lundi 18 juillet 2022

Victor K. romancier, ancien agent secret : "Inscrire chaque intrigue dans les fractures du monde"



Vincent Crouzet a, entre 2003 et 2017, signé sept romans avec pour dénominateur commun la Direction générale de la sécurité extérieure. Victor K. en a écrit deux, publiés en 2022. « Cible Sierra » en janvier (Robert Laffont) et « Sauvez Zelenky » en juin (Robert Laffont). Deux livres, avec comme acteurs, les femmes et les hommes du service Action de la DGSE. La série n’est d’ailleurs pas terminée. Vincent Crouzet est Victor K. Un pseudo, « pour créer une griffe pour une nouvelle collection. »

Q : Une performance, le réaliste "Sauvez Zelensky". Les Russes attaquent l'Ukraine le 24 février. Le livre sort le 9 juin. Quand avez-vous commencé son écriture ?
R : Dès le 25 févier en fait. L'idée de la série littéraire "Service Action", dont "Sauvez Zelensky !" est le second volume, est née d'une ambition : inscrire chaque intrigue dans les fractures du monde, dans les conjonctures de crise, et y projeter les personnages de la saga, les équipes du "SA". J'ai très vite obtenu le feu vert de Sophie Charnavel, la directrice de Robert Laffont, quant à la rédaction immédiate d'un opus, et j'ai écrit en temps réel. Je préfère de toutes les manières créer un roman sur un temps assez court, durant lequel je reste pleinement avec mes personnages. C'est, avant d'être une performance, une satisfaction assez rare.

Un travail de romancier-journaliste..
Finalement, pleinement un travail d'écrivain. Je me suis posé la question de partir à Kiev. Mais mon passé au profit de la DGSE m'en a dissuadé. Dans les premiers jours de l'attaque terrestre russe, personne ne savait comment la situation allait tourner. Je ne pouvais vraiment pas me mettre en difficulté sur le terrain. Mais on dispose aujourd'hui d'une somme conséquente d'information ouverte, H24, grâce au travail remarquable des correspondants de guerre, permettant de se "glisser" sur le théâtre des opérations... Néanmoins, j'ai pris le temps nécessaire pour me documenter très précisément sur la géographie des décors du roman. Par exemple, quand j'ai besoin de mettre en place un "appartement conspiratif" pour une équipe du Service Action, je réfléchis longuement à son emplacement (proche des centres de pouvoir à Kiev, facile d'accès et de dégagement...) J'avoue prendre beaucoup de plaisir à notamment construire des opérations, et surtout, à les rendre crédibles.

Vous avez passé 20 ans à la DGSE. Parfois, un ancien de la "boîte" publie un ouvrage. Vous, vous avez choisi le temps long, avec déjà 9 romans...
En fait, j'ai plus travaillé "pour la DGSE", qu'à la DGSE", ayant toujours été détaché de la structure, tout en ayant été pris en compte plus de vingt ans par une entité de la direction des Opérations. Lorsque j'ai commencé mon parcours de romancier, j'ai continué à oeuvrer pour cette maison, le statut d'écrivain donnant un prétexte légitime à courir le monde. Finalement un peu comme mes grands aînés anglo-saxons du roman d'espionnage, Ian Fleming, Graham Greene, John Le Carré, qui n'ont jamais cessé de correspondre avec l'Intelligence Service britannique, voire également les Américains, comme Tom Clancy. Mon identité de romancier m'a permis de poursuivre mon travail en Afrique Australe, ma zone d'intérêt, où la France était particulièrement active à l'époque.

La DGSE est un acteur majeur de vos romans. Le service Action est lui au centre des deux derniers. Pourtant, vous n'y avez pas servi ?
Je n'y ai pas servi, mais presque tous mes officiers traitants en étaient issus. Je leur dois beaucoup. Ils m'ont au départ formé, puis m'ont orienté, assisté, et ont été comme des frères pour moi. J'ai connu avec certains d'entre eux une longue relation de travail et de confiance. Aussi, je pense correctement maîtriser leur état d'esprit, leur vocabulaire, leurs attentes. Ma seule difficulté et ma crainte sont surtout de ne pas divulguer par maladresse une opération en cours, surtout dans la conjoncture du conflit en Ukraine. Je ne veux surtout pas bénéficier de confidences ou de fuites qui me permettraient de mieux encore documenter les romans de la série. Je me limite à calquer les capacités d'emploi du SA sur le théâtre des opérations.

Comment vos anciens employeurs perçoivent-ils votre travail ?
C'est un sujet "compliqué", et sensible me concernant... En lançant la série en janvier dernier avec le premier titre, "Cible Sierra", j'entendais l'inscrire aussi dans cette année mémorielle : les quarante ans de la DGSE, les quatre-vingts du BCRA. L'idée de marier les deux anniversaires est à porter au crédit de l'actuel directeur général de la sécurité extérieure, avec deux moments importants : la cérémonie militaire à l'Arc de Triomphe le 17 janvier dernier en hommage aux morts du Service, et l'exposition sur "Les espions du Général" au musée de l'Ordre de la Libération. Je suis personnellement très attaché à cette filiation BCRA-Service Action de la DGSE, car je pense que tout est né avec cette génération de "gamins", sous l'autorité du colonel Passy, entre 1940 et 1942. De jeunes agents qui n'appréhendaient pas le monde du renseignement, et l'ont appris sur le terrain, pour ensuite composer l'un des services les plus efficients au monde. L'esprit qui prévaut quatre-vingts années plus tard est pleinement hérité de cette génération de précurseurs. D'ailleurs, dans "Cible Sierra", chaque partie du roman est lancée par une phrase d'un glorieux ancien (Puy-Monbrun, Saint-Marc, Cordier)... Pour tout dire, je n'ai pas eu de retour "officiel" du Service. Je n'entends pas obtenir la moindre caution, je n'ai d'ailleurs pas légitimité à la demander, et en fait je ne veux surtout pas contraindre ma liberté de création. Je sais que la série est appréciée par certains, moins par d'autres. En fait, la DGSE ne communique pas, c'est son credo, contrairement aux agences de renseignement anglo-saxonnes (qui abusent actuellement du "campaigning"). C'est une position assumée, qui a fait aussi ses preuves, un cloisonnement étanche qui assure une réelle efficacité au quotidien. Le seul problème c'est que les médias ne retiennent que les échecs du Service. Pour ma part, dans mon petit coin, conscient de ce que je lui dois, j'essaie toujours de développer, à travers mes romans une communication positive. Du reste peut-être que la fiction est le seul moyen de communiquer sur la DGSE, à l'instar de la série "Le Bureau des Légendes" ?

Une réaction ukrainienne voire russe à votre dernier titre ?
J'ai bien entendu transmis le roman à Volodymyr Zelensky, par l'intermédiaire de son ambassadeur en France, Vadym Omelchenko. Je n'ai pas encore de retour, mais j'imagine volontiers le président ukrainien a d'autres préoccupations plus urgentes en ce moment que de commenter un thriller d'espionnage. Mais je sais que le roman est assez lu dans la communauté ukrainienne en France.

Sera-t-il traduit à l'étranger ?

Oui, bien entendu. Et surtout dans un futur proche "Sauvez Zelensky !" va faire l'objet d'une adaptation audiovisuelle.