samedi 1 mai 2021

Halte au feu !

La tribune des militaires qui a pris des proportions inattendues, n’est que l’avatar d’un climat qui ne cesse de se détériorer dans la société. C’est ce qu’ont d’ailleurs dit, à leur façon, au début de leur libelle, les signataires. 
Force est de constater qu’autour de nous, le climat devient de plus en plus exécrable. Ainsi le fiel anonyme circulant sur les réseaux sociaux. Où l’insulte, la menace font florès d’autant que les porteurs de haine avancent la plupert du temps dissimulés. Cette délation nauséabonde est un réflexe classique et un révélateur des périodes de crise. L’occupation de la France durant la Seconde Guerre mondiale en a donné un aperçu mortifère.
Les élus sont ainsi souvent trainés dans la boue. Les maires de petites communes en sont les principales victimes alors que d’autres élus, acteurs du débat national alimentent goulûment les braises en fonction de leurs intérêts.
Ce climat délétère touche également les journalistes. Il faut parfois du courage à certains confrères pour exercer leur métier ; c’est-à-dire transmettre des faits, les mettre en perspective, être ce lien entre l’information et le public. Je ne parle pas de mes confrères chinois, russes, algériens, afghans, iraniens, syriens, saoudiens, mexicains… qui se battent contre Goliath pour tenter de rester indépendants. Non, je parle de contrées où on ne part pas habituellement la boule au ventre, c’est-à-dire en France ou en Belgique.
Hier matin, la RTBF (Radio-Télévision belge) racontait combien les pressions verbales se multiplient sur le terrain. Un reporteur expliquait que, récemment, allant couvrir une « boum » au bois de la Cambre (Bruxelles) en dépit des mesures sanitaires, il s’est fait copieusement insulter « Journalope », « Collabo » « Merdia ». « J’ai ressenti de la haine » commente-t-il. Cet exemple n’est évidemment pas isolé mais duplicable en France (parfois, souvent ?). Les journalistes couvrant les manifestations des « Gilets jaunes » ont aussi entendu ces insultes. D’autres, il y a quelques années, lors de réunions du Front national… Ce sont généralement des mots. Mais les confrères sont bien placés pour connaitre leur poids. Thierry Curtet, journaliste à France Télévisions, se rappelle avoir été pris à partie lors du congrès d’une centrale syndicale, simplement parce que le quotidien Libération, dépassait de sa poche. C’est dire l’exacerbation ambiante. Au-delà de cette anecdote, la concurrence des réseaux sociaux contribue grandement à déformer les comportements. « Il y a là, une grande méconnaissance du fonctionnement de la presse. Certaines personnes, qui ont vu circuler une information sur les réseaux sociaux lui donnent la même valeur que celle des médias professionnels. Sauf qu’un journaliste va la vérifier afin de la valider » explique Thierry Curtet.
Au-dessus de l’insulte, il y a la violence inouïe, celle dont a été victime un photographe de L’Union, le 27 février dernier. Hervé Lantenois est resté de longues semaines dans le coma, il est toujours hospitalisé et suit une rééducation intense.
Mercredi, le rédacteur en chef des Nouvelles Calédoniennes, expliquait dans son journal et sur le site que la situation financière du quotidien était en mauvaise posture. Quelques heures plus tard, il rendait compte par les mêmes moyens de la réaction des Calédoniens : « Nous étions loin d'imaginer le flot de haine qui serait déversé à notre encontre sur les réseaux sociaux. Nous avons appris, dans des termes fleuris, que nous ne savons pas faire notre travail, que nous n'aimons que le sensationnel, que nous sommes à la fois incapables d'enquêter et totalement inféodés (pas toujours aux mêmes d'ailleurs), que nous passons nos journées à déformer la vérité, voire à mentir délibérément pour on ne sait quel obscur dessein. En bref, la mort annoncée des Nouvelles était la seule bonne nouvelle que nous pouvions apporter à nos lecteurs. » Ce qui, par parenthèse, montre bien le raidissement du Caillou à l’aube d’un déterminant troisième référendum sur l’avenir de ce territoire du Pacifique océanien, dont on ne mesure pas en métropole, les multiples enjeux.
Victoire des complotistes, de ceux pour qui, par définition, les journalistes sont « des pourris » ou une « profession nuisible » ? Il serait bon de retrouver un peu de calme, de nuance. Parce que ce flot de comportements individuels nourrit une vague nauséeuse qui ne cesse de grossir.
Alors « Halte au feu ! ». Les plus anciens se souviennent de ce cri lancé par un officier et des manifestants, à de multiples reprises, le 26 mars 1962 à Alger lors d’une fusillade, rue d’Isly. « Halte au feu ! »