jeudi 21 juillet 2022

Joël Viratelle

Joël Viratelle en 2013 à Paris ©MNC

C’était il y a deux ans exactement. Un soleil éclatant brillait sur le fort de Nogent à Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne). D’autant plus précieux dans un entre-deux sanitaire où la maléfique Covid détruisait la vie, testait la résistance de nos sociétés en apportant des crises, des situations dramatiques.
Dans cette emprise militaire, je recevais mes galons de 1ère classe d’honneur de la Légion étrangère. Dans cette période où la pandémie nous accordait quelque interstice de répit, j’avais été autorisé par le général commandant de la Légion à convier une dizaine d’invités, famille comprise. Joël était là, au fond de la salle. Il avait belle tournure.

Nos routes s’étaient croisées naguère. Un auparavant qui correspondait à son arrivée à la tête de la représentation métropolitaine de la Nouvelle-Calédonie. Mon nom ne lui était pas étranger. Le sien ne me l’était pas non plus. J’avais couvert, pour une chaîne nationale de télévision, les années noires vécues par la Calédonie, dont Ouvéa. Et écrit un livre sur cet épisode sanglant. Le lien entre nous furent bien ces années quatre-vingts. Une combinaison de l’histoire et de nos curiosités.
Mais que fut cette époque ?
Des accents inconnus, un Pacifique Sud oublié, le rappel d’une réalité si lointaine.
L’ époque ?
La fin de l’insouciance, les mots menaçants, les ruptures.
L’ époque ?
La violence, des barrages, des morts, des blessures irréparables,
Qu’est-ce qu’une époque ?
Le temps qui tourne, la gaieté qui fuit, le malheur qui tutoie le quotidien, une poignée de mains inattendue, un avenir à écrire ensemble
Comment raconter une époque ?
Quels mots utiliser pour raconter avec distance les maux ?
Et après cette époque ?
2022, tout à reprendre. La vie de Joël s’est arrêtée là, sur ces interrogations anxieuses.

Ce grand garçon équanime entraînait la sympathie. Calme, souriant, il affichait des yeux armés d’un regard direct. C’était un homme de coeur, sensible. Un observateur, qui, comme l’a évoqué François Sureau le 3 mars dernier lors de son discours de réception à l’Académie française à propos de son prédécesseur dans le 24e fauteuil, « qui ne contemple pas l’histoire de son pays sans douleur ». Une histoire calédonienne qu’il connaissait parfaitement, utile à la compréhension des soubresauts du territoire pour lequel il rêvait à un avenir durable, une Calédonie plus inclusive dirait-on aujourd’hui. J’aimais l’interroger sur sa vision du pays, son devenir, sur la classe politique. Comme beaucoup d’interlocuteurs qui voulaient mieux connaître le Caillou. Nous étions tous d’accord, le directeur de MNC était une source incontournable.
Joël a eu une vie pleine de tout ce que celle-ci peut donner à un homme. Une existence, qu’il ne doit qu’à lui-même. En Calédonie, sa mort a un retentissement considérable. Depuis sa disparition, un hommage unanime lui est rendu. Les politiques, ont presque tous marqué leur attachement à l’homme de bonne volonté, mesuré, et à son inlassable travail public, de médiateur, de facilitateur, d’ambassadeur.

J’ai appelé ce blog « Ainsi va le monde ». Une formule liée à mon deuxième séjour à Nouméa en 1985. Ainsi va le monde ! On ne peut se contenter de cette explication passe-partout pour justifier la disparition d’un homme. Car à ce moment là, face à la mort, nous sommes entraînés par un refus obstiné de l’ordre des choses. Que résume la locution latine « Mors ultima ratio ». La mort a beau être la raison ultime, nous la refusons.
Nos souvenirs sont peuplés d’ombres. Celles d’une Compagnie composée de nos parents, d’anciens voisins qui dès notre enfance ont quitté le monde des vivants, celles de connaissances qui sont parties victimes de maladies, d’accidents, d’une malchance mortelle ou de mort naturelle. J’ajouterai ces morts des années noires calédoniennes, anti-indépendantistes et indépendantistes mais aussi victimes « collatérales ». J’ai croisé, alors, certains de ces visages durant mes reportages. Ils sont toujours présents. Joël va, dans un autre siècle, les rejoindre.

Les vivants ont besoin des morts, comme les morts des vivants. Les morts, nous le savons bien ne meurent vraiment que le jour où plus aucun vivant ne parle d’eux ou ne pense à eux. Aucun risque, Joël Viratelle restera parmi nous !