Ainsi va le monde arabe…Jean-Pierre Filiu


Diplomate au début de sa carrière, en poste en Jordanie, en Syrie, en Tunisie et aux Etats-Unis, Jean-Pierre Filiu est aujourd’hui professeur associé à Sciences-Po Paris, historien spécialiste du monde arabo-musulman. Où il enseigne en français bien sûr, en anglais et en arabe.

                                                              Photo Républicain lorrain.fr

L’attentat de Sanaa hier (96 militaires tués) est revendiqué par Al Qaïda…
Cette revendication est crédible. La banche yéménite d’Al Qaïda, AQPA c’est-à-dire-Al Qaïda pour une péninsule arabique a une communication très contrôlée. Face aux récents succès de l’armée yéménite, elle veut prouver qu’elle est capable de reprendre l’initiative et de frapper au cœur de la capitale.

Vous dites souvent dans vos interventions qu’Al Qaïda n’est qu’une parenthèse. Mais celle-ci n’est pas refermée ?
Du point de vue de l’histoire, oui cette parenthèse est refermée. Al Qaïda n’a jamais représenté, en termes de membres, qu’un musulman sur un million. Ce qui est négligeable pour le rapport démographique. Aujourd’hui, depuis la mort de Ben Laden, l’organisation est éclatée même si le terme est conservé. Il y a aujourd’hui une centrale à la tête de laquelle on trouve Ayman al-Zawahiri, de nationalité égyptienne qui est probablement au Pakistan. Al Qaida pour la péninsule arabique qui a commis ce carnage à Sanaa, Al Qaida en Irak, Al Qaida au Maghreb islamique ont pris leur autonomie, de fait. D’autres organisations comme les Shebab en Somalie peuvent avoir des affinités…

Al Qaïda compte toutefois sur ses partenariats en Afrique…
Plus le mouvement est faible plus il a intérêt à mettre en avant Al Qaida afin de se grandir au niveau médiatique et amplifier sa menace. Ainsi aujourd’hui au Sahel, AQMI n’est qu’un acteur mineur. Pourtant comme nous étions focalisés sur ce mouvement, nous n’avons pas vu arriver l’insurrection touareg menée par les deux grandes tendances que sont le MNLA et Ansar Dine. C’est un peu partout comme cela : on met en avant Al Qaïda pour que l’on parle de soi.

La communication est un outil majeur
Pour al-Zawahiri, la moitié du djihad est médiatique. Un cameraman travaillant en Irak pour Al Qaïda touchait une solde trois fois supérieure à celle d’un combattant.

L’Egypte vote demain, pour se trouver un président. Sa révolution a produit des héros, comme Ahmed Harara…
Ahmed Harara est un militant des droits de l’homme, dentiste de profession, âgé de 32 ans qui a perdu un œil au cours des manifestations de protestation contre Moubarak, en février 2011. Il a perdu l’usage du deuxième à l’automne dernier au cours d’une manifestation contre le régime militaire, le Conseil supérieur des forces armées. Cet homme déterminé est devenu une sorte d’icône de la révolution continue égyptienne.

                                                       Ahmed Harara      (dailyegyptnews.com)

Nous démarrons l’an II de la révolution arabe. Vous préférez utiliser le singulier. Combien de temps va-t-elle durer ?
C’est un événement majeur que les historiens retiendront du XXIème siècle. Je veux  juste mettre en garde contre la volonté de tirer des leçons définitives, de manière prématurée, de ce qui constitue un bouleversement historique de grande ampleur, qui va prendre de nombreuses années. Je ne me hasarderai pas à dire combien…Mais qui va refonder de fond en comble la scène politique arabe ; il s’agit de reconstruire le système politique par le bas, par l’intérieur et dans le cadre des frontières coloniales. Ce qui est d’ailleurs le paradoxe d’un triomphe de l’état-nation post-colonial par le fait même du processus révolutionnaire.

La Syrie. La Russie ne fait-elle pas la pire des analyses ?
Oui, les Russes sont dans une phase tragique, tragique pour le peuple syrien, qui les conduits à soutenir sans réserve un régime barbare. Ils ne le soutiennent pas qu’à l’ONU, ils l’arment sans aucune retenue. C’est tragique aussi pour la Russie parce leur vision pessimiste est très erronée des développements politiques dans le monde arabe. S’ils empêchent la Syrie d’évoluer, ils interdisent une transition à Damas, favorisant le djihadistes, les extrémistes qu’ils prétendaient combattre. Nous sommes dans une vision purement idéologique, liée à la projection sur la Syrie de problématiques tchétchènes qui n’ont pas grand-chose à voir avec la réalité arabe.


Dernier ouvrage de Jean-Pierre Filiu publié  : "Histoire de Gaza" (Fayard) 2012.
http://www.fayard.fr/livre/fayard-384952-Histoire-de-Gaza-hachette.html

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