Jean Zay et les polémiques
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"Jean Zay fait partie de ces grands hommes que leur oeuvre exemplaire place au-dessus des considérations de chapelle, des appartenances". Qui écrit cela ? Roger Karoutchi, sénateur UMP des Hauts-de-Seine, auteur avec Olivier Babeau d'une biographie du ministre de l'éducation nationale du Front populaire (Ramsay, 2006). Jean Zay sera "panthéonisé" le 27 mai prochain avec Germaine Tillion, Geneviève Anthonioz de Gaulle et Pierre Brossolette. Une fois la décision prise par le président de la République, une polémique a été déclenchée par le général Delort, président du Comité d'entente des associations patriotiques et relayée, notamment, par le général Pinard-Legris au travers de l'association de soutien à l'armée française. Celle-ci repose sur un poème écrit par Zay lorsqu'il avait 19 ans " odieux poème sur le drapeau français" note une nouvelle fois dans sa dernière lettre (mai 2015) le général Pinard-Legris qui annonce que "L’ASAF ne sera pas présente au Panthéon le 27 mai, journée nationale de la Résistance, afin de ne pas cautionner ce qu’elle estime être une forfaiture, une insulte inacceptable faite à l’ensemble des Françaises et des Français, en particulier à ceux qui souffrirent et sacrifièrent leur vie pour le drapeau".
Le Drapeau
Que
contient ce poème ? «... Terrible morceau de drap coulé à ta hampe, je te
hais férocement, Oui, je te hais dans l’âme, je te hais pour toutes les misères
que tu représentes… Que tu es pour moi de la race vile des torche-culs ….». Cité
ainsi tout est quasiment dit, en effet. Sauf que ce texte a une histoire que
l'on ne peut ignorer.
Le Drapeau
est
un poème en prose écrit le 9 mars 1924 par Jean Zay, âgé de 19 ans.
Celui-ci précisa ultérieurement qu’il avait été rédigé dans le
cadre d’un jeu littéraire entre étudiants et non publié. « Oublié dans
un
livre, retrouvé par un individu malveillant et vénal, Le Drapeau fut vendu aux milieux d’extrême-droite orléanais… »
explique un autre biographe de Zay (Olivier Loubes, Jean Zay, Armand Colin, 2014).
Jean Zay et le patriotisme
A la chambre des députés, le vendredi 31
janvier 1936, Jean Zay (sous-secrétaire d’Etat à la présidence du Conseil,
cabinet Albert Sarraut (24 janvier-4 juin 1936) s'en expliquait : « Il
s’agissait d’un pastiche littéraire » dit-il. « Si le texte qui a été produit était, et ce n’est pas le cas,
l’expression d’une opinion sérieuse et réfléchie, l’homme que je suis le
repousserait avec horreur, et ayant voté ici les crédits de la défense
nationale, attesterait avec force, quels que puissent être les commentaires, la
loyauté de son patriotisme ». Xavier Vallat, député de l'Ardèche (droite), futur Commissaire général aux questions juives de Vichy qui prend aussitôt la parole, se déclare extrêmement satisfait de l'explication fournie (compte-rendu de séance de la chambre des députés).
Le texte repose sur deux thèmes, la mort, la
patrie. A l’inverse, Zay les a utilisés positivement dans un autre texte
quelques années auparavant. Plus précisément en 1916. L’inspecteur d’académie
du Loiret met en valeur une vingtaine de copies du certificat d’études
primaires. Dont celle de l’élève Jean Zay. Thème de ce devoir : « Vous
voyez passer dans les airs un aéroplane. Vous le suivez longtemps du
regard ; puis vous demeurez pensif, vous demandant quelle sera sa
destinée ». Zay, 12 ans, écrit : « Cet aéroplane que je viens de voir passer, où va-t-il ? A la
mort ? Combien revient-il d’aviateurs sur un cent ? (…) Tous les
Français, petits ou grands, qui sont morts pour leur pays peuvent reposer
tranquilles. La France est là, elle garde dans son livre d’or le nom de ces
martyrs, gravés éternellement, meurs heureux ! (…) Que de dévouements
obscurs (…) Va petit avion, va doux oiseau de France, va ! et que tes
ailes d’or s’étendent à jamais dans le ciel pour marquer que la France, plus
belle et plus brillante que jamais ne veut pas mourir ! » (texte reproduit
dans Le bulletin de l’instruction
publique du Loiret).
Jean Zay et la politique
Lorsqu’il débuta en politique,
à Orléans (1924), les premiers à attaquer Zay furent les communistes. Zay
radical, est perçu comme « un ennemi de classe », un « juif
dénaturalisé » (il est élevé dans le protestantisme). En 1932, Zay, 27 ans, est candidat à la députation. Le
journal d’extrême-droite, Le Journal du
Loiret écrit : « Un juif authentique, Elie-Jean Zay (…) ose
solliciter vos suffrages… ». Ce texte du Drapeau commencera à être utilisé contre Jean Zay après les
tensions du 6 février 1934, pendant la guerre d’Espagne et les crispations
politiques qu’elle provoque de ce côté-ci des Pyrénées. C’est un « terreau
de choix » pour l’Action française.
C’est l’époque où Zay est stigmatisé : « le juif Zay »….
Le
juif Zay
« Vous savez sans doute que sous le
patronage du négrite juif Jean Zay, la Sorbonne n’est plus qu’un ghetto (…) Je
vous Zay », écrit de l’une de ses cibles (avec Georges Mandel) Louis-Ferdinand
Céline en 1938, dans L’Ecole des
cadavres. L’écrivain laisse éclater sa haine à l’égard des tenants de la
paix.
Les notes de Jean Zay prises
lorsqu’il est ministre seront publiées illégalement après avoir été récupérées
frauduleusement. Avant d’être un livre, elles sont un feuilleton qui parait du
28 février au 18 avril 1941 dans l’hebdomadaire Je suis Partout (devenu à partir de 1941, collaborationniste et
antisémite). C’est Lucien Rebatet,
condamné à mort à la Libération, qui a monté l’opération qui vise à accuser Zay
d’avoir contribué à déclencher la guerre. L’avant-propos de ce livre de notes
publié sous le titre « Les carnets secrets de Jean Zay » est signé
Philippe Henriot, secrétaire d’Etat à l’information et à la propagande dans le
dernier gouvernement Laval, de janvier 1944. Il écrit à propos de Zay : « A
des heures décisives de notre vie nationale, ce petit juif se trouvait lancé
dans la politique par l’aberration du suffrage universel… ».
Le
ministre du Front populaire
1936-1939, J. Zay est ministre de l’Education nationale
et des beaux-arts, gouvernements Léon Blum 1 et 2, Camille Chautemps 3 et 4,
Edouard Daladier 3. Il est à l’origine de la création du CROUS, du brevet sportif, de la
prolongation de l’obligation scolaire (de 14 à 16 ans), de l’interdiction des propagandes confessionnelles dans
l’enseignement public, des classes de 6ème d’orientation, du
festival de Cannes, du CNRS et a porté un projet de création d’une Ecole
nationale d’administration…
1939-44
Le 10 septembre 1939, Jean Zay démissionne du gouvernement pour s’engager dans l’armée (sous-lieutenant dans le Train). "Ce qu'il ne dit pas" raconte Roger Karoutchi "c'est qu'une appendicite mal opérée a depuis quelques jours dégénéré en abcès. Il usera de son pouvoir pour échapper à la visite médicale d'incorporation". Le 20 juin 1940, il
embarque sur le Massilia, en
compagnie d’autres parlementaires, à destination de Casablanca, munis d’ordres
officiels pour participer au repli des membres du gouvernement et des Chambres
en Afrique du Nord afin de poursuivre la guerre. Durant le voyage l'armistice est signé. Retournement en métropole, les parlementaires embarqués font figure d'accusés. Zay est empêché de se
rendre à Vichy pour participer à la réunion des Chambres (10 juillet 1940).
Puis il est arrêté par le nouveau régime. Interné à Clermont-Ferrand. Condamné à la déportation et à la
dégradation. Détenu au Fort Saint-Nicolas à Marseille puis à Riom. Le 20 juin
1944, Jean Zay est abattu par la Milice à Cusset (Allier). Son corps sera
identifié en 1948. Un an plus tard, un certificat d’appartenance à la
Résistance lui est attribué. Il porte le numéro 10779.
Zay
dans la mémoire nationale
En 2004, François Fillon rendait hommage à
celui qui jeta les bases « d’une école républicaine qui est encore la
nôtre… ». La promotion 2012 de l’ENA choisit de porter le nom de Jean Zay.
5 lycées, 21 collèges, 66 écoles françaises portent son nom.