujourd'hui directeur de recherche à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) à Paris.