Avancement des officiers. Patricia Adam "Je me réserve la possibilité de faire des propositions alternatives".
En cette rentrée, la
présidente de la Commission de la défense de l’Assemblée nationale ne s’était
pas publiquement exprimée. Les sujets ne manquent pas : coopération industrielle, Livre
blanc ( lundi après-midi Patricia Adam participera à une réunion députés-sénateurs "défense"), contrôle des services secrets, carrière des officiers, otages. Elle nous livre dans cet entretien sa vision de ces dossiers.
Patricia Adam dans un KC 135, lundi 17 septembre. (crédit : CC1 JJ Chatard/Dicod) |
Q. Madame, êtes-vous
favorable à un soutien logistique français dans une opération menée contre AQMI
dans le nord du Mali ?
R. La situation dans
cette région est devenue critique. Nous n’avons plus affaire à de simples
bandes criminelles mais nous sommes désormais confrontés à l’instauration d’un
système politique séparatiste extrémiste sur le territoire d’un Etat souverain
et ami. Plus le temps passera et plus il faudra de moyens pour trouver une
solution. Il est donc préférable d’agir vite. Cela ne veut pas dire qu’il faut
faire n’importe quoi. Le problème djihadiste se surajoute à une question de
fond qui est celle de l’identité culturelle de cette zone nord du Mali. On ne
doit donc pas envisager les choses sous un angle exclusivement militaire. Je
considère que la France n’a pas vocation à se substituer à un pays souverain,
ni à la communauté des Etats. En revanche, si elle peut les aider, elle doit le
faire. Encore une fois, l’inaction est la certitude de très grosses difficultés
pour tous à court terme. On aura mis dix ans à sortir d’Afghanistan. Il est souhaitable
de ne pas renouveler ce type d’expérience…
La
Défense, sous la pression de Bercy, réfléchit à une réduction de l’avancement
des officiers. On ne vous avait pas encore entendu sur le sujet ?
Cette information n’en n’est pas une. Je n’ai d’ailleurs pas
été informée d’une décision en la matière. En réalité, le ministère du budget
fait son travail et il a émis l’hypothèse d’un gel d’une partie des
avancements. Je ne considère pas cette proposition comme définitive. Je sais
que le ministre de la défense est actuellement en pourparlers pour faire valoir
un point de vue distinct de celui de Bercy. Pour ma part, je considère que,
soit un effort général est demandé et alors la défense doit en prendre sa juste
part, soit c’est un effort uniquement imposé aux militaires et je me réserve la
possibilité de faire des propositions alternatives. Le ministère de la défense
et son personnel ont déjà beaucoup donné ces dernières années. Ces efforts ne
doivent pas être passés par pertes et profits.
Quelles
propositions pourriez-vous faire ?
Je ne voudrais pas qu’un malentendu s’installe. Soit la situation
macroéconomique justifie des décisions d’exception et elles doivent toucher
tous les ministères ou presque ; soit Bercy considère qu’il y a un problème
spécifique au ministère de la défense et il va falloir qu’on remette certaines
choses à plat. Le ministère de la défense est en restructuration officielle
depuis cinq ans. Les cinq années précédentes, il était en sous-effectifs car
des milliers d’emplois apparaissaient dans les tableaux mais n’étaient pas
financés. Enfin, le haut comité d’évaluation de la condition militaire a
démontré depuis 2006 que la rémunération des militaires s’était érodée. Il n’y
a pas d’autre explication au grand plan de revalorisation des soldes, qui a été
mené tellement prudemment qu’il aura fallu près de dix ans pour augmenter tous
les grades, en commençant par les plus petites rémunérations et en terminant
par celles des colonels et capitaines de vaisseaux. De façon totalement
extérieure, la loi sur les retraites a entraîné le relèvement des limites d’âge
des militaires et entraîne aussi une augmentation des coûts de rémunération. On
peut donc figer l’image à un moment donné et faire semblant de s’étonner que
les effectifs diminuent et que les rémunérations diminuent moins vite. Mais
personne n’est dupe. Autrement dit, la commission de la défense s’attachera à
ce que les efforts à faire soient partagés entre les ministères qui le peuvent.
Les budgets de la défense européens
diminuent, l’idée est donc de mutualiser ; notamment en matière
d’équipements. Toutefois les exigences de sécurité ne sont pas les mêmes.
L’exercice est là aussi, complexe…
La problématique n’est pas nouvelle. On réfléchissait déjà à
des mutualisations il y a dix ans. Mais comme vous le soulignez, il s’agit de
savoir ce qu’on peut mutualiser, pour faire des économies, sans obérer notre
indépendance stratégique. En effet, chaque pays a ses propres objectifs
stratégiques et la France doit pouvoir conduire des opérations seules. C’est la
limite aux mutualisations. Je suis néanmoins convaincue de la possibilité de
trouver des accords intelligents. Beaucoup a déjà été fait dans le domaine de
la formation des pilotes avec les Belges et les Allemands. On peut élargir ce
type d’initiatives. En revanche, il faut avoir la franchise de se dire que
mutualiser des faiblesses ne constituera jamais une force. L’idéal serait que
les pays qui ont trop retaillé leur effort de défense fassent désormais un
effort.
Français et Britanniques pourraient offrir la preuve
(spectaculaire) qu’une coopération industrielle est possible avec l’annonce
d’une possible fusion entre EADS et BAe systems. De quoi convaincre les
sceptiques ?
Je suis prudente.
L’annonce des négociations en cours n’est pas le fait des deux entreprises.
Nous n’avons aucune certitude que le processus ira à son terme. Néanmoins, si
on regarde le schéma, on constate que EADS et BAe sont complémentaires. Ces
deux industriels vendent des matériels et services différents, dans des zones différentes.
EADS est assujetti aux cycles économiques de l’aéronautique civile et va
bien ; BAe a profité des budgets militaires américains et est aujourd’hui
plus fragile. EADS est fort en Europe et en Asie. BAe est fort en
Grande-Bretagne, Scandinavie et surtout aux Etats-Unis. Il y a donc une
cohérence dans ce projet. Pour ma part, je suis particulièrement attentive à ce
que rien ne remette en cause la place de l’Etat actionnaire, l’emploi et la
recherche dans notre pays. Je ne sais pas si cela constituerait une réussite de
la coopération entre l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni. Je pense que
c’est plutôt la vie des entreprises. En revanche, je suis bien consciente que
cela aurait de fortes implications sur l’ensemble de la base industrielle et
technologique de défense européenne et rééquilibrerait les rapports avec les
Américains, qui sont des amis mais aussi des concurrents agressifs.
Paris et Berlin vont coopérer pour la
réalisation d’un drone MALE. Cohérent ?
C’est une orientation stratégique qui est confirmée. On doit
s’en féliciter car il n’y a pas de grande ambition sans persévérance. Par
ailleurs, la France collaborera avec la Grande-Bretagne. La question se posera
à terme de travailler à trois. Tout le monde le sait, mais il est un peu tôt pour
en parler. L’enjeu est d’importance parce qu’il s’agit de l’avenir de
l’aéronautique européenne de défense au-delà de 2020. Un rapprochement entre
EADS et BAe est d’ailleurs sans doute un paramètre très important. Mais à ce
stade, toute coopération franco-allemande est bonne à prendre.
Dans et face à cet environnement
international compliqué de quoi accouchera le Livre blanc de la défense ?
D’une souris ?
Je suis membre de la commission du livre blanc et je l’étais
en 2007-08. Je n’ai pas gardé un bon souvenir de cette période. La commission
était composée de gens de qualité mais n’avait pas les coudées franches. La
pression politique était très forte. C’est très différent aujourd’hui et le
président Guéhenno travaillera dans de meilleures conditions que son
prédécesseur, M. Mallet. De plus, l’urgence macroéconomique et budgétaire n’a
jamais été aussi forte. Il va donc bien falloir avancer. Je souhaite que la
commission propose une vision stratégique et que, pour la mettre en œuvre, elle
fasse preuve d’imagination puisque les moyens seront comptés. J’ai aussi le
souci constant d’éviter les erreurs. La tentation peut exister de brader des
capacités et des compétences pour faire face au manque de crédits. Mais nous
devons toujours nous souvenir qu’il ne serait pas responsable d’hypothéquer la
liberté de manœuvre de nos successeurs. Les décisions de demain contraindront
nos armées dans quinze ans. Il s’agit donc de dire comment on peut remonter en
puissance pour retrouver ce qu’on abandonnerait provisoirement. Il s’agit aussi
d’améliorer la résilience de notre société face à toutes les crises, prévues
mais aussi imprévisibles.
Le Parlement doit-il contrôler les services secrets,
comme votre collègue Jean-Jacques Urvoas, l’imagine ?
Un groupe de travail du Livre blanc travaillera à y répondre. Je
m’interdis de préempter le sujet. Mais il va de soi que le Parlement a le
devoir de s’assurer que les services agissent conformément au cadre qui leur
est fixé. Le respect de ce cadre apporte de la sécurité juridique à tous. La
question de l’évolution de ce cadre n’est pas taboue. Mais évitons les faux
débats : elle ne doit pas conduire à oublier l’essentiel. La vraie question est
double : quelles orientations pour le renseignement ? Quels
moyens ? Cela me semble le plus important. Par ailleurs, le débat sur la
mise en cohérence de l’action de l’ensemble des acteurs de la communauté du
renseignement n’est jamais terminé. Cette cohérence est un processus et non un
état final. De gros efforts ont déjà été consentis. Il faut poursuivre.
Présidente de la délégation parlementaire au renseignement, j’ai donc choisi de
participer aux travaux du Livre blanc sur le renseignement. J’ai remarqué que
le président Guéhenno s’investissait aussi particulièrement sur le sujet. Je
m’en félicite.
Quel contrôle ?
La délégation parlementaire participe de ce contrôle. Souvenons-nous
qu’elle a été créée il y a seulement cinq ans. Le chemin parcouru est
encourageant. Mais le contrôle ne repose
pas sur un seul acteur. Il est exercé par chacun, à son niveau. Au sommet, les
directeurs généraux doivent pouvoir répondre devant l’exécutif et le Parlement
de la régularité des activités de leur service. Enfin, au sommet, l’exécutif
donne les orientations, fait la synthèse et contrôle les services. Il n’y a
donc pas de solution simple. C’est la multiplicité des acteurs, chacun dans son
rôle, qui permet le bon fonctionnement du système.
Quel bilan tirez-vous de l’université de la
défense ?
Positif. La
participation a été très élevée. Nous avons comptabilisé une quarantaine
d’invités étrangers, ce qui est exceptionnel. Tout le monde a été présent au
rendez-vous : élus, militaires, industriels et journalistes. Le ministre
de la défense nous a honorés de sa présence. L’ambassadeur de Grande-Bretagne
et Mme Arnould ont apporté un regard neuf sur les questions soulevées par
l’actuel processus de refonte du livre blanc. M. Guéhenno, président de la
commission du livre blanc a pu prendre la parole et lancer un appel à
contributions. Dernier point positif : l’investissement des armées et
notamment de la marine nationale a été total.
Ce rendez-vous est-il indispensable ?
Nous avons fêté le dixième anniversaire de cette initiative créée par
mon prédécesseur Guy Teissier. Une telle longévité n’est possible que si l’université
de la défense répond à un besoin. Le fait de réunir tous les acteurs importants
de la communauté de défense en un même lieu, à un même moment est quelque chose
d’irremplaçable. Le fait d’échanger sans filtre n’est pas non plus quelque
chose d’anodin. Pour autant, j’ai engagé une réflexion afin de déterminer la
meilleure façon de perpétuer cet évènement en le renouvelant. Ma préoccupation
est d’éviter l’essoufflement.
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