11 janvier 1986, rencontre dans sa prison néo-zélandaise avec la capitaine Dominique Prieur
« Il y aura des mises au point à faire en rentrant ». Cette phrase m’est revenue en tête hier soir, en regardant le documentaire en trois parties, consacré à l’affaire du Rainbow Warrior, diffusé par France2. Elle avait été prononcée, lors d’une rencontre singulière, par Dominique Prieur l’un des deux agents français du service Action de la DGSE arrêtés en Nouvelle-Zélande après le sabotage du Rainbow Warrior, le 10 juillet 1985 à Auckland.
Ami de la famille
La conversation que nous avons eue s’est déroulée le 11 janvier 1986, au parloir de la prison pour femmes de Christchurch. J’avais couvert en novembre précédent le très court procès à Auckland des agents français et ensuite le prononcé du verdict. Le commandant Mafart et la capitaine Prieur venaient d’être condamnés à 10 ans de détention.
Si j’ai réussi ce samedi brumeux à rencontrer la jeune femme, c’est grâce à son père qui avait pris en sympathie à Nouméa, le jeune journaliste que j’étais alors. Il avait simplement annoncé la visite « d’un ami de la famille » aux autorités de la prison. En évitant de dire que j’étais journaliste. Que les autorités néo-zélandaises me pardonnent, moi qui adore ce pays.
La visite
Je suis arrivé de l’aéroport avec une boîte de chocolats qui m’a été confisquée à l’entrée. Mais j’ai pu voir la prisonnière à deux reprises. Le matin donc puis l’après-midi. Au sortir de ce double entretien, je l’ai reconstitué sur un carnet. Il a été publié plus tard, le 27 juillet 1986 par le Journal du dimanche (JDD). Pourquoi si tard ? Lui expliquant que j’étais journaliste, elle me demanda si j’acceptais de ne révéler cette rencontre que lorsqu’elle quitterait le territoire néo-zélandais. « Cela me causerait de gros problèmes. Et je ne souhaite pas qu’on me supprime les visites. Pour moi, c’est vital. » Je pariais déjà sur un élargissement rapide. J’ai accepté. La suite des événements m’a heureusement donné raison.
Extraits de l’entretien
- Dans quelles conditions vivez-vous ?
- Je vis dans une cellule de dix mètres carrés, dans le quartier de haute sécurité où je côtoie des droits communs. A mon arrivée, une caméra a été installée dans ma cellule et des barreaux ont été posés aux fenêtres. Pour tout meuble dans ma « maison », un lit, un bureau scellé dans le mur, un fauteuil et un coin toilette.
- Comment occupez-vous vos journées ?
- J’ai accès 45 mn chaque jour, à 16h, à une très petite cour. J’y fait mon jogging. Huit tours à la minute. J’ai le temps de compter. En outre, j’ai accès à la salle de télévision et à la salle de couture.
- Et le dimanche ?
- Je consacre cette journée à l’écriture. Je réponds en effet au très nombreux courrier qui m’est adressé. Je reçois des sacs postaux de manière très irrégulière. Ce sont des centaines et des centaines de lettres de soutien, d’encouragement qui me parviennent et quelques-unes de Nouvelle-Zélande. De toutes sortes de gens. De tout niveau social. Du jardinier au général. J’ai aussi beaucoup de fidèles qui m’écrivent régulièrement. Souvent des lettres très émouvantes, très agréables. J’essaie de répondre à tout ce courrier. A travers ces lettres, j’apprends beaucoup des gens.
- Parlons de « l’affaire ». Quel était votre rôle dans cette opération ?
- Croyez-vous en me voyant que je puisse poser des bombes ?
- Vous étiez là pour récupérer un plongeur ?
- C’est possible.
- Pour lui faire quitter le pays ?
- C’est possible.
- Vous n’aviez donc pas un rôle de premier plan dans cette affaire ?
- Pas vraiment.
- Combien d’équipes ont participé à cette opération ?
- Et si nous passions à autre chose ?
- Il y a eu des failles dans la préparation ?
- Nous avons été arrêtés.
- Que faut-il en déduire ?
- Il y aura des mises au point en rentrant.
- Cela veut-il dire que vous laverez votre linge sale en famille ?
- Si vous voulez…
- Les Néo-zélandais vous accusent d’être des terroristes ?
- Nous sommes, Alain Mafart et moi des officiers de l’armée française. En aucun cas, nous ne sommes des terroristes.
L’opération au départ a été montée pour ne pas tuer. Malheureusement Fernando Pereira* est retourné chercher ses appareils. Je déplore cette mort. Si j’avais posé cette bombe, je crois que je ferais encore aujourd’hui des cauchemars. J’ai tourné la page…
En juillet 1986, après un accord avec le gouvernement néo-zélandais, Dominique Prieur et Alain Mafart sont transférés sur l’atoll de Hao en Polynésie.
Dominique Prieur a poursuivi sa carrière militaire, hors DGSE. En 1995, elle a écrit un ouvrage Agente secrète (Fayard) avec Jean-Marie Pontaut et souhaite depuis bénéficier du « droit à l’oubli ».
*Le photographe de Greenpeace qui a été tué au moment de la deuxième explosion du Rainbow-Warrior
*Le photographe de Greenpeace qui a été tué au moment de la deuxième explosion du Rainbow-Warrior
Photo : DR