Bernard Valéro, porte-parole du Quai d'Orsay : "Comment peut-on dire qu’il n’y a guère de résultats en Afghanistan?"
L'actualité internationale ne s'arrête jamais. Le ministère des affaires étrangères non plus. Son porte-parole a accepté, très tôt ce matin, pour "Ainsi va le monde", de développer la position française sur l'Afghanistan (alors que les diplomates montent en puissance dans la gestion du dossier), la Syrie, la Russie, dix sept jours après l'installation de François Hollande à l'Elysée, suivie de l'arrivée de Laurent Fabius à la tête de la diplomatie française (le 17 mai). Voici cette interview.
L'ambassadeur Bernard Valéro, porte-parole du MAE
Aujourd’hui en Syrie, le régime assassin de Damas enfonce le pays dans une terrifiante spirale de violence et devient une menace pour la stabilité et la sécurité régionales. Dans ce contexte dramatique, le plan de M. Kofi Annan, endossé par la résolution 2042 du Conseil de sécurité, offre une dernière chance de mettre fin au déchainement de violence et d’enclencher un processus de transition politique. La France soutient le plan de l’envoyé spécial conjoint des Nations unies et de la Ligue arabe, sans s’interdire aucune option pour mettre un terme à la crise, dans le cadre du Conseil de sécurité. Avec tous nos partenaires, nous menons tous les efforts pour mobiliser la communauté internationale, que ce soit à New York au Conseil de sécurité de l’ONU qui s’est réuni une nouvelle fois le 30 mai, à Genève où le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU se tient aujourd’hui même, le 1er juin, une session spéciale sur la situation en Syrie. Nous préparons par ailleurs activement la tenue à Paris de la conférence des pays amis du peuple syrien.
Pourquoi avoir attendu pour expulser l'ambassadrice de Syrie en France ?
Il ne s’agit pas d’avoir attendu ou non : ce qui compte, c’est que cette décision de déclarer Mme Chakkour persona non grata est une décision forte qui a été prise suite au massacre odieux commis à Houla, par les forces syriennes. Elle est également motivée par l’escalade de la répression sanglante menée depuis plus de quatorze mois par le régime de Bachar al-Assad, en violation du cessez-le-feu décidé par le Conseil de sécurité des Nations unies et en contradiction flagrante avec le plan de l’envoyé spécial conjoint des Nations unies et de la Ligue arabe, M. Kofi Annan. Je vous rappelle par ailleurs que nous avons rappelé notre ambassadeur à Damas le 7 février dernier pour protester contrela répression. Ces
gestes sont des gestes diplomatiques forts, qui s’inscrivent dans le cadre de
notre action constante pour mobiliser la communauté internationale sur le drame
syrien.
Vladimir Poutine est en France, aujourd’hui. Quel langage lui parler ?
L'ambassadeur Bernard Valéro, porte-parole du MAE
Depuis le sommet de l’OTAN à Chicago, nos
diplomates dans les pays membres du pacte doivent-ils expliquer,
justifier cette position française de quitter l’Afghanistan ?
Le départ des troupes françaises d’Afghanistan avant fin 2012 est un
engagement qu’avait pris le président de la République au cours de la campagne
électorale. Et beaucoup de nos partenaires, ayant suivi cette campagne
électorale, moment important dans la vie d’un grand pays démocratique comme la
France, avec attention, connaissaient donc déjà la position du président élu
concernant la transition. Dès lors, le travail des diplomates a été de mettre
en œuvre la décision du président de la République, dans la perspective du
sommet de Chicago, dont l’objet même était de traiter des questions liées à la
transition. Nous avons travaillé avec nos homologues des pays membres de la
FIAS (Force internationale d'assistance et de sécurité), nos partenaires de l’OTAN, les autorités afghanes, pour mettre en œuvre
cette décision. Dès lors, comme l’a souligné le président de la République lors
du Sommet, nos partenaires ont compris cette décision, car ils ont compris que
cette transition se fera en bonne intelligence avec eux et en pleine coopération
avec les autorités afghanes. Notre travail n’est donc pas de justifier une
position française, mais bien de la mettre en musique, de la mettre en œuvre. La
France reste un membre à part entière de la FIAS, et elle restera engagée aux
côtés de l’Afghanistan au-delà de la transition, par notre coopération dans
tous les domaines. C’est l’objet du traité d’amitié et de coopération que nous
avons signé en janvier dernier, et qui prévoit de nombreuses actions dans des
domaines essentiels pour le développement de ce pays : formation des
forces de sécurité, mais aussi coopération dans les domaines de l’éducation, de
l’agriculture, des infrastructures, de la culture, de la santé…
Pourquoi
cette visite de quelques heures du président Hollande à Kaboul ?
Quelques jours à peine après son élection et à la
suite de ses déplacements à Berlin et aux Etats-Unis, cette visite à Kaboul
était très importante pour le président de la République. Dès
les premiers jours de son quinquennat, le président Hollande a eu un agenda
international très dense : entretiens avec la Chancelière Merkel
à Berlin, entretiens avec le président Obama à Washington, sommet du G8 à Camp
David, et enfin le sommet de l’OTAN à Chicago. Ce sommet a été très important
pour l’avenir de l’Afghanistan, car il a entériné, entre autres décisions, le
principe de la transition en Afghanistan. C’est une décision importante pour
l’avenir de notre présence dans le pays, et qui va avoir des conséquences
immédiates pour nos soldats présents sur place. Comme il l’a indiqué lui-même sur la base de
Nijrab, le chef de l’Etat souhaitait, dans ce moment important, un
moment-charnière, être avec nos soldats qui sont présents en Afghanistan depuis
2001, pour leur témoigner de son soutien et leur exprimer la reconnaissance de
la Nation pour le travail qu’ils y accomplissent chaque jour. Il s’est
également entretenu avec le président Karzai, qu’il avait déjà rencontré lors
du sommet de Chicago, et a rencontré la communauté française de Kaboul, qui
comprend des représentants d’ONG, des concitoyens qui travaillent pour l’ONU,
des chercheurs, des entrepreneurs, etc. La présence de ces compatriotes est
cruciale pour la poursuite de notre engagement civil en Afghanistan, dans le
but d’aider ce pays à poursuivre sa reconstruction. Le président Hollande l’a
dit : la transition n’est pas un abandon, mais la poursuite de notre
engagement, un engagement supplémentaire et sous d’autre forme, pour l’avenir
de l’Afghanistan.
Si
beaucoup d’observateurs parlent d’un échec, comment le diplomate
juge-t-il cette intervention française en Afghanistan, qui a tué beaucoup
d’hommes pour guère de résultats ?
Tout d’abord, le diplomate que je suis pense aux 83
militaires français qui sont tombés en Afghanistan depuis 2001, et à leurs
familles. Ces soldats ont donné leur vie pour une cause noble, pour une cause
juste : combattre le terrorisme, défendre la paix et la liberté. Le Président
a redit avec force la reconnaissance de la Nation tout entière pour leur
sacrifice. Comment peut-on dire qu’il n’y a guère de résultats ? Grâce à
l’action de la communauté internationale, aux côtés des autorités afghanes, 7
millions d'enfants ont été scolarisés, dont près de 3 millions de filles,
chiffres inédits dans l'histoire afghane. La demande de scolarisation est
désormais très élevée dans toutes les couches de la société afghane et dans
toutes les régions. Dans le domaine de la santé, 82 % de la population a
désormais accès à un centre de santé et la
couverture vaccinale est établie à 60%. Le pays jouit d’une croissance
économique forte, avec plus de 8% par an au cours des dernières années. Le secteur
agricole a fait des progrès. Le pays compte désormais plus de 13.000 km de routes
asphaltées, ou réhabilitées, contre une cinquantaine de km de routes
praticables en 2001. L’électrification et les télécommunications ont fait de
grands progrès à Kaboul comme en province. Tout ceci, ce n’est pas rien !
Au plan diplomatique, la France va continuer à
prendre toute sa part à l’effort de la communauté internationale pour continuer
d’épauler l’Afghanistan. Je pense en particulier aux conférences
internationales qui approchent : à Kaboul le 14 juin prochain sur la
coopération régionale, et à Tokyo le 8 juillet sur la reconstruction et le
développement, autant de rencontres internationales à l’occasion desquelles la
France sera mobilisée, avec ses partenaires, pour faire avancer l’Afghanistan
dans la bonne direction. Concernant la sécurité, la menace terroriste n’a
certes pas totalement disparu, mais elle a été en grande partie jugulée par les
efforts des forces de la coalition et, progressivement, par les forces de
sécurité afghanes. C’est à ces dernières de prendre le relai et d’assurer
désormais la sécurité et la protection de leur pays. C’est une question de
souveraineté et de responsabilité. Arriver à ce point a été possible grâce à
l’action de nos soldats, grâce à leur courage, grâce à leur professionnalisme.
Comme l’a dit le président de la République aux
militaires français à Nijrab, « Dans chaque ligne de notre traité d'amitié
avec l'Afghanistan, dans chaque action de coopération programmée, à travers
chaque enfant qui apprendra notre langue dans les lycées français de Kaboul,
dans les nouvelles écoles de Kapisa, chaque fois qu'une femme, un homme sera en
sécurité dans ce pays, il subsistera quelque chose de votre courage, quelque
chose de votre humanité, quelque chose aussi de la vie de vos camarades tombés
au combat. » Tout ceci n’est certainement pas vain.
Lorsque
l’ISAF aura quitté l’Afghanistan, ne craignez-vous pas que les Afghans qui ont
travaillé avec les Occidentaux ne soient massacrés ?
Tout d’abord, vous le savez, si nous engageons cette
transition, c’est pour permettre à l’armée et à la police afghanes d’assurer la
sécurité de leur territoire et la protection de leurs citoyens. Le scénario que
vous décrivez, que ce soit concernant les Afghans qui ont travaillé avec les
armées de la coalition ou tous les Afghans, ne doit donc pas se produire.
S’agissant spécifiquement des Afghans ayant travaillé
avec les forces françaises, nous avons naturellement développé un lien avec
eux, et eux avec la
France. Ils occupent des emplois et effectuent des tâches
indispensables pour la réussite de notre mission : ils assurent la
traduction, le contact avec la population locale, mais aussi aident à la
logistique, au ravitaillement... Ils contribuent ainsi à la sécurisation et à
la reconstruction de leur pays, ce sont de vrais patriotes. Nous serons très
attentifs à leur avenir, et la France reste à leurs côtés pour l’avenir du pays.
Face à
l’échec de l’ONU en Syrie faut-il remettre en cause son fonctionnement né
des cendres de la
Seconde Guerre mondiale ?
Au contraire, la crise syrienne montre à quel point
le monde a besoin d’une organisation comme l’ONU, d’une instance comme le
Conseil de sécurité. L’ONU et le Conseil de sécurité des Nations unies sont
pour nous des éléments essentiels d’action en faveur de la paix et de la
sécurité ; ils sont au cœur du système multilatéral. Le Conseil de
Sécurité reste la seule instance légitime pour autoriser des mesures
coercitives internationales et ainsi tout faire pour préserver la paix dans le
monde. Sur la Syrie, alors que des massacres sont commis quotidiennement par le
régime de Bachar el-Assad, il doit faire preuve de la plus grande des fermetés.
Nous travaillons avec nos partenaires dans ce sens.
En
Syrie, l'option militaire est-elle toujours "tabou" ?Aujourd’hui en Syrie, le régime assassin de Damas enfonce le pays dans une terrifiante spirale de violence et devient une menace pour la stabilité et la sécurité régionales. Dans ce contexte dramatique, le plan de M. Kofi Annan, endossé par la résolution 2042 du Conseil de sécurité, offre une dernière chance de mettre fin au déchainement de violence et d’enclencher un processus de transition politique. La France soutient le plan de l’envoyé spécial conjoint des Nations unies et de la Ligue arabe, sans s’interdire aucune option pour mettre un terme à la crise, dans le cadre du Conseil de sécurité. Avec tous nos partenaires, nous menons tous les efforts pour mobiliser la communauté internationale, que ce soit à New York au Conseil de sécurité de l’ONU qui s’est réuni une nouvelle fois le 30 mai, à Genève où le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU se tient aujourd’hui même, le 1er juin, une session spéciale sur la situation en Syrie. Nous préparons par ailleurs activement la tenue à Paris de la conférence des pays amis du peuple syrien.
Pourquoi avoir attendu pour expulser l'ambassadrice de Syrie en France ?
Il ne s’agit pas d’avoir attendu ou non : ce qui compte, c’est que cette décision de déclarer Mme Chakkour persona non grata est une décision forte qui a été prise suite au massacre odieux commis à Houla, par les forces syriennes. Elle est également motivée par l’escalade de la répression sanglante menée depuis plus de quatorze mois par le régime de Bachar al-Assad, en violation du cessez-le-feu décidé par le Conseil de sécurité des Nations unies et en contradiction flagrante avec le plan de l’envoyé spécial conjoint des Nations unies et de la Ligue arabe, M. Kofi Annan. Je vous rappelle par ailleurs que nous avons rappelé notre ambassadeur à Damas le 7 février dernier pour protester contre
Vladimir Poutine est en France, aujourd’hui. Quel langage lui parler ?
La Syrie sera bien entendu évoquée lors des
entretiens aujourd’hui à l’Elysée entre les Présidents français et russe. De
façon générale, la Russie est un acteur majeur sur la scène internationale.
C’est un partenaire avec lequel nos relations portent, dans tous les domaines,
sur des enjeux majeurs. S’agissant de la Syrie, il est important de travailler
avec ce pays dans le cadre des efforts que nous intensifions actuellement pour
mobiliser la communauté internationale afin de faire cesser la violence en
Syrie.
"Quelques jours à peine après son élection et à la suite de ses déplacements à Berlin et aux Etats-Unis, cette visite à Kaboul était très importante pour le président de la République."
RépondreSupprimerPour lui, sans doute, mais... pour qui d'autre?