« Les guerriers sans nom » de Jean-Christophe Notin



 
Pourquoi s’engage-t-on ? Cette question est la première que Jean-Christophe Notin a posée à ces « Guerriers sans nom ». Comme naguère, il l’avait formulée à d’autres combattants, bien plus âgés, décorés de la croix de la Libération pour leur engagement durant la Seconde Guerre mondiale. Cet ouvrage publié par les éditions Tallandier est le quatrième d’une série d’entretiens. Ce furent auparavant les clandestins de la DGSE, les Compagnons de la Libération donc, les ambassadeurs étrangers en poste à Paris. Construit avec 28 officiers généraux, officiers et sous-officiers servant ou ayant servi dans les forces spéciales (FS) cet ouvrage est un « livre de bibliothèque » pour reprendre la formule utilisée au XIXe siècle par Flaubert pour parler d’un écrit qui compte. Et c’est même une gageure pour un livre construit sur des interviews. Mais la liberté de ton des acteurs crée immédiatement une proximité avec les opérateurs. Il y a toutefois un autre élixir. Qui va au-delà des séquences incontournables concernant l’engagement (le souhait d’en être), de la sélection, de l’entrainement, des missions, de l’organisation du Commandement des opérations spéciales (COS). Et qui a pour nom : l’intimité. Les invités de J.C. Notin n’éludent pas cette intériorité. Ils ont beau être des guerriers sans nom, des orfèvres de l’ellipse (avec leur famille et leurs proches) des adeptes d’une langue solitaire, pleine de rétractions de phrases, de tournures frugales pour des raisons de sécurité, ce sont avant tout des hommes. Qui doivent affronter ces minutes de séparation mélancolique avec une épouse, une compagne, les enfants lorsque l’heure de la mission sonne. Connaissant fort bien l’inséparable souci que ce départ provoque chez ceux qui restent. Qui sont confrontés à l’épaisseur de la réalité, la peur, la crainte de la blessure, de la mort qu’ils donnent ou peuvent recevoir. L’adresse du général Patton à ses hommes, évoquée dans l’ouvrage, définit l’équation : « Vous n’êtes pas là pour donner votre vie pour votre pays mais pour que le gars d’en face le fasse pour le sien ! »
Cette intimité fait le livre. Jean-Christophe Notin a ainsi su également entrer avec beaucoup de respect et de retenue dans la proximité de Florence de Pierrepont et Léa Bertoncello, dont les conjoints, commandos Marine, ont été tués en mission, il y a quasiment deux ans, dans la nuit du 9 au 10 mai 2019.
L’auteur a mis dans ces 375 pages de la lumière sur l’occulte. L’interview est l’une des techniques les plus difficiles. Sa maîtrise ne s’acquiert que grâce à la confiance. Qui se construit au fils du temps. Poser des questions ouvertes à des représentants d’un milieu fermé en n’obtenant pas la langue de bois est aussi une mission délicate. Au fond, à partir d’un banal adverbe interrogatif, « pourquoi », on parvient à construire un livre percutant.

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