Bernard Valéro, porte-parole du Quai d'Orsay : "Comment peut-on dire qu’il n’y a guère de résultats en Afghanistan?"

L'actualité internationale ne s'arrête jamais. Le ministère des affaires étrangères non plus. Son porte-parole a accepté, très tôt ce matin, pour "Ainsi va le monde", de développer la position française sur l'Afghanistan  (alors que les diplomates montent en puissance dans la gestion du dossier), la Syrie, la Russie, dix sept jours après l'installation de François Hollande à l'Elysée, suivie de l'arrivée de Laurent Fabius à la tête de la diplomatie française (le 17 mai). Voici cette interview.


                                            L'ambassadeur Bernard Valéro, porte-parole du MAE


Depuis le sommet de l’OTAN à Chicago, nos diplomates dans les pays membres du pacte  doivent-ils expliquer, justifier cette position française de quitter l’Afghanistan ?
Le départ des troupes françaises d’Afghanistan avant fin 2012 est un engagement qu’avait pris le président de la République au cours de la campagne électorale. Et beaucoup de nos partenaires, ayant suivi cette campagne électorale, moment important dans la vie d’un grand pays démocratique comme la France, avec attention, connaissaient donc déjà la position du président élu concernant la transition. Dès lors, le travail des diplomates a été de mettre en œuvre la décision du président de la République, dans la perspective du sommet de Chicago, dont l’objet même était de traiter des questions liées à la transition. Nous avons travaillé avec nos homologues des pays membres de la FIAS (Force internationale d'assistance et de sécurité), nos partenaires de l’OTAN, les autorités afghanes, pour mettre en œuvre cette décision. Dès lors, comme l’a souligné le président de la République lors du Sommet, nos partenaires ont compris cette décision, car ils ont compris que cette transition se fera en bonne intelligence avec eux et en pleine coopération avec les autorités afghanes. Notre travail n’est donc pas de justifier une position française, mais bien de la mettre en musique, de la mettre en œuvre. La France reste un membre à part entière de la FIAS, et elle restera engagée aux côtés de l’Afghanistan au-delà de la transition, par notre coopération dans tous les domaines. C’est l’objet du traité d’amitié et de coopération que nous avons signé en janvier dernier, et qui prévoit de nombreuses actions dans des domaines essentiels pour le développement de ce pays : formation des forces de sécurité, mais aussi coopération dans les domaines de l’éducation, de l’agriculture, des infrastructures, de la culture, de la santé…

Pourquoi cette visite de quelques heures du président Hollande à Kaboul ?
Quelques jours à peine après son élection et à la suite de ses déplacements à Berlin et aux Etats-Unis, cette visite à Kaboul était très importante pour le président de la République. Dès les premiers jours de son quinquennat, le président Hollande a eu un agenda international très dense : entretiens avec la Chancelière Merkel à Berlin, entretiens avec le président Obama à Washington, sommet du G8 à Camp David, et enfin le sommet de l’OTAN à Chicago. Ce sommet a été très important pour l’avenir de l’Afghanistan, car il a entériné, entre autres décisions, le principe de la transition en Afghanistan. C’est une décision importante pour l’avenir de notre présence dans le pays, et qui va avoir des conséquences immédiates pour nos soldats présents sur place.  Comme il l’a indiqué lui-même sur la base de Nijrab, le chef de l’Etat souhaitait, dans ce moment important, un moment-charnière, être avec nos soldats qui sont présents en Afghanistan depuis 2001, pour leur témoigner de son soutien et leur exprimer la reconnaissance de la Nation pour le travail qu’ils y accomplissent chaque jour. Il s’est également entretenu avec le président Karzai, qu’il avait déjà rencontré lors du sommet de Chicago, et a rencontré la communauté française de Kaboul, qui comprend des représentants d’ONG, des concitoyens qui travaillent pour l’ONU, des chercheurs, des entrepreneurs, etc. La présence de ces compatriotes est cruciale pour la poursuite de notre engagement civil en Afghanistan, dans le but d’aider ce pays à poursuivre sa reconstruction. Le président Hollande l’a dit : la transition n’est pas un abandon, mais la poursuite de notre engagement, un engagement supplémentaire et sous d’autre forme, pour l’avenir de l’Afghanistan.

Si  beaucoup d’observateurs parlent d’un échec, comment  le diplomate juge-t-il cette intervention française en Afghanistan, qui a tué beaucoup d’hommes pour guère de résultats ?
Tout d’abord, le diplomate que je suis pense aux 83 militaires français qui sont tombés en Afghanistan depuis 2001, et à leurs familles. Ces soldats ont donné leur vie pour une cause noble, pour une cause juste : combattre le terrorisme, défendre la paix et la liberté. Le Président a redit avec force la reconnaissance de la Nation tout entière pour leur sacrifice. Comment peut-on dire qu’il n’y a guère de résultats ? Grâce à l’action de la communauté internationale, aux côtés des autorités afghanes, 7 millions d'enfants ont été scolarisés, dont près de 3 millions de filles, chiffres inédits dans l'histoire afghane. La demande de scolarisation est désormais très élevée dans toutes les couches de la société afghane et dans toutes les régions. Dans le domaine de la santé, 82 % de la population a désormais accès à un centre de santé et la  couverture vaccinale est établie à 60%. Le pays jouit d’une croissance économique forte, avec plus de 8% par an au cours des dernières années. Le secteur agricole a fait des progrès. Le pays compte désormais plus de 13.000 km de routes asphaltées, ou réhabilitées, contre une cinquantaine de km de routes praticables en 2001. L’électrification et les télécommunications ont fait de grands progrès à Kaboul comme en province. Tout ceci, ce n’est pas rien !
Au plan diplomatique, la France va continuer à prendre toute sa part à l’effort de la communauté internationale pour continuer d’épauler l’Afghanistan. Je pense en particulier aux conférences internationales qui approchent : à Kaboul le 14 juin prochain sur la coopération régionale, et à Tokyo le 8 juillet sur la reconstruction et le développement, autant de rencontres internationales à l’occasion desquelles la France sera mobilisée, avec ses partenaires, pour faire avancer l’Afghanistan dans la bonne direction. Concernant la sécurité, la menace terroriste n’a certes pas totalement disparu, mais elle a été en grande partie jugulée par les efforts des forces de la coalition et, progressivement, par les forces de sécurité afghanes. C’est à ces dernières de prendre le relai et d’assurer désormais la sécurité et la protection de leur pays. C’est une question de souveraineté et de responsabilité. Arriver à ce point a été possible grâce à l’action de nos soldats, grâce à leur courage, grâce à leur professionnalisme.
Comme l’a dit le président de la République aux militaires français à Nijrab, « Dans chaque ligne de notre traité d'amitié avec l'Afghanistan, dans chaque action de coopération programmée, à travers chaque enfant qui apprendra notre langue dans les lycées français de Kaboul, dans les nouvelles écoles de Kapisa, chaque fois qu'une femme, un homme sera en sécurité dans ce pays, il subsistera quelque chose de votre courage, quelque chose de votre humanité, quelque chose aussi de la vie de vos camarades tombés au combat. » Tout ceci n’est certainement pas vain.

Lorsque l’ISAF aura quitté l’Afghanistan, ne craignez-vous pas que les Afghans qui ont travaillé avec les Occidentaux ne soient massacrés ?
Tout d’abord, vous le savez, si nous engageons cette transition, c’est pour permettre à l’armée et à la police afghanes d’assurer la sécurité de leur territoire et la protection de leurs citoyens. Le scénario que vous décrivez, que ce soit concernant les Afghans qui ont travaillé avec les armées de la coalition ou tous les Afghans, ne doit donc pas se produire.
S’agissant spécifiquement des Afghans ayant travaillé avec les forces françaises, nous avons naturellement développé un lien avec eux, et eux avec la France. Ils occupent des emplois et effectuent des tâches indispensables pour la réussite de notre mission : ils assurent la traduction, le contact avec la population locale, mais aussi aident à la logistique, au ravitaillement... Ils contribuent ainsi à la sécurisation et à la reconstruction de leur pays, ce sont de vrais patriotes. Nous serons très attentifs à leur avenir, et la France reste à leurs côtés pour l’avenir du pays.

Face à l’échec de l’ONU en Syrie faut-il remettre en cause son fonctionnement né des cendres de la Seconde Guerre mondiale ?
Au contraire, la crise syrienne montre à quel point le monde a besoin d’une organisation comme l’ONU, d’une instance comme le Conseil de sécurité. L’ONU et le Conseil de sécurité des Nations unies sont pour nous des éléments essentiels d’action en faveur de la paix et de la sécurité ; ils sont au cœur du système multilatéral. Le Conseil de Sécurité reste la seule instance légitime pour autoriser des mesures coercitives internationales et ainsi tout faire pour préserver la paix dans le monde. Sur la Syrie, alors que des massacres sont commis quotidiennement par le régime de Bachar el-Assad, il doit faire preuve de la plus grande des fermetés. Nous travaillons avec nos partenaires dans ce sens.

En Syrie, l'option militaire est-elle toujours "tabou" ?
Aujourd’hui en Syrie, le régime assassin de Damas enfonce le pays dans une terrifiante spirale de violence et devient une menace pour la stabilité et la sécurité régionales. Dans ce contexte dramatique, le plan de M. Kofi Annan, endossé par la résolution 2042 du Conseil de sécurité, offre une dernière chance de mettre fin au déchainement de violence et d’enclencher un processus de transition politique. La France soutient le plan de l’envoyé spécial conjoint des Nations unies et de la Ligue arabe, sans s’interdire aucune option pour mettre un terme à la crise, dans le cadre du Conseil de sécurité. Avec tous nos partenaires, nous menons tous les efforts pour mobiliser la communauté internationale, que ce soit à New York au Conseil de sécurité de l’ONU qui s’est réuni une nouvelle fois le 30 mai, à Genève où le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU se tient aujourd’hui même, le 1er juin, une session spéciale sur la situation en Syrie. Nous préparons par ailleurs activement la tenue à Paris de la conférence des pays amis du peuple syrien.


Pourquoi avoir attendu pour expulser l'ambassadrice de Syrie en France ?
Il ne s’agit pas d’avoir attendu ou non : ce qui compte, c’est que cette décision de déclarer Mme Chakkour persona non grata est une décision forte qui a été prise suite au massacre odieux commis à Houla, par les forces syriennes. Elle est également motivée par l’escalade de la répression sanglante menée depuis plus de quatorze mois par le régime de Bachar al-Assad, en violation du cessez-le-feu décidé par le Conseil de sécurité des Nations unies et en contradiction flagrante avec le plan de l’envoyé spécial conjoint des Nations unies et de la Ligue arabe, M. Kofi Annan. Je vous rappelle par ailleurs que nous avons rappelé notre ambassadeur à Damas le 7 février dernier pour protester contre la répression. Ces gestes sont des gestes diplomatiques forts, qui s’inscrivent dans le cadre de notre action constante pour mobiliser la communauté internationale sur le drame syrien.


Vladimir Poutine est en France, aujourd’hui. Quel langage lui parler ?
La Syrie sera bien entendu évoquée lors des entretiens aujourd’hui à l’Elysée entre les Présidents français et russe. De façon générale, la Russie est un acteur majeur sur la scène internationale. C’est un partenaire avec lequel nos relations portent, dans tous les domaines, sur des enjeux majeurs. S’agissant de la Syrie, il est important de travailler avec ce pays dans le cadre des efforts que nous intensifions actuellement pour mobiliser la communauté internationale afin de faire cesser la violence en Syrie.



Commentaires

  1. "Quelques jours à peine après son élection et à la suite de ses déplacements à Berlin et aux Etats-Unis, cette visite à Kaboul était très importante pour le président de la République."
    Pour lui, sans doute, mais... pour qui d'autre?

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