Nouvelle édition du « Dictionnaire de la Collaboration » de François Broche

La première publication du Dictionnaire de la Collaboration date de 2014. Or, comme le précise François Broche, son auteur, « depuis onze ans, l’historiographie a fait des avancées spectaculaires ». D’où la sortie, chez Nouveau Monde, d’une édition enrichie de 200 entrées visant à élargir la connaissance de cette Collaboration française. Il est d’ailleurs plus juste de parler des différentes voies de collaboration. Ce qu’explique dans cet entretien François Broche, historien de la seconde Guerre mondiale et fils d’un Compagnon de la Libération.


- Quelle définition donner de la Collaboration ?
Le mot est très difficile à définir, car il recouvre des réalités très diverses et parfois contradictoires. La collaboration de Vichy n’est pas celle de Paris et, à Vichy comme à Paris, des clans coexistent et souvent s’affrontent. La Collaboration n’a jamais constitué une politique clairement déterminée, fixée une fois pour toutes. Elle recouvre, selon la formule d’Henry Rousso, « un large éventail d’idées et de comportements qu’il est impossible d’enserrer dans un cadre rigide ».
Pour simplifier, on peut retenir trois caractéristiques communes à toutes les formes de la Collaboration : acceptation de la défaite et de l’armistice qui en découle ; soulagement à l’idée que, dans le désastre, le maréchal Pétain, le « vainqueur de Verdun », prenne en main le destin de la France vaincue et occupée aux trois quarts par le vainqueur et se propose de lui épargner des souffrances encore plus grandes ; volonté de donner à la Collaboration un contenu somme toute positif soit par adhésion au national-socialisme, soit par raison, en attendant des jours meilleurs.

- La Collaboration : exigence du vainqueur ou choix du vaincu ?
C’est, sans contestation possible, un choix du vaincu. Hitler ne souhaite nullement faire de la France de Vichy un partenaire, un allié. Il veut administrer, persécuter, piller sans se soucier de rechercher l’approbation du vaincu, même si l’ambassadeur du Reich à Paris passe son temps à entretenir de bonnes relations avec les responsables français. Goering, avec sa trivialité habituelle, a très bien résumé cet état d’esprit : « La Collaboration, c’est seulement monsieur Abetz qui en fait, moi pas. La collaboration de Messieurs les Français, je la vois de la façon suivante : qu’ils livrent tout ce qu’ils peuvent jusqu’à ce qu’ils n’en puissent plus » (cité par Michèle Cointet dans son livre La Collaboration 1940-1944).

- Quand, précisément, le maréchal Pétain entre-t-il dans la voie de la Collaboration ?

Officiellement, le 30 octobre 1940. Ce jour-là, il annonce en effet dans un discours radiodiffusé aux Français : « C’est dans l’honneur et pour maintenir l’unité française, une unité de dix siècles, dans le cadre d’une action constructive du nouvel ordre européen, que j’entre aujourd’hui dans la voie de la Collaboration. » En réalité, il y est entré le 22 juin 1940 lorsque ses représentants ont signé à Rethondes la convention d’armistice avec les Allemands, dont l’article 3 disposait que les Français devaient « collaborer avec les autorités militaires allemandes d’une manière correcte ».

- Une voie incarnée par l'Etat Français ?

L’une des voies, plus exactement, que le politologue franco-américain Stanley Hoffmann a baptisé la « collaboration d’Etat ». Le but était d’obtenir des allègements des contraintes nées des conventions d’armistice, notamment la réduction des frais d’occupation et l’amélioration du sort des prisonniers de guerre, mais aussi de permettre l’instauration de la « Révolution nationale », visant à renverser l’ordre ancien et à imposer une transformation en profondeur de la société française.

- Les collaborateurs veulent bâtir une "nouvelle Europe" ?
Plus exactement, ils ont l’ambition de participer à la construction de ce que le Maréchal appelait dans son discours du 30 octobre 1940 « le nouvel ordre européen ». Pour l’Etat français de Vichy, et singulièrement pour les technocrates qui arrivent au pouvoir dans le sillage de l’amiral Darlan en février-mars 1941 (dont le ministre de l’Industrie Jean Bichelonne est la parfaite incarnation), il s’agit d’obtenir pour la France, une fois le conflit terminé par la victoire de l’Allemagne, la place la plus avantageuse dans ce « nouvel ordre européen » (c’est-à-dire dans l’Europe allemande). La motivation n’est pas idéologique comme celle des collaborateurs de Paris (les « collaborationnistes »), dont les plus influents sont Jacques Doriot et Marcel Déat, admirateurs du national-socialisme et désireux d’importer en France le modèle nazi.

- Ces acteurs de la Collaboration ne sont pas à ranger sous une seule bannière ?
Il est sans aucun doute plus conforme à la réalité de parler de collaborations – au pluriel – de formes et de niveaux de la collaboration, fondées sur toutes sortes de motivations, de compromissions et de contradictions.

- Une réédition nécessaire pour explorer de nouvelles traces ?
Nécessaire oui et ceci pour deux raisons principales : on n’en finit pas d’explorer les « années noires » sous tous les angles, de découvrir et d’exploiter de nouvelles archives, et il faut mentionner en particulier le travail essentiel de la recherche universitaire dans tous les domaines (livres, thèses, articles). Ensuite, la précédente édition faisait 900 pages, celle-ci en comporte 1150 et quelque 200 entrées nouvelles visant à élargir le spectre des diverses formes de la Collaboration, sans bien sûr prétendre à l’exhaustivité ! Dans la postface du Dictionnaire de la France Libre, que j’ai co-dirigé avec Jean-François Muracciole (collection « Bouquins », 2010), l’historien Jean-François Sirinelli écrivait : « Un tel dictionnaire est aussi une histoire à suivre dans tous les sens du terme, car il suggère, au fil de ses entrées, mais aussi en creux, les pistes qui restent à explorer. » La remarque vaut pleinement pour le Dictionnaire de la Collaboration, lui aussi « une histoire à suivre ».

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