Edition. "Les services secrets sont-ils nuls ?"

C’est un livre au titre provocateur qui sortira le 25 septembre (Editions Ellipses). Son auteur, Eric Dénécé est directeur du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Dans cet ouvrage, celui-ci s'est attelé à une tâche complexe : réaliser le check-up...d’un domaine opaque. 

Eric Dénécé, pensez-vous vraiment que les services français sont nuls ?
Non. La thèse que je défends est qu’il faut reconnaître que nos services sont loin d’être les meilleurs au monde – même si notre orgueil national doit en souffrir - bien qu’ils soient d’une efficacité honorable. Mais ce défaut de performance n’est pas du aux femmes et aux hommes qui oeuvrent dans l’ombre, avec passion et abnégation, à notre sécurité. C’est d’abord la responsabilité de nos politiques qui ne comprennent rien à ce domaine, s’en méfient et font tout pour le réduire à sa plus simple expression.

Leur objectif, dès leur arrivée au pouvoir, est-il d'en obtenir la maîtrise ? 
Toujours oui. C’est une constante depuis le début du XXe siècle et cela concerne sans distinction la droite et la gauche. Cette méfiance vient d’une profonde incompréhension du rôle des services, des idées reçues sur la légitimité d’une telle activité – considérée comme infâmante et perfide en France – et par le souvenir de quelques sombres affaires dans lesquels les services ont été plus ou moins directement impliqués et qui sont devenues des scandales politiques (affaires Dreyfus, Ben Barak, Markovic, Greenpeace, Clearstream...).
Dans toute la Ve République, seuls deux chefs de gouvernement ont manifesté un vrai intérêt pour le renseignement et avaient compris son intérêt : Raymond Barre et Michel Rocard. Et un seul de nos ministres a disposé d’une expérience du renseignement : Michel Roussin. C’est faible. C’est tragique. Le président Hollande ne fait pas exception à cette règle. Comme ses prédécesseurs, il n’y connaît rien et ne s’y intéresse pas. 

Quelles sont les forces et les faiblesses de nos services
Nos lacunes sont d’abord liées à la faiblesse des nos effectifs et de nos budgets. Mais j’observe aussi que la qualité (durée, mise en situation...) de la formation donnée aux femmes et aux hommes du renseignement n’est pas à la hauteur de ce que font les meilleurs (Royaume -Uni, Russie, Israel) ni des enjeux. Enfin, le goût pour l’Action, qui caractérise depuis longtemps la DGSE, nous fait négliger le véritable travail de renseignement, moins spectaculaire, plus ingrat.
Concernant nos qualités, elles sont liées à un héritage historique de premier ordre, largement méconnu de nos contemporains. La France a toujours disposé d’une minorité d’individus passionnés par ce métier qui lui ont permis de se maintenir au plus près des leaders du secteurs. Créativité, astuce, débrouillardise, réactivité, sont les vertus cardinales des opérateurs français, à l’intérieur comme à l’extérieur. Mais cela n’est plus suffisant pour rester aujourd’hui dans le peloton de tête ni pour anticiper les menaces qui se multiplient.

L’un des handicaps de la France reste son absence de culture du renseignement ?
Evidemment et c’est un travail de longue haleine qu’il convient d’entreprendre pour convaincre nos compatriotes – et surtout nos élites - de l’utilité essentielle de ce métier. Mais il faut pour cela lutter contre les idées reçues et les fantasmes cinématographiques qui ont la vie dure. Plusieurs structures à caractère universitaires – dont le Centre Français de Recherche sur le Renseignement – s’attachent depuis quelques années à cette tâche, qui est une vraie mission citoyenne pour notre pays.

La réforme du renseignement intérieur a-t-elle été réussie ?
Clairement non, pour trois raisons.
1 - Si l’idée était bonne, elle est intervenue trop tard. Pertinente en 1986 (date à laquelle l’idée fut lancée), elle l’était moins en 2008.
2 - La réforme a été mal conduite et n’a contribué qu’à déplacer la frontière entre les métiers de l’ex DST et de l’ex DCRG. La non intégration de la totalité des RG dans le nouvel ensemble a affaibli la qualité du maillage territorial qui a fait pendant longtemps le succès de notre sécurité intérieure. De plus ne nouvelles rivalités sont nées entre acteurs du renseignement intérieur.
3 – Pour des raisons administratives, une autre piste tout aussi pertinente n’a pas été étudiée. Celle d’une fusion DST/DPSD (sécurité militaire). Elle aurait permis de créer un grand service de contre-espionnage et de sécurité économique.

La DGSE est-elle le grand service de renseignement extérieur dont la France a besoin ? Malheureusement non. Elle ne l’a jamais été et cette lacune remonte à la fin de la Guerre d’Algérie, lorsque De Gaulle a rejeté les propositions de ses conseillers de créer un « Intelligence Service » à la française.
Paradoxalement, la culture internationale des dirigeants français, leur ouverture sur le monde étant plus faible que elle des autres Européens, aucun de ses successeurs n’en a senti le besoin. Ce qui préoccupe un politique français, ce sont d’abord les affaires intérieures.
Aussi notre service de renseignement international demeure-t-il une organisation de taille modeste. Malgré ses qualités et sa modernisation récente, la DGSE dispose de moyens et d’effectifs très inférieurs à ceux des services alliés de même nature. 
Surtout, sa tendance à la bureaucratisation ne cesse de s’accentuer.

Que devrait faire François Hollande en matière de politique du renseignement ?
Trois mesures me semblent en premier lieu indispensables : donner des directives précises et pertinentes à tous les services, selon leur vocation ; pourvoir à l’augmentation des effectifs et des budgets de nos services, afin que nous ne soyons pas distancés par nos principaux alliés et concurrents ; remettre à plat l’organisation du renseignement intérieur, qui est trop polarisé sur la lutte antiterroriste au détriment du contre-espionnage, de la lutte contre le crime organisé et les cybermenaces.


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